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chacune le nom de leurs candidats sur le bureau même, l'opération de s'asseoir, de prendre une plume et d'écrire ces noms, prendrait pour chaque votant plus d'une minute, et il faudrait neuf à dix heures pour être sûr de voter.

Avant que l'empire nous eût dépouillé de notre droit, par l'invention des colléges électoraux, j'avais été membre deux fois d'assemblées électorales. Tâchons de me rappeler les ruses qu'on a essayées pour me tromper.

Une fois, on m'a dit que le candidat que je voulais nommer était mort, une autre fois qu'il avait fait banqueroute. Il se portait à merveille, il ne devait rien à personne, et il était et il était plus riche que moi. J'en conclus qu'il faudra que je n'écoute pas les bruits qu'on fera courir dans l'assemblée même. Je mettrai tous mes soins à bien savoir les faits d'ici là; mais une fois décidé, je ne me laisserai plus ébranler. Si je me laissais ébranler, le moment du scrutin passerait, et quand je découvrirais qu'on m'a pris pour dupe, il serait trop tard.

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Je me souviens encore que nous étions deux cents électeurs sur quatre à cinq cents, résolus à nommer un très-brave homme: un faux frère se glissa parmi nous, et nous dit, en nous montrant le plus grand chagrin, que les trois cents électeurs dont nous ne connaissions pas les intentions, avaient donné leurs voix à un autre, et que nommer notre candidat serait peine perdue. Nous ne voulûmes pas perdre notre voix. Nous nous reportâmes sur celui que nous croyions élu, et qui valait bien moins que le nôtre.

Au dépouillement du scrutin, il se trouva que celui que nous aurions préféré avait eu cent voix de l'autre côté, et que c'était nous qui lui avions ôté la majoritë en l'abandonnant. Je ne prêterai l'oreille à aucun conte de ce genre. Je resterai fidèle à mes choix ; j'aime mieux perdre ma voix en nommant celui que je veux, qu'en nommant celui que je ne veux pas

Une autre fois on vint nous dire que si nous nommions tel ou tel homme, nous offenserions le gouvernement: cela nous fit peur; nous en choisîmes un autre. Quatre jours après, le président de notre assemblée, ayant vu les ministres, vint nous dire qu'on aurait trouvé fort bonne la nomination que nous avions voulu faire. Je n'écouterai point ceux qui viendront me parler des prétendues intentions du gouvernement: il veut le bien, il veut donc -j'agisse suivant ma conscience.

que

Enfin, je n'ai pas oublié que la seconde fois que j'étais Électeur, l'assemblée fut convoquée le jour d'une fête à Romainville; j'y'avais alors une petite campagne; ma femme m'engagea à l'y conduire au lieu d'aller voter. Beaucoup de mes amis et de mes confrères en firent autant pour leurs femmes. Il y avait un homme' que nous désiriors beaucoup voir élu, parce qu'il était modéré, et qu'il avait lutté l'année précédente contre le directoire qui nous tourmentait; mais l'élection eut lieu sans nous, et un commissaire du pouvoir exécutif, comme on l'appelait alors, fut choisi à sa place. Si, par hasard, l'élection à lieu un dimanche, ma femme dira ce qu'elle voudra, je n'irai pas à la campagne. Si nous avons de bons députés, nous aurons assez de jours de fêtes.

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DE BENJAMIN CONSTANT,

AUX ATTAQUES

Dirigées contre lui durant les Elections (1).

