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conféquemment la fociété entiere ne fût anéantie. Voilà pourquoi on réservoit le fecret des céremonies religieufes aux feuls initiés, dont on préparoit l'ame à recevoir ces grandes & terribles vérités.

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Opinion des Païens fur les phéno

menes de la nature.

S. I. Examen des différens motifs de terreur qu'excitoient chez les anciens peuples les éclipfes & les autres phénomenes célestes.

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Aintenant que nous pouvons nous flatter de connoître le génie de l'antiquité, & l'efprit de la plupart de fes fêtes & de fes ufages, il ne nous fera pas difficile de retrouver le principe des terreurs dont tous les peuples du monde ont été faifis à la vue des éclipfes, des cometes, des météores, en un mot de tous les phénomenes extraordinaires. Faut-il chercher le principe de ces craintes dans la feule ignorance où les anciens étoient de la cause physique de

L'Antiquité dévoilée.

ces évenemens, ou dans le fouvenir & les impreffions profondes qu'avoient laiffées dans le cœur des hommes les phénomenes qui avoient anciennement accompagné le défaftre du monde ? Il n'eft pas douteux que l'une & l'autre de ces deux caufes n'aient concouru à faire trembler les nations. Moins l'homme eft éclairé plus il eft difpofé à la crainte; mais c'eft fur-tout à la derniere de ces causes qu'il faut recourir, pour expliquer les ufages, fouvent ridicules & bizarres, que les peuples alarmés pratiquoient dans ces occafions.

C'étoit la doctrine des prêtres Etrufques, c'étoit celle de toutes les religions anciennes qui annonçoient la deftruction de l'univers, que la fin des tems feroit précédée par des phénomenes extraordinaires dans le ciel & fur la terre voilà la raison de cette terreur qu'ont eue tous les peuples du monde, à la vue des phénomenes qu'on a appelés les fignes du ciel. Cependant cette raifon n'étoit que fecondaire; ce n'avoit pas été là le motif de l'effroi des premiers hommes; ce n'eft que par la fuite des tems qu'on a voulu lire dans l'avenir, & alors on n'y a vu que ce que l'on avoit déja vu dans le paffé. Dans les premiers tems, les mé

téores, les ténébres, les éclipfes, la défection des aftres n'effrayerent les hommes que parce qu'ils leur rappeloient les anciens défordres de la nature; ce reffentiment eft enfuite devenu un preffentiment qui a effrayé les peuples mêmes qui avoient le plus parfaitement oublié le fouvenir du paffé.

Les raifons que les anciens nous ont données de leurs ufages & de leurs craintes au tems des éclipfes, ne peuvent être d'aucun poids pour nous, elles ne nous préfentent aucun motif précis. C'eft dans le Nord & dans l'Amérique que nous devons aller pour nous affurer que ces terreurs avoient pour motif les révolutions anciennes arrivées à notre globe, & les défordres futurs de l'univers. On voit dans la fable fixieme de l'Edda, que les éclipfes font caufées par un loup qui pourfuit fans ceffe le foleil & la lune : ce loup les atteint quelquefois, il les obfcurcit alors, mais les deux aftres lui échap. pent. Cependant la Mythologie des Scandinaves leur apprenoit que tôt ou tard ces aftres deviendroient la proie de leur ennemi: le loup les faifira tout-à-fait & fans refSource pour les hommes; il les dévorera, après quoi il baignera l'armée de Dieu dans le fang; enfin le monde fera détruit & renouvelé.

Si nous jetons nos regards fur l'Amérique, nous verrons tout le Pérou en allarmes au tems des éclipfes. Le peuple pouffoit alors des cris lamentables; on n'entendoit que des chanfons lugubres, foutenues d'un bruit effroyable de trompettes, de cornets & de tambour; à force de coups de fouet, on faifoit aboyer les. chiens mêmes: l'idée générale étoit que le monde alloit finir, & que les éclipfes annonçoient cet événement. Le dogme de la fin du monde avoit tant de force chez les Péruviens, que, comme ils s'imaginoient que cette fin, qui arriveroit par le feu, feroit précédée de plufieurs années de ftérilité, les grands formoient toujours d'amples magafins de maïs, pour fubfifter pendant la féchereffe. Lorfque l'éclipfe étoit paffée, tout le monde fe livroit à la joie la plus défordonnée.

Nous voyons encore chez les habitans de l'ifle Célebés, des craintes qui avoient pour motif la deftruction du monde. La tradition rappelle à ces peuples, que les anciens défordres de la nature avoient eu pour caufe la querelle du foleil & de la lune : les éclipfes leur font craindre de femblables démêlés & leurs fuites funeftes: même dans les jours non fujets aux éclipfes, fi le foleil vient à être

obfcurci par quelque nuage au moment où on lui adreffe des prieres à fon lever, on le croit irrité, & les infulaires confternés rentrent chez eux pour implorer leurs autres idoles.

On pourroit foupçonner que les anciens Egyptiens avoient les mêmes idées fur les éclipfes, & les regardoient comme des avant-coureurs de la ruine du monde. En effet, ce Typhon qui avoit autrefois causé tant de malheurs, & qui devoit revenir un jour en caufer de nouveaux étoit regardé comme l'auteur des éclipses. Mais, comme tous les points de la théologie Egyptienne n'étoient point connus du vulgaire, on peut dire que le peuple d'Egypte, ainfi que fes contemporains, ignoroit le vrai motif de fes terreurs. En général, les anciens s'effrayoient des éclipfes, comme Pline* le dit des Grecs & des Romains, fans trop fçavoir pourquoi. Ils fe croyoient bien menacés de quelque grand malheur, mais on n'imaginoit point que ce malheur dût intéreffer tout l'univers. On penfoit que les éclipfes préfageoient la mort des rois ou des grands des maladies, des guerres, des calamités particulieres; mais on ne fongeoit point

Hiftoire naturelle, liv, 2, chap. 12..

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