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Il n'est peut-être pas un de ces caractères qui ne soit contraire à ceux de la France. C'est dire d'avance que la tentative d'acclimater chez nous cette plante du Nord dut en grande partie échouer. Mais elle pouvait, elle devait nécessairement et cela seul est un service immense produire dans notre littérature un ébranlerent des vieux préjugés, et nous engager, par l'émulation, à redevenir vraiment Français, comme nos voisins étaient redevenus Allemands. En fait, elle nous encouragea à secouer le joug de la formule, de la règle vaine établie par l'usage et qui ne repose point sur la raison. Or, c'est là, nous l'avons dit, le but où semblent se diriger toutes les forces vives de notre siècle.

Mouvement romantique en Angleterre; Walter Scott les lakists; Byron.

L'Allemagne, avant d'envahir la France, s'adjoignit l'Angleterre et l'entraîna à sa suite.

A l'aspect de la résurrection du génie germanique, la Grande-Bretagne sentit s'émouvoir son vieux sang saxon longtemps engourdi dans ses veines. Elle se ressouvint du grand siècle d'Élisabeth, se reprit à adorer son Shakspeare, à relire ses vieilles ballades, remises au jour par l'évêque Percy. Walter Scott, le chantre national de l'Écosse, fut aussi le chantre du moyen âge, le dernier des ménestrels. Poëte, il fit revivre

Le haubert et l'écu, l'écharpe et le cimier,
La fée et le géant, le nain et l'écuyer'.

Prosateur, il créa le roman historique; il enseigna par son exemple quel charme la peinture des événements et des mœurs du passé pouvait rendre aux combinaisons usées de la fiction romanesque, à la peinture abstraite et générale des passions et des caractères.

De tous les rôles de la poésie moderne, Walter Scott a

Shield and lance, and brand, and plume, and scarf,

Fay, giant, dragon, squire, and dwarf. »

choisi le plus brillant, le plus populaire, le moins difficile peut-être, s'il était jamais facile d'avoir du génie. A un siècle. curieux du passé et inquiet d'un mystérieux avenir, ce fut le passé qu'il rendit: il berça les angoisses du cœur par ses récits pleins d'intérêt. Du reste, il ne s'élève point dans les hautes régions de la pensée jamais il ne nous enflamme d'enthousiasme et ne nous attendrit par le pathétique. Il écrit pour la masse du public et s'abstient sagement de toute passion exceptionnelle, de tout sentiment auquel la majorité des hommes pourrait demeurer étrangère. Content d'inspirer à ses lecteurs les affections qu'un homme bon, brave, généreux, éprouve naturellement dans les circonstances ordinaires de la vie, il n'essaye pas même de faire naître en eux cette exal'tation qui dédaigne les choses du monde, ni cette profonde sensibilité qui désenchante des plaisirs.

Cet élan vers l'idéal, qui donnait à la muse allemande tant de puissance et de charme, se retrouva en Angleterre dans l'école des lacs (lakists)', chez Wordsworth, Coleridge, Southey, Wilson. Coleridge avait fréquenté les universités allemandes; il passait, en Angleterre, pour le seul homme qui comprit parfaitement Kant et Fichte. Il avait traduit plusieurs pièces de Schiller. Wordsworth semblait réaliser l'idée que l'imagination aime à se faire du poëte inspiré. Il regardait la poésie comme une religion, une espèce de platonisme chrétien fondé sur l'harmonie morale de l'univers. Pour lui et pour ses confrères, toute la nature était vivante, l'Océan avait une âme qui parlait en secret à la leur. « La cataracte retentissante les poursuivait comme une passion; le rocher élevé, la montagne, la forêt sombre et profonde, leurs couleurs et leurs formes étaient pour eux un désir, un sentiment et un amour2. » A cette inspiration panthéistique, qui était celle

Ainsi nommée parce que les principaux poëtes qui la composaient avaient habité les lacs de Westmoreland et de Cumberland.

2.

« The sounding cataract

Haunted me like a passion; the tall rock,

The mountain, and the deep and gloomy wood,
Their colours and their forms, were then to me

An appetite, a feeling and a love. »

Wordsworth, Tintern Abbey.

de Goethe, et que nous retrouvons si souvent en France chez les poëtes contemporains, se joignit chez les lakists, comme conséquence naturelle, une certaine affectation de simplicité dans le choix des sujets. Pour eux aussi, comme pour le poëte aliemand, il n'est pas de matière étrangère à la poésie. Les héros qu'ils chantent, les circonstances où ils les placent n'ont rien qui s'éloigne de la classe la plus commune. Ils cherchent dans l'expression les nuances les plus familières et fuient avec soin la phraséologie réputée poétique. Si quelque chose manque à l'école des lacs, c'est l'énergie dans la passion, la netteté et la précision dans le dessin. Les lakists sont des poëtes passifs, des échos mélodieux de la nature, qu'ils répètent sans réagir sur elle.

