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renseignemens fournis par la police. Ceux qui ont fourni
ces renseignemens ont pu les recueillir sans les vérifier
ceux enfin qui ont encouragé et presque dirigé le té-
moin à charge et inculpé les individus qui témoignaient
autrement, ont pu, aveuglés qu'ils étaient
des pré-
jugés préexistans, penser qu'ils travaillaient à démas-
quer et à confondre le crime. Je n'accuse personne. Je
voudrais concourir à sauver un innocent: je n'insinue
point qu'il y ait des coupables.

par

Pour mettre plus d'ordre et de clarté dans mes preuves, je subdiviserai, autant qu'il me sera possible, les assertions que l'on vient de lire.

Je commencerai par démontrer :

1. Qu'il a été allégué contre Wilfrid Regnault, pendant et dans l'instruction, des faits étrangers au crime dont il était accusé ;

2o. Que ces faits, renfermés dans des notes transmises par la police, et revêtues ainsi d'une apparence officielle, ont été citées à l'appui des charges;

5o. Qu'ils étaient destinés, de l'aveu de ceux qui les communiquaient aux jurés et aux juges, à influer sur le jugement;

4°. Qu'il n'a pas été permis au défenseur de Regnault de les réfuter.

Ces quatre premiers points seront prouvés sans peine par un simple exposé des faits.

Un assassinat avait été commis dans le village d'Amfreville, le 1er. de mars; Wilfrid Regnault fut arrêté le 5, l'on ne conçoit guère par quel motif; car dans le résumé de l'information, M. le procureur du Roi à Louviers, dit que jusqu'à la déposition du seul témoin à charge (qui n'a paru que le 10 avril ), les indices ne présentaient qu'une preuve d'induction assez délicate (il n'explique pas quelle était cette preuve d'induction); que, jusqu'à cette déposition, Pon avait été obligé de s'occuper de circonstances

devenues indifférentes (ce qui ferait croire qu'elles étaient étrangères à Regnault), et qu'on avait eu des soupçons contre d'autres, soupçons qu'on avait abandonnés (comme s'il dépendait des magistrats d'abandonner des soupçons sans les éclaircir). Enfin Regnault fut arrêté. Le 21 mars, le procureur du Roi, dont je viens de parler, écrivit à M. le ministre d'état préfet de police, pour avoir sur Regnault des renseignemens. Le 7 avril, le ministre lui répondit en ces termes : « Paris, le 7 avril 1817. Monsieur, avril 1817. Monsieur, j'ai reçu la lettre » que vous m'avez adressée le 21 mars, pour m'in» viter à vons' transmettre des renseignemens sur un >> nommé Pierre Wilfrid Regnault, traduit devant » vous commie prévenu d'un vol avec effraction et » d'assassinat, et que l'on présume avoir été l'un des » auteurs des massacres commis dans les prisons de » Paris, dans les journées des 2 et 3 septembre 1792. » S. E. le ministre de la police générale m'ayant aussi » écrit à ce sujet le 18 mars, j'ai fait alors compulser » avec soin les différens registres tenus à ma préfecture, » et je me suis assuré qu'il n'existait aucune note » contre cet individu.

» N'ayant pas en mon pouvoir la liste des auteurs » des massacres des prisons, et présumant qu'elle » pourrait exister dans les archives du département » de la Seine, j'y ai fait prendre des informations; >> mais il ne s'y trouve que des procès-verbaux vagues » et informes, rédigés avec une telle obscurité, qu'ils » n'offrent aucune trace de cet horrible assassinat, et » qu'aucun d'eux n'y est dénommé, ainsi que j'en ai >> informé Son Excellence, par ma réponse du 25 du >> même mois. Comme vous m'observez, Monsieur, » que le nommé Regnault paraît avoir tenu, à cette » époque, une boutique d'épicier ou de marchand » d'eau de vie, j'ai fait prendre aussi des rensei»gnemens dans ce quartier. Il en résulte qu' 'effec

»tivement, en 1792, le nommé Regnault était établi » épicier, rue Lenoir, no. 1, et qu'il a vendu son >> fonds à un sieur Boussard, qui s'y est ruiné, >> et est décédé, ainsi que sa femme; qu'ensuite le >> sieur Regnault a été s'établir rue Saint-Victor; » qu'il y a mal fait ses affaires, par suite de son » inconduite, qu'il a épousé la fille d'un député à » la Convention, et après avoir dissipé ce qu'elle » lui avait apporté en mariage, il a divorcé, et a » fini par faire banqueroute. Il paraît qu'il doit à » plusieurs personnes, notamment au sieur Du» bosc, marchand épicier, rue Quincampoix, no. 1, » une somme d'environ 600 fr., qu'il devait lui » payer en 1806. On ne se rappelle pas d'ailleurs » qu'il ait fait partie des septembriseurs, et l'on ajoute » qu'on pourrait obtenir d'autres renseignemens sur » son compte, à Neubourg, département de l'Eure, » où il paraît s'être retiré alors, et où demeure sa >> famille, notamment un de ses frères, établi mar>> chand de coton. Recevez, etc. Signé le ministre » d'Etat, préfet de police: pour Son Excellence, » par son ordre, le secrétaire-général, signé Fortis. >> D'après cette réponse du ministre d'Etat, préfet de police, M. le procureur du Roi près le tribunal civil de Louviers inséra dans une pièce rédigée par lui, le 12 mars suivant, et intitulée: Résumé de l'information et observations particulières, le passage qu'on va lire: «Regnault, ancien épicier à Paris, âgé de >> cinquante-cinq ans, est un homme froid, tac » réfléchi, et vivant très-retiré. Il a le regard faux et >> sait composer son visage: il a vécu vingt ans à » Paris: il s'y est fait connaitre par son inconduite. » Voyez la lettre de M. le préfet de police. ».

