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les mesures nécessaires sont prises, des renforts sont expédiés et en communiquant ces tristes nouvelles à la Chambre le 10 février 1894, M. Casimir-Perier, président du Conseil, fait connaître qu'il ne peut être question d'évacuer Tombouctou, car <«< au point de vue mème de notre sécurité au nord comme au sud ce serait la plus grande des imprudences ». Et une protestation du Maroc, à la suite de l'arrivée d'une délégation d'une partie des habitants de Tombouctou, ne modifie en rien la résolution du gouvernement.

Bientôt les nouvelles de Tombouctou font comprendre en effet que l'affaire de Tacoubao n'a été qu'un douloureux incident. Le commandant Joffre, à la tête de la colonne partie le 27 décembre de Ségou par la rive gauche du Niger, est arrivé le 9 février à Tombouctou après avoir battu le 20 janvier les gens de Niafounké et passé avec beaucoup de difficultés sous le feu de l'ennemi le marigot de Goundam. Il a recueilli à Tacoubao les restes des victimes du combat du 15 janvier : il a trouvé les corps des Européens entassés auprès de celui du colonel, ce qui prouve qu'ils ont défendu chèrement leur vie. Il est chargé du commandement supérieur de Tombouctou. Il construit à Tombouctou le Fort-Bonnier qui commande la ville, à Kabara un blockhaus, à Koriumé un poste, ainsi qu'à Goundam, et il ordonne une série d'opérations qui pacifient les environs de Tombouctou, frappent les Tenguériguif, auteurs du massacre de Tacoubao, les Kel-Antassar de Ngouna et empêchent la formation d'une ligue des Touareg contre les Français. Le 10 mars 1894 le capitaine Gautheron surprend des Irréganaten à Takaïgourou et leur brûle trois campements. Quelques jours après, les capitaines Prost et Gautheron occupent Diré. Le 10 avril, le lieutenant Frantz bat les Kel-Antassar à KaraoKamba. Le 27 mai le capitaine Laperrine reprend le butin pillé à Dongoï par Ngouna, chef des Kel-Antassar. Le 8 juin, c'est le capitaine Gérard qui reprend le butin pillé à Ougoukouré. Le capitaine Puypéroux multiplie les reconnaissances et quand le commandant Joffre quitte Tombouctou le 10 juillet 1894, l'offensive et la mobilité de nos troupes ont réduit les diverses tribus, sauf les Iguellad et les Kel-Antassar de

Ngouna. Mais le colonel Ebener qui succède au colonel Joffre, reçoit un ordre du 11 août 1894 interdisant toute action militaire qui, sans autorisation préalable et formelle, serait faite autrement que pour repousser une agression manifeste. C'est une prescription générale à tout le Soudan: l'initiative du capitaine Nigote, nommé résident à Bandiagara, et qui appuie un effort de notre protégé Aguibou contre Ali Kari, notre vieil ennemi du Bossé, est désavouée, mais le commandant Quiquandon est cependant envoyé à la rescousse et le 1er juillet 1894 Bossé est enlevé et Ali Kari est tué. La colonne Dargelos rassemblée dans le sud-est contre Samory est immobilisée et l'action de la colonne Monteil vers Kong ne sera pas secondée. Autour de Tombouctou cette prescription est particulièrement nuisible l'audace des Touareg a le champ libre : les communications sont coupées entre Goundam et Tombouctou, la route de Kabara ne peut se faire sans escorte, l'autorité de Ngouna va croissant. Il faut détendre la sévérité de l'ordre du 11 août et permettre les reconnaissances entre Tombouctou et Goundam.

Elles amènent un changement, mais la sécurité reste précaire parce que la poursuite ne se fait plus : le 20 mars 1895 le lieutenant Potain est attaqué entre Kabara et Tombouctou et blessé à la tête. Le lieutenant Jacobi défait les Touareg à Djindjin, mais les pillards peuvent d'une façon générale attaquer sans avoir été signalés et fuir sans être poursuivis. Ils sortent à l'improviste de leurs repaires de Farasch ou de Tahakim, attaquent les douars et les convois et se retirent au delà des limites assignées à nos troupes, Il faudra de nouvelles opérations à plus grande envergure pour rendre aux environs de Tombouctou la sécurité.

CHAPITRE VII

LA FORMATION DES COLONIES COTIÈRES

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SOMMAIRE :

Le Sénégal. Campagne du colonel Dodds contre Ali Bouri (1890) et contre Abdoul Boubakar (1891); assassinat d'Abdoul Boubakar. Relations avec les Maures: convention du 29 juillet 1895 avec les Trarzas. Délimitation franco-portugaise et franco-anglaise.

II. — La Guinée française. — L'œuvre de M. Ballay. - Délimitation francoanglaise arrangements du 26 juin 1891 et du 21 janvier 1895. Missions d'exploration. Missions de Beckmann et Alby au Fouta-Diallon. III. La Côte d'Ivoire. Les missions de 1890-91 à la côte assassinat de MM. Voituret et Papillon. Arrangement du 8 décembre 1892 avec le Libéria. Délimitation franco-anglaise: arrangements du 26 juin 1891 et du 12 juillet 1893. Note annexée à l'arrangement franco-anglais du 21 janvier 1895 et relative au Libéria. L'invasion de Samory dans l'arrière-pays de la Côte d'Ivoire massacre du capitaine Ménard, mission du capitaine Marchand. La colonne Monteil (1894-1895).

IV.

V.

