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ESSAI

SUR LA CONTRE RÉVOLUTION

D'ANGLETERRE EN 1660.

PEINDRE les calamités et les crimes qui accompagnent une contre révolution complète, ce n'est point faire la critique, c'est, au contraire, faire l'éloge d'un gouvernement qui a eu le bonheur ou la sagesse d'éviter la contre révolution. Sollicité depuis long-temps de réimprimer mon Essai sur la contre révolution d'Angleterre en 1660, j'ai donc cru pouvoir céder sans inconvénient à ce désir que beaucoup de personnes m'ont manifesté. De même que j'ai retranché de la réimpression des Réactions politiques, ce qui n'était applicable qu'à une forme particulière de gouvernement, pour ne conserver que ce qui est bon, sous tous les gouvernemens les argumens contre

l'arbitraire, la violence, l'injustice, le mépris des lois, ou des affections de la nature, de même, j'ai retranché de l'ouvrage qu'on va lire ce qui aurait pu indiquer une arrière-pensée, peu conforme à l'établissement et au maintien d'une monarchie constitutionnelle. Je dis franchement ce que je pense, sans y rien ajouter, et sans en retrancher la moindre partie. Sous la république, je ne voulais pas que nous revinssions à la monarchie, parce que ce retour me paraissait devoir être précédé d'une contre révolution, la pire espèce de révolution possible, comme l'a dit si bien le célèbre Fox. Aujourd'hui, je désire que nous restions fidèles à la monarchie constitutionnelle, parce que, si cette monarchie est bien constitutionnelle, nous pouvons y trouver une liberté suffisante, et que c'est là ce qui a toujours été, ce qui sera toujours le but et l'espoir de

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tous mes travaux.

ESSAI

SUR LA CONTRE RÉVOLUTION

D'ANGLETERRE.

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La république anglaise était renversée. Le même peuple, qui, durant neuf ans, avait soutenu, contre Charles I, une lutte obstinée et sanglante, insouciant maintenant de ses priviléges, et ne croyant plus à des droits que lui avaient ravis, tour à tour, deux espèces de tyrannie, se précipitait avec enthousiasme dans l'esclavage. Les restes du long parlement, réunis en convention, consumaient les derniers momens de leur existence en servilités expiatoires. Dans des proclamations emphatiques, en annonçant aux peuples d'Angleterre que Charles II allait revenir, ils repoussaient toute idée d'une constitution mitigée, d'une limite au pouvoir royal, d'un pacte entre le roi et son peuple (1). x

La ville de Londres manifestait au roi sa surprise et sa reconnaissance de ce qu'il daignait faire grâce à la nation, et protestait que cette nation coupable n'aurait osé compter sur cet excès de bonté. (2)

(1) Although it can no way be doubted, but that his majesty's right and title to his crown and kingdoms, is and was every way compleated by the death of his most royal father of glorious memory, without the ceremony or solemnity of a procla mation, yet, etc. etc. Clarendon, partie III, page 763.

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(2) Parliamentary history, vol. XXII, pag. 259, a grace, they did not presume to think themselves entitled to, on ang other account than that of his gracious inclinations.

L'armée, la flotte, toutes les corporations civiles et religieuses se confondaient en expressions de repentir, en protestations d'obéissance. Les agens de Cromwell couraient au devant de Charles II. Les instrumens de l'usurpation allaient saluer la monarchie que tout annonçait devoir être absolue. Ingoldsby, l'un des juges du roi, mais qui déclarait l'avoir condamné contre sa conscience (1), et qui, pour mériter sa grâce, s'était hâté de charger de fers ses anciens amis (2); l'avare et perfide Monk, le chevalier Ashley Cooper (3), le plus vil courtisan du protecteur, et qui l'avait pressé sans cesse de se faire proclamer roi (4), se distinguaient dans cette procession d'esclaves, par la bassesse de leurs hommages. Aucune réclamation n'osait s'élever. Les défenseurs de la liberté, détenus, ou cachés, ou fugitifs, attendaient en silence l'amnistie qui devait consolider leur opprobre, et la mort qu'ils prévoyaient bien devoir succéder à cette amnistie violée. Le peuple, étourdi du bruit des canons, et du son des cloches, ébloui d'une pompe inusitée, remplissait les rues de cris tumultueux, et ne voyait dans ce changement su• bit, qu'une occasion de se livrer sans réserve à l'abrutissement de l'ivresse, et aux excès de la licence. Ceux, surtout, qui de quelque manière s'étaient fait remarquer sous la république, pen

(1) Clarendon, part. III, p. 763.

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(2) Hume, X, p. 367, édit, de Bâle.

(3) Depuis comte de Shaftsbury, et lord chancelier.

(4) He was one of the those who pressed him (Cromwell) most to acceptof the kingship. Burnet's history of his own time, vol. I, pag. 136, édit. d'Edimbourg; no 1758.

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saient, comme dit Burnet (1), ne pouvoir mieux désarmer les défiances, qu'en se distinguant par la grossièreté de leurs plaisirs et l'ostentation de la débauche. Ils espéraient que la dissolution de leurs mœurs paraîtrait la meilleure garantie qu'il ne restait dans leur âme aucune étincelle de liberté. Ce fut au milieu de ce sentiment universel, aux acclamations d'une foule immense, à la vue du parlement prosterné (2), que Charles II, le 29 mai 1660, remonta sur le trône..

Tout annonçait un règne clément ; tant de soumission, tant d'idolâtrie devait désarmer l'âme la plus sombre et la plus vindicative. Charles était jeune, élevé dans le malheur, loin de la puissance corruptrice; ses formes étaient douces, son esprit délicat, son éloquence persuasive, ses manières ouvertes et séduisantes. Il s'était montré jusqu'alors ami du plaisir qui amollit le caractère, compagnon de ses courtisans plutôt que leur roi, amant généreux, fidèle ami, maître indulgent et facile (3). Ceux qui l'entouraient s'étaient interdit publiquement toute idée de sévérité et de vengeance. Dans une déclaration solennelle, qui avait précédé et facilité la restauration, la haute noblesse, les gentilshommes, le clergé, tout le parti du dernier roi, avait annoncé l'oubli le plus complet de toutes les divisions passées, et demandé que jusqu'au nom de toutes les factions qui avaient existé, fût

(1) Burnet, vol. I, p. 130

(2) V. la réponse de la Chambre des Communes au Roi. Clarendon, part. III, p. 758.

(3) V. Hume, XII, 64;- Burnet, I, 143; II, 463.

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