et

Dans l'acte d'accusation, dressé le 2 juillet par M. le procureur du Roi près la Cour royale de Rouen, ee magistrat s'appuya de même de la lettre de M. le

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préfet de police, et non-seulement il invoqua l'autorité de cette lettre, comme l'avait fait son collègue de Louviers, mais il inséra dans cet acte d'accusation ceux des faits que cette lettre contient, qui pouvaient présenter sous un jour odieux la moralité de l'accusé.

« L'instruction démontre bien, dit-il, quel est le » caractère de Wilfrid Regnault, Car des renseigne» mens joints à l'instruction ont appris qu'il a résidé » à Paris, rue Lenoir, faubourg Saint-Antoine et » ailleurs, qu'il y est resté vingt ans, et qu'en 1792 » il y a mal fait ses affaires par suite de son in» conduite; qu'ayant épousé la fille d'un député à » la Convention, il avait dissipé ce qu'elle lui avait » apporté en mariage; que s'étant divorcé, il avait » fait banqueroute. v

Ces faits, insérés de la sorte et dans l'acte d'accusation de M. le procureur du Roi à Rouen, et dans les observations particulières de M. le procureur du Roi à Louviers, étaient bien manifestement destinés à inAuer sur le jugement. Car ce même procureur du Roi dit, en envoyant ces observations, « que la famille du » prévenu ayant employé des manoeuvres pour tâcher » d'obscurcir les preuves, il lui semble nécessaire de » donner quelques éclaircissemens aux magistrais >> supérieurs qui auront à juger ce grand crime. >> Ces éclaircissemens devaient donc influer sur le jugement de ces magistrats supérieurs. Ils avaient influé sur la disposition des procureurs du Roi eux-mêmes: car l'un d'eux, dans ses observations, conclut immédiatement du caractère connu de Regnault à sa culpabilité, et il appuie ce caractère de Regnault sur les faits rapportés dans la lettre de la police. Après avoir décrit la manière dont l'assassinat s'était commis <«<l'on voit, dit-il, par toutes les précautions qui » sortent du corps du délit, combien l'assassin était » un homme rusé, prévoyant et consommé. L'on va

» retrouver tout ce caractère dans le nommé Pierre >> Wilfrid Regnault, aujourd'hui prévenu, etc. » C'est à la suite de cette indication et par une transition qui, comme on le voit, lie le crime imputé à Regnault avec sa vie antérieure, qu'après avoir observé que Regnault est taciturne et a le regard faux (singulière observation physionomique dans un magistrat!) il raconte son inconduite, son mariage avec la fille d'un conventionnel, la dilapidation de sa fortune, son divorce et sa banqueroute, et finit par inviter les magistrats supérieurs à consulter la lettre du ministre d'Etat, préfet de police. M. le procureur du Roi près la cour royale de Rouen suit la même marche : « Re»gnault, dit-il, cherchait à éloigner les soupçons qu'il voyait bien planer sur lui-même; l'instruction » démontre bien quel est le caractère de Wilfrid Regnault; et après avoir répété tous les faits contenus dans la lettre ministérielle, « telle est, ajoutet-il, la moralité de Wilfrid Regnault. »

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Instruit seulement par la lecture de l'acte d'accusation des inculpations dirigées contre son caractère, et des faits étrangers au crime dont il était accusé, faits dont on arguait qu'il avait pu se rendre coupable d'un pareil crime, Regnault, par l'organe de son défenseur, voulut se justifier devant les jurés. Son défenseur fut interrompu dans sa plaidoirie, parce que, lui dit-on, la Cour n'avait à prononcer que sur l'imputation de l'assassinat (1).

Je pourrais faire ici quelques remarques sur cette interruption d'un défenseur qui sent le besoin de dissiper des préventions qui accablent son client. Je pourrais observer que lorsqu'il était constant que ces préventions avaient pris naissance dans des pièces remises aux juges, attestées par des magistrats, et

(1) Mémoire en calomnie, pag. 14.

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