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diatement placé sous une garde spéciale de quatre tirailleurs; les abords de la case sont déblayés; le carré est formé à l'entour. Des patrouilles circulent dans tout le camp pour opérer le désarmement, réunir les prises. Les chefs viennent successivement faire leur soumission, chefs de guerre, marabouts et griots. Pendant que les armes, les cartouches, les barils de poudre viennent s'empiler devant la case, on recherche le trésor au village des femmes. A une heure, la favorite Sarankégny, suivie des 300 femmes et des 320 enfants de l'almamy, vient faire sa soumission: les plus jeunes fils de huit à quatorze ans forment un petit groupe qui a fort bon air.

La grosse question qui s'est posée de suite est celle de la bande armée de 150 fusils à tir rapide, commandée par les plus guerriers et les plus influents des fils de Samory, Sarankégny-Mory, Moktar, Daouda, qui est en grand' garde à 10 kilomètres de là.

On ne peut les laisser libres de nous attaquer au milieu de ce désordre. D'un autre côté, je ne puis songer, dans l'ignorance de ce qui nous entoure, à détacher une partie de ma faible troupe. Dans ces conditions, et pour ne pas compromettre le grand résultat obtenu, je suis forcé de promettre la vie sauve à Sarankégny-Mory, Moktar et Daouda, malgré le souvenir de l'odieux guet-apens de Bouna, qui pèse sur le premier. Un de leurs griots leur est envoyé pour leur porter nos conditions. Vers 2 heures, ils arrivent, Sarankégny-Mory en tête, il me tend son sabre d'un grand geste, pendant que les Sofas jettent leurs fusils à nos pieds.

Le lendemain est employé à faire l'inventaire des prises et à détruire les armes et munitions qu'on ne peut emporter. On a trouvé au camp de Guélémou quatre fusils Lebel avec deux baïonnettes, 60 fusils Gras ou Kropatschek, 15 Martiny-Henry ou Winchester, environ 500 fusils à tir rapide de provenances diverses et 1.000 fusils à pierre, 90 caisses de cartouches de modèles variés et dont beaucoup proviennent de la manufacture de Spandau, 20 barils de poudre, des milliers de capsules, un canon (anglais), 60 chevaux, deux mulets, 120 bœufs et un trésor montant à 230.000 francs environ. Les reliques du capitaine Braulot et du lieutenant Bunas sont soigneusement recueillies.

Le nombre des Sofas et des gens de Samory soumis est évalué à 30.000 personnes. Parmi elles Sarakegny, la femme principale, vingt-quatre fils, dont Sarankégny Mory, Moktar, Macé Amara et Daouda, plus de 200 filles, plusieurs de ses frères, une vingtaine de chefs de colonne, dont Sekou Ba qui tua le capitaine Ménard en 1891, plusieurs marabouts et griots,

dont Morifing Dian, le principal confident de Samory, et Amara Diali, l'instigateur du massacre de Bouna. Il faut sans retard renvoyer cette tourbe vers des pays où elle puisse manger. Dès le 1er octobre elle est dirigée sur Touba. La reconnaissance rentre à Beyla. Samory et ses deux fils Moktar et Sarankégny Mory marchent au milieu de la colonne; la fourouba ou réunion des femmes et des enfants et la dembaïa ou ensemble des captifs et de la famille suivent à l'arrière-garde. L'almamy manifeste au départ quelques velléités d'indépendance. Prévenu qu'il sera au besoin emmené de force, il se calme et désormais il devient plus confiant. Il élude les questions qui se rapportent à ses luttes contre nous : « Ça, dit-il, ce sont de mauvaises choses passées, il ne faut pas en parler ». Le capitaine Gouraud trace de lui ce portrait : « Physiquement c'est un homme robuste, grand, aux épaules un peu hautes. Une barbiche grisonnante indique seulement son age, 60 ou 65 ans. Les yeux, enfoncés sous l'arcade sourcillière, sont vifs, rusés. Le nez gros, une grande bouche, où rient des dents éclatantes qu'il frotte continuellement avec rage avec des morceaux de bois tendre. Sa physionomie exprime l'intelligence, la duplicité et une certaine bonhomie railleuse. Il ne se défend pas de ses cruautés, mais elles lui semblent naturelles il les considère comme une conséquence de la guerre, telle que la comprennent et la font tous les noirs, dans toute l'Afrique.

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Quelques jours après, le capitaine Gouraud remet Samory aux mains du commandant de Lartigue et toute la colonne rentre à Beyla où le drapeau est solennellement hissé sur le poste en présence de l'almamy pour lui montrer que sa chute est consommée. D'ailleurs il peut s'en rendre compte par la défection de ses guerriers et même de ses fils; tous lui jettent la pierre et l'accusent des crimes commis par eux-mêmes; ses femmes, ses enfants demandent à ne pas le suivre dans son exil.