Le Dahomey.

méens.

Violation du traité du 3 octobre 1890 par les DahoIncursions de 1891-1892. Envoi du colonel Dodds (30 avril Marche sur Abomey et prise de la

1892). Les premières opérations.

-

ville (17 novembre); déchéance de Behanzin; sa fuite et sa capture par la seconde expédition (25 janvier 1894).

La création du gouvernement général de l'Afrique Occidentale française décret du 15 juin 1895. Les raisons de M. Chautemps, ministre des colonies. - M. Chaudié, gouverneur général.

I

De 1881 à 1890 le Sénégal avait eu huit gouverneurs, dont sept titulaires et un intérimaire envoyé de Paris, et on comprend aisément que la colonie ait souffert d'une pareille instabilité. D'août 1890 à juin 1895 le gouvernement fut confié à M. de Lamothe, ancien gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon, qui avait fait au Sénégal de 1867 à 1871 un séjour de près de

quatre années comme soldat d'infanterie de marine. L'œuvre de pacification et d'organisation fut activement poussée.

Déjà le dernier acte de M. Clément Thomas avait été une énergique répression des agissements d'Ali Bouri, bourba du Djolof. Ce chef n'avait pas gardé longtemps l'attitude soumise à laquelle il s'était engagé par le traité du 18 avril 1885 (1). Quand il eut défait le damel du Cayor à M'Bal'lar'hé, à 6 kilomètres de Yang-Yang, il ne renonça à la poursuite du vaincu que sur les instances du lieutenant Minet, directeur p. i. des affaires indigènes, et contre une indemnité de 20.000 fr. Au début de 1890 il recommença à s'agiter et, des Maures du N'Diambour ayant poursuivi jusqu'au Djolof des Peulhs qui leur avaient razzié des bœufs, il refusa d'accueillir leur réclamation et leur confisqua leurs chameaux. Condamné à la restitution et à une amende de 100 bœufs, il répondit que les Français n'avaient rien à voir dans son pays et qu'il ne se ferait point faute de recommencer à la première occasion. Il songeait à émigrer dans le Ferlo, il comptait sur la valeur de ses soldats qui avaient battu le Cayor, il savait aussi que la plus grande partie de nos tirailleurs avaient été envoyés au Dahomey.

Le colonel Dodds, commandant supérieur des troupes, fut chargé de le châtier. On était au mois de mai et le pays à travers lequel il fallait opérer était un vrai désert. De plus, l'absence des tirailleurs obligeait le colonel à se servir surtout de troupes métropolitaines. La campagne fut cependant énergiquement menée. Avec deux colonnes composées l'une de trois compagnies d'infanterie de marine sous les ordres du commandant Girardot, l'autre de l'escadron de spahis sénégalais sous les ordres du capitaine d'Huteau, renforcées toutes deux de contingents indigènes du N'Diambour, du Oualo et du Cayor, le colonel exécuta une marche rapide qui rassura bien vite les populations et l'amena le 24 mai 1890 devant Yang-Yang, capitale du Djolof. Ali Bouri avait fui, évacuant son tata, incendiant les cases, comblant les puits dont il fallut retirer des cadavres d'animaux en putréfaction avant de pou

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voir ravitailler la colonne qui avait marché avec les réserves d'eau des fûts et des tonnelets. Le 28 mai Dodds proclama la déchéance d'Ali Bouri qui s'était réfugié auprès d'Ahmadou Cheikhou, sultan des Toucouleurs, et devait désormais, ainsi qu'on l'a vu plus haut, suivre le sultan jusqu'au bout dans sa lutte contre les Français et, deux jours après, les Diambours choisissaient comme bourba Samba-Laobé-Penda qui avait rendu les plus grands services à la colonne. Le Djolof était placé sous le protectorat français et s'engageait à ne plus donner asile aux ennemis de la France. Un poste était établi à Yang-Yang et, pendant que le gros de la colonne rentrait à Saint-Louis, les spahis du lieutenant Laperrine, établis à Ouarkor, donnaient la chasse aux dernières bandes d'Ali Bouri qu'elles faillirent surprendre à deux reprises. La colonne, malgré la chaleur torride et grâce aux dispositions prises par son chef, n'avait perdu qu'un sous-officier, mort d'insolation.

Samba-Laobé-Penda gouverna le Djolof jusqu'en 1895 où il fut déporté au Gabon pour avoir appuyé les intrigues d'un marabout nommé Amadou Bemba et ce fut un fils d'Ali Bouri, Bouna N'Diaye, ancien élève de l'école des fils de chefs, qui reçut les fonctions de bourba Djolof: il les remplit encore aujourd'hui.

La colonne menée par le colonel Dodds contre Abdoul Boubakar fut plus longue et plus rude. La paix rétablie par les traités signés par les chefs le 14 avril et le 27 novembre 1883, après que le commandant Voyron eût brûlé les villages d'Odegui et de Kobila, ainsi que par la soumission d'Abdoul Boubakar le 30 août 1885 (1), était toute relative. Les traitants du fleuve étaient soumis à des vexations et à des contributions exorbitantes, la ligne télégraphique était souvent coupée, Abdoul avait pris fait et cause pour Ali Bouri, il caressait toujours le rêve du rétablissement d'un empire toucouleur à son profit dans le Fouta central, on découvrit des lettres de lui à Ahmadou Cheikhou contre lequel nos colonnes soudanaises menaient à ce moment de vigoureuses campagnes, enfin un de

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