JUSQU'A PRÉSENT j'ai parlé de moi le moins qu'il m'a été possible. Je n'avais que moi seul à défendre. Honoré aujourd'hui des suffrages de près de trois mille citoyens, je leur dois de prouver que je n'en suis pas indigne. Me calomnier maintenant, c'est dire à l'Europe que près de trois mille habitans de Paris, tous de cette classe où résident la raison, l'industrie, la richesse et la force nationale, sont assez aveugles ou assez coupables pour choisir un factieux pour représentant. C'est insulter leur moralité et leurs lumières. Je vais donc répondre. Je serai court: le temps nous presse. Je serai modéré, parce que la modération est

(1) Cette réponse me fut, pour ainsi dire, arrachée par une suite de libelles auxquels les électeurs qui m'avaient honoré de leur voix me pressaient de répondre. Comme ces mêmes électeurs m'ont accordé de nouveau leurs suffrages l'année suivante, et comme les libelles réfutés ont été reproduits, j'ai consigné ici ma réponse; elle pourra servir encore, parce qu'il paraît que les moyens des agens du pouvoir, quelques noms qu'ils portent, sont les mêmes dans tous les temps

mon caractère, et qu'il y a d'ailleurs un degré de mépris qui inspire du calme.

On a répondu que j'étais étranger. Je suis Français, fils d'un Français protestant, rentré en France il y a vingt-six ans, comme des milliers de protestans dont l'intolérance avait frappé les familles, et qu'une loi positive a rappelés. J'ai produit mes titres alors; jamais leur validité n'a été contestée par les autorités compétentes. Le gouvernement les a reconnus, par cela même qu'il m'a inscrit sur la liste officielle des électeurs, des éligibles et des candidats ayant obtenu des voix : ou bien croit-on que c'est par faveur qu'il m'ait compris sur ces listes ? Il faut donc que mes adversaires changent de moyen d'attaque. Il en est qu'ils ont employé avec succès en 1815, contre les protestans, à Nismes et ailleurs. Les autres sont inutiles. Ils peuvent tout, sinon faire que je ne sois pas Français. L'on a voulu rattacher mon nom à des époques funestes. On n'en citera pas une, depuis vingt-cinq ans, où je n'aie recommandé la modération et la justice. On m'a reproché les fonctions que j'ai occupées après le 20 mars. Chose étrange! Les journaux qui m'imputent ces fonctions à crimes, sont sous l'empire` d'un ministère dont deux membres au moins, et trois, si je ne me trompe, ont occupé, à la même époque, des fonctions plus éminentes qu'ils n'ont déposées qu'après la journée de Waterloo.

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On m'a désigné comme l'auteur de l'acte additionnel; j'y ai concouru, je l'avoue sans peine, pour y insérer l'article sur la liberté de la presse, sur les jurés, sur le nombre de la représentation nationale, et sur la limitation des tribunaux militaires.

Je cherche si j'ai encore quelque accusation à réfuter. Je ne trouve aucun fait dans les invectives dictées contre moi. Ce n'est pourtant pas l'envie qui manque à ces libellistes. S'ils ne disent rien, c'est qu'ils n'ont rien à dire, et que ma vie entière n'offre aucune prise à la fureur grossière qui les anime contre quiconque parle pour la justice et réclame pour la liberté.

Aussi l'opinion ne prend pas le change. En dépit de leurs tentatives, elle persiste à porter un homme sans clientelle, sans alentours, sans pouvoir, sans autre force que quelques principes qui sont dans toutes les âmes et qu'il n'a eu que le mérite de proclamer. Trente articles de journaux sont commandés, trente libelles me déchirent, et trois mille électeurs répondent par leurs suffrages.

C'est que ces électeurs veulent le bien, c'est qu'ils adoptent ce qui est juste; c'est que leur esprit est éclairé, parce que leurs intentions sont pures. Les individus ne sont rien pour eux; les principes sont tout; et le nom propre de chaque Candidat n'est autre chose qu'une déclaration de principe, faite librement par la Nation.

Quand ils portèrent avant-hier M. Lafitte, c'était dire Un Ministre ne doit pas bouleverser les finances, en excédant son budjet.

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Quand ils portent aujourd'hui M. Casimir Perrier, c'est dire: La garde de la France appartient à des Français.

Quand ils portent M. de Lafayette, ils disent : Nous adoptons les principes de 1789 et nous détestons les excès de 1793.

Tome III, 5. Partie.

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