Il est immédiatement conduit à Kayes et là, le 22 décembre, le général de Trentinian, qui a repris le gouvernement du Soudan, dans une sorte de cour de justice solennelle bien faite pour frapper l'imagination des noirs, lui rappelle ses cruautés et ses massacres, mais lui annonce que la France lui

fait grace de la vie et qu'il sera déporté avec Sarankégny Mory et le griot Morifingdian dans une contrée lointaine où l'on ignore son nom et ses forfaits; les autres chefs samoryens seront internés à Tombouctou et au Sahel. Samory proteste contre l'exil : il préférerait la mort et au moment même où on veut l'embarquer à Dakar pour le Congo, il tente de se suicider d'un coup de couteau. Il ne réussit qu'à retarder son départ. Le 4 février 1899, après avoir vu à Dakar M. Binger, directeur des affaires d'Afrique au ministère des Colonies, qui lui a rappelé son entrevue d'autrefois devant Sikasso, il quitte définitivement la terre d'Afrique Occidentale pour aller achever son existence au poste de N'Djolé (Congo français) où il meurt le 2 juin 1900.

La vigoureuse campagne dirigée par le commandant de Lartigue, suivant de près la prise de Sikasso et la marche de la colonne Pineau, et marquée par le combat de Doué et surtout par les deux beaux faits d'armes du combat de Tiaféso et de la surprise de Guélémou, obtient un résultat immédiat les soumissions affluent de toutes parts, le prestige de la France en est presque doublé, et toute la région que Samory a battue, ruinée et dépeuplée pendant plus de quinze ans s'ouvre à l'activité colonisatrice de la France. C'est la fin du dernier des conquérants noirs du Soudan français. Deux ans après, la France détruira dans Rabah le dernier grand conquérant noir de l'Afrique centrale.

CHAPITRE XI

LE GOUVERNEMENT GENERAL ET LE DÉVELOPPEMENT DES COLONIES DU GROUPE DE 1895 A 1900

SOMMAIRE :

I.

Le gouvernement général.

-

- Le Le décret du 25 septembre 1896. voyage de M. André Lebon, ministre des Colonies, au Sénégal et au Soudan (1897). Le décret de dislocation du Soudan français (17 octobre 1899). M. Ballay gouverneur général (1er novembre 1900).

II. Le Sénégal. Le développement économique. La fièvre jaune (1900). M. Ballay au Sénégal.

III.

Le Soudan français et l'œuvre du général de Trentinian. La pacification de la région nord: opérations autour de Tombouctou (1895) et dans l'aval de Tombouctou (affaire de Rhergo, colonne Goldschoen-Klobb); colonnes Klobb et Crave (1898-1899); mission Coppolani en pays maure et vers Araouan; convention franco-espagnole du 27 juin 1900; mission Blanchet dans l'Adrar. Sur la rive gauche du Niger. Massacre de la mission Cazemajou à Zinder (5 mai 1898, mission de l'Afrique centrale : meurtre du colonel Klobb (14 juillet 1899); reprise de la mission par les lieutenants Joalland et Meynier et participation à la destruction de l'empire de Rabah. Constitution du troisième territoire militaire. Du Soudan à la Côte d'Ivoire: missions Blondiaux, Hostains, Wolffel-Mangin, Hostainsd'Ollone. L'œuvre administrative et coloniale du général de Trentinian : les réformes et les études, expérience cotonnière, missions d'études, progrès du chemin de fer. Dislocation du Soudan français.

Etablissement de la domination française au Fouta-Diallon et adoption du projet de chemin de fer.- Mission Maclaud.

Opérations de pacification.

IV.

La Guinée française.

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Le Dahomey. Organisation intérieure.

mission Guyon.

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I

Le gouvernement général de l'Afrique Occidentale, institué par le décret du 16 juin 1895, se développe de 1895 à 1900 au

fur et à mesure que la délimitation et la pacification s'accomplissent et le perfectionnement de cet organe de centralisation. se poursuit en même temps que l'autonomie des colonies qui en constituent les éléments.

Un décret du 25 septembre 1896, rendu sur la proposition

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Gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française

de M. André Lebon, ministre des colonies, apporte une première modification. Le Dahomey était demeuré en dehors du gouvernement général aux termes du décret du 16 juin 1895. Le nouveau décret donne à la colonie de la Côte d'Ivoire la même situation : elle est détachée du gouvernement général et son gouverneur se bornera à adresser au gouverneur général un duplicata de tous ses rapports politiques et militaires. «< La

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