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trouve à l'aise pour démentir ses paroles par ses ac<<< tions. >> Craignons de voir nos députés prendre cette habitude, faire le mal en le désapprouvant, voter le matin tout ce qu'on leur demandera, et croire se justifier en se moquant le soir de leur vote du matin.

Nommons donc de bons et courageux mandataires. Ils ne sauraient être pris ni parmi ceux qui sont soupçonnés de vouloir renverser la charte, ni parmi ceux qui sont convaincus de la faire toujours plier devant les fantaisies de l'autorité. Essayons une fois d'hommes qui veulent maintenir cette charte en lui restant fidèles.

Si nous ne jouissons pas de la liberté, la faute en sera bien plus aux députés qu'aux ministres : car les ministres ne font le mal, que lorsque les députés leur permettent de le faire. Nous tombons sans cesse dans une erreur qui nous rend injustes et ridicules. Lorsle ministère nous blesse, ce sont toujours les mique nistres que nous accusons. Mais les ministres sont bien moins blâmables que les députés qui leur donnent les moyens de nous blesser.

L'on ne me soupçonnera pas de vouloir faire ici l'apologie des ministres ; mais il est de fait que leur tort est bien plus d'abuser des lois existantes que d'agir ouvertement en opposition avec les lois.

Depuis que la loi du 29 octobre est abrogée, ils ne font arrêter personne en vertu de la loi du 29 octobre. Depuis que la censure se trouve abolie pour les ouvrages de moins de vingt feuilles, ils n'essayent plus de soumettre à la censure les ouvrages de moins de vingt feuilles.

J'en conclus que, s'il y avait sur d'autres objets, comme sur ceux-là, absence de lois vexatoires, les ministres ne vexeraient pas. Donc la faute en est à ceux qui votent ces lois vexatoires, bien plus qu'à ceux qui s'en autorisent, quand une fois elles sont

votées.

La tendance de tout ministère est d'empiéter. Le devoir de tout député est de s'opposer aux empiétemens du ministère. Quand le ministère empiète, il ne fait que suivre sa tendance naturelle: quand un député favorise les empiétemens du ministère, il agit contre sa mission. Ce n'est donc pas contre le minis tère qu'il faut, déclamateurs enfans que nous sommes, nous déchaîner quand nos libertés sont mal garanties. Ce sont nos députés qu'il faut accuser, ou plutôt nousmêmes, car nos députés sont notre ouvrage. Si nous voulons le but, prenons les moyens. Il y a de la puérilité à ne savoir jamais que passer de la duperie au repentir.

La loi des élections a mis notre destinée entre nos mains. La loi des élections aura fait de nous, si nous la secondons, une nation nouvelle. Avec cette loi, aucun privilége, aucun monopole de pouvoir, aucune olygarchie, pas plus celle des richesses que celle de la naissance, ne peuvent s'introduire. Avec cette loi, plus sage et plus profonde que le ministère ne l'a soupçonné, la puissance nationale est là où elle doit être.

Ouvrez la liste des électeurs, vous y verrez que les droits politiques ne sont plus confiés, comme autrefois, à une classe en particulier, investie d'immenses propriétés, immobiliaires ou mobiliaires, et consti

tuée par-là en corporation aristocratique de fait, lors même qu'elle ne jouit en théorie d'aucun privilége. Les droits politiques, c'est-à-dire, la faculté d'influer par ses choix sur l'administration des affaires publiques, sont remis à ceux qui forment la richesse de l'Etat.

Dans notre siècle, cette richesse a changé de nature. Ce ne sont plus uniquement les propriétés foncières, ce ne sont plus uniquement les grands capitaux qui la constituent. Sa source est l'industrie.

En appelant la classe industrieuse à la jouissance des droits politiques, la loi des élections a placé la puissance dans la classe qui est le centre des lumières pratiques, parce qu'elle tient également aux classes riches et aux classes pauvres. Elle est plus impartiale que les premières, qui, placées à la sommité de l'état social, ne connaissent de ses intérêts que ceux qui les touchent immédiatement. Elle est plus éclairée que les secondes, que le travail mécanique absorbe.

Dans la classe industrieuse, réside l'indépendance, parce que tout le monde a besoin d'elle, et qu'elle n'a besoin de personne.

Dans cette classe, réside l'esprit d'égalité, parce qu'elle est trop nombreuse pour gagner, comme les grands propriétaires, à des prérogatives nécessairement restreintes à un petit nombre.

Dans cette classe, réside le patriotisme, parce que ses intérêts ne peuvent pas, comme ceux des purs capitalistes, s'isoler des intérêts nationaux.

Qu'elle sache donc faire usage de ses droits, qu'elle sente son importance. A elle appartient d'affermir par ses choix la liberté constitutionnelle, seul élément né

cessaire à sa prospérité; et, chose admirable! en soignant ses intérêts propres, elle fera le bien de tous.

