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fur la terre. De-là toutes ces généalogies divines, ces éloges pompeux & ridicules, en un mot ces flatteries idolâtres par lef quelles Rome fubjuguée s'efforça de cacher fa honte & de juftifier fa bassesse; de-là ce vil enthoufiafme des poëtes, & cette éloquence fervile des orateurs, qui contribuerent à encenfer & à corrompre les tyrans, & qui acheverent d'enerver l'efprit de leurs concitoyens.

Les hiftoriens modernes n'ont jamais fait affez d'attention aux maux que ce dogme fibyllin accumula fur Rome; ils n'ont point fenti combien il eut de part à la révolution qui fe fit dans les idées des fujets de cette fiere république, qui', nourris autrefois dans la haine de la royauté, se profternerent à la fin aux pieds des monf tres les plus inhumains. Mais ce n'eft point ici le lieu de fuivre les effets de ce dogme; c'eft fa fource qu'il nous-importe de connoître, c'eft fon caractere qu'il faut dé mêler. Il ne faut pour cela que nous diftraire l'efprit de toutes les applications que les Romains, toujours indécis & incertains, ont cherché à en faire pendant plufieurs fiécles; il ne faut juger de ce dogme que par le caractere d'enthoufiaf me & de terreur déja empreint fur tou

tes les autres parties de la doctrine des Sibylles anciennes.

Ši la fin des périodes, annoncée par les fignes du ciel, par les tremblemens de terre, par les révolutions, par les crimes des hommes, indiquoit un renouvellement dans l'univers, une nouvelle race, un nouvel âge d'or, enfin, comme dit Virgile, un nouvel ordre de chofes, que pouvoit être ce monarque inféparablement annoncé par toutes ces prédictions, finon le dieu du période futur, Saturne, ou le dieu de la fin des tems, dont on avoit tant de fois prédit le regne heureux, & qui, après avoir détruit le monde & puni les méchans, devoit être le roi, le pere & le rémunérateur des juftes? Le roi des Sibylles n'eft que le dieu de la vie future, le même qui, fuivant la doctrine cachée des myfteres, devoit un jour détrôner le dieu régnant, pour rétablir l'âge d'or fur les ruines de fon empire. Enfin ce roi n'eft que l'Etre fuprême envifagé dans fes opérations de la fin des tems, mais obfcurci & méconnoiffable par une théologie allégorique, représenté par les diverfes nations païennes fous des emblêmes variés, & perfonnifié fous le nom d'un roi, d'un héros, d'un conqué

rant,

rant, que chaque peuple fe flattoit de voir un jour à fa tête pour changer la face du monde en fa faveur,

En corrompant ainfi le dogme de la descente du fouverain juge des hommes, on corrompit auffi néceffairement le dogme de la deftruction du monde & de la vie future. Les païens ne virent plus dans ces dogmes que les deftructions politiques des villes, des fociétés & des empires, & l'établiffement de quelque grande domination, qui abforberoit toutes les autres. C'est parce que ces trois dogmes font inféparables par leur nature, que les erreurs qui réfulterent de l'abus que l'on fit de chacun d'eux, furent auffi inféparables, & troublerent le monde de concert & en même tems. D'un autre côté, le véritable efprit de cas Sibylles ayant transpiré auffi-bien que le fecret des myfteres, on vit tout à-la-fois des gens qui, prenant ces dogmes dans leur fens véritable & moral, augmenterent encore le trouble de cet âge, en prédisant de bonne foi là fin du monde, la defcente prochaine du fouverain juge & le regne de la vie future. De-là le chaos énigmatique que préfentent les opinions diverfes dont le monde fut agité dans les deux fiécles qui fuivirent l'incendie du capitole. Tome II.

F

Les Romains n'ont point été les feuls qui aient été les victimes de ces fatales prédictions. Environ quatre cents ans avant Augufte, Lyfander, pour faire changer le gouvernement de Sparte & fe faire adjuger la couronne, s'autorifa d'un oracle de Delphes, tenu fort fecret, qui annonçoit la naiffance d'un fils d'Apollon. Mais Sparte, plus heureuse que ne le fut Rome par la fuite, vit échouer les deffeins de l'ambitieux Lyfander.

S. VI.

Ufages de Rome, à la confultation des écrits des Sibylles.

Il est à propos actuellement de confidérer les ufages que les païens pratiquoient après avoir confulté les Sibylles; ces ufages nous feront encore connoître l'efprit de ces fameufes infpirées. En général, on remarque que les Romains fe comportoient comme des gens qui regardoient tous les fléaux du monde phyfique & politique comme des fignes de la colere des dieux. C'eft dans cette idée religieufe que le gouvernement Romain, après avoir confulté les livres des Sibylles & demandé l'avis des pontifes, ordonnoit des jeûnes, des prieres publiques,

des facrifices, des jeux folennels, des fêtes extraordinaires, & fouvent faifoit immoler des victimes humaines. C'eft peut être là ce qui fit inftituer des combats de gladiateurs & des jeux inhumains, dont le fombre de la fuperftition nous expliquera mieux les motifs que la politique féroce des Romains, qui vouloit, dit on, que l'on accoutumât le citoyen à répandre du fang. En effet, il y avoit de ces combats dans les calamités publiques qui faifoient craindre la fin des tems; on les célébroit encore à la fin des périodes. On crut fans doute que ceux qui périffoient dans ces fpectacles fanglans, devenoient des victimes propres à appaiser les fautes du peuple. La religion en fit d'abord des facrifices, la politique enfuite les convertit en spectacles; & le peuple, attaché par fa curiofité aux ufages de fes ancêtres, conferva fon amour pour leurs inftitutions cruelles, &,fatisfit fans remords fa cruauté, religieufe dans fon origine, mais dont le véritable motif fut peu à peu méconnu.

Mais il ne faut pas précisément regar der les ufages dans leur généralité, examinons-en au moins quelques-uns en détail. Pourquoi, par exemple, les Sibylles ordonnoient-elles quelquefois de célébrer

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