P. S. Les élections sont terminées : ce n'est pas à moi qu'il appartient d'en écrire l'histoire, d'autres se chargeront de co soin. Rien ne restera caché pour la France.

C'est avec regret, sans doute, que j'impose silence à la reconnaissance profonde que m'inspirent tant d'honorables suffrages obtenus, malgré les honteux moyens employés pour me nuire. Mais, si je me répandais en actions de grâces, on pourrait m'accuser d'orgueil. J'aime mieux prouver ma reconnaissance en persévérant dans la conduite qui m'a valu ces preuves inestimables de confiance et d'assentiment. Je me suis lié par des engagemens solennels envers les électeurs de Paris, je pourrais dire envers les électeurs de plus d'une portion de la France, puisque deux autres départemens ont daigné penser à moi, et que la moitié des citoyens de la capitale a reçu mes engagemens et s'est reposée sur mes promesses; ces promesses sont donc confirmées indépendamment du succès; elles sont désormais devenues inviolables. Ma route m'est tracée. Le décourag ment ne peut me saisir. Deux fois, à deux élections consécutives, je me suis vu récompensé par le vœu populaire : et si je ne puis faire dans ma situation actuelle tout ce que j'aurais fait comme député, je dois faire tout ce que je puis comme citoyen.

Je sais que notre législation sur la presse est toujours la même; que les écrivains sont hors de la protection des lois; que les uns sont cachés, d'autres dans les fers, confondus avec des coupables de vol ou de meurtre, retenus par des mesures fiscales après l'expiration de leur peine, livrés à l'arbitraire de la police et à l'insolence des geôliers. Je sais que nul n'est à l'abri de cette destinée, et que trois juges peuvent faire traîner en prison, pour une opinion qu'ils interprètent, l'homme que trois mille sept cents électeurs ont honoré de leur choix. N'importe, je dois redoubler de zèle, et remplir mes obligations sans m'enquérir de mes garanties.

Aujourd'hui je veux établir une vérité dont la démonstration est urgente. Je voudrais en convaincre le ministère lui-même : car la résignation vaut mieux qu'un combat inutile; elle épargne à l'état des secousses, et aux vaincus des humiliations. Cette vérité, c'est que le ministère ne saurait désormais régir la France

en suivant la route qu'il a adoptée (1). Cette route l'a conduit au point où sont arrives tous les gouvernemens qui ont voulu fonder leur autorité sur un système déplorable de bascule, c'està-dire, sur l'oppression de tous les partis tour à tour. Cette route a conduit le ministère au point où était arrivé le directoire avant le 18 brumaire.

Heureusement nous avons une monarchie constitutionnelle; le ministère est menacé, mais le pouvoir royal ne l'est pas. Ce qu'à d'autres époques une révolution seule pouvait opérer, s'effectuerait sans révolution par la retraite de quelques hommes, et par la disparition pacifique de quelques agens secondaires de l'autorité.

J'en rends grâce au ciel ; car je désire aujourd'hui ce que j'ai désiré toujours, l'affermissement de notre liberté, l'entière exécution de la charte, la consolidation de nos institutions politiques par des moyens graduels et paisibles. Je vois de toutes parts briller les présages de ces améliorations. Je vois la nation remplie d'un patriotisme éclairé ; je la vois dirigée par une raison admirable. Mais si le ministère s'obstinait dans ses mesures accoutumées, tous ces heureux symptômes s'évanouiraient, le patriotisme deviendrait de l'irritation, la modération céderait l'impatience, et nous reculerions vers une mer orageuse, tandis que nous sommes à l'entrée du port.

J'écris sans passion comme sans haine ; j'admets le mérite de quelques actes, sans examiner les intentions; mais si le souvenir de ces actes doit protéger les ministres contre une réprobation trop sévère, il faut bien d'autres actes et des réparations bien plus éclatantes pour leur rendre la force nécessaire aux dépositaires de nos destinées. Je dis la force, car ce n'est point le despotisme de nos ministres, leur violence, leurs vexations, que je crains; c'est leur faiblesse toujours croissante, leur inconcevable imprudence et leur maladresse inexcusable. Je les voudrais presque plus habiles, dussent-ils l'être contre nous. J'espérerais alors de leur habileté une marche au moins uniforme, qui préserverait l'état des bouleversemens, dont nous avons plus d'horreur que ceux qui feignent de les craindre. Mais ils s'avancent au jour le jour sans principes, sans appui, sans prévoyance; créant pendant six mois des dangers, et mettant la tranquillité publique à là merci d'une heure ; exci

(1) L'événement a prouvé la justesse de ma prophétie, deux mois après l'époque à laquelle j'écrivais ces lignes, le ministère dont je parlais est tombé.

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