Tout autre est le caractère de Byron. Il est poëte surtout par ses émotions personnelles, mais ces émotions sont celles de tout un siècle. Si le jour où les peuples détruisent est un jour d'imprudente confiance et de funeste ivresse, le lendemain est un jour de tristesse et d'effroi, quand, jetant les yeux sur les croyances et les institutions de leurs pères, ils n'aperçoivent plus que des ruines, et au delà un vide affreux. Alors, pareils à ces morts que Jean-Paul réveille dans leurs tombeaux et qui cherchent en vain le Christ dans un ciel désert, les peuples, dépossédés de leur foi, se replient sur eux-mêmes avec un sombre désespoir. Ils demandent à tout l'univers ce Dieu qu'ils ont perdu, ils le cherchent avec douleur dans la nature impassible, qu'ils animent de leur propre vie, qu'ils échauffent de leur amour. Tel fut l'état général des esprits vers la fin du dix-huitième siècle et le commencement du nôtre. Schiller, dans ses Brigands, Goethe surtout, dans son Werther en furent un jour la puissante expression. Goethe, l'artiste philosophe, qui a conscience de tout ce qu'il fait, nous déclare lui-même que « Werther fut une étincelle jetée sur une mine fortement chargée : c'était l'expression du malaise général; l'explosion fut donc rapide et terrible. » Mais ces deux grands poëtes ne firent que traverser la région des orages et s'élevèrent bientôt dans le temple serein de la Sagesse. Ils devinrent, comme disait Schiller mourant, toujours mieux, toujours plus tranquilles. Byron resta et mourut dans

la tempête ce fut là son élément. Dans tous les sujets, sous vingt noms divers, sous les traits de Childe-Harold, du Corsaire, de Lara, de Manfred, c'est toujours lui-même, toujours la même souffrance qu'il nous présente. Son œuvre tout entière ressemble à un de ces drames primitifs d'Eschyle, qui ne sont que l'expression d'une seule idée, d'un seul sentiment, d'une seule situation, et qui excitent toutefois dans l'âme une émotion toujours croissante, qui vous retiennent frappé de stupeur, à la vue de ces formes majestueuses, de ces proportions gigantesques que le poëte sait prêter à la nature humaine. C'est Prométhée sur le Caucase, sanglant et enchaîné, immobile, mais terrible. Le vide de l'âme, le tourment d'une vie sans but, d'une activité sans objet, telle était la maladie de l'époque Byron eut, dans son esprit et dans son cœur, les mêmes souffrances. Des émotions générales de ses contemporains, sa destinée avait fait pour lui des émotions personnelles. Pour qu'il sentît mieux ce vide de l'esprit, elle lui avait donné une vaste intelligence; pour qu'il souffrît davantage de ce vide du cœur, elle lui avait donné un cœur aimant. Puis, comme à dessein et par un jeu cruel, arrachant la vérité à cette intelligence, enlevant tout digne objet à ce cœur passionné, elle l'avait condamné à rouler éternellement sur luimême, à se nourrir de sa propre substance, à être ainsi l'image la plus vraie et la plus infortunée de ce siècle qu'il devait peindre. Aussi l'impiété et même l'ironie de Byron ont-elles un caractère bien différent de celles de nos encyclopédistes. Elles laissent percer une émotion vive et douloureuse, une poétique aspiration vers une vérité inconnue mais adorée. Byron, incrédule par l'esprit, est profondément religieux par le cœur.

Nous venons de reconnaître, sans entrer encore en France, les principaux caractères de la littérature française sous la Restauration; nous pouvons les résumer en quelques mots : insurrection contre les lois arbitraires et quelquefois légitimes de la poétique; besoin douloureux d'une croyance; retour vers le moyen âge, époque de la foi ancienne; amour passionné de la nature, où quelques-uns espèrent trouver une foi nouvelle. C'est en France maintenant que nous allons étudier les mêmes tendances.

LITT. FR.

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CHAPITRE XLV.

RENAISSANCE DE LA POÉSIE.

Casimir

Esprit littéraire de la Restauration. La Muse française; l'opposition.
Premières odes de M. Victor Hugo; M. de Lamartine.
Delavigne; Béranger,

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Esprit littéraire de la Restauration.

Les premières années de la Restauration furent aussi peu favorables à la littérature que l'avait été l'époque impériale. Les intérêts politiques, l'établissement du régime constitutionnel absorbaient toutes les forces des intelligences. Rien ne semblait présager à la poésie une régénération prochaine. Les partis politiques, divisés sur tout le reste, ne s'entendaient que dans leur attachement superstitieux aux anciennes formes littéraires. Les royalistes y voyaient une autorité, une tradition; la littérature de Louis XIV leur semblait le complément de sa monarchie. Les libéraux s'y attachaient en souvenir de Voltaire. Ils aimaient dans cette littérature l'instrument de leur victoire et le garant de la liberté.

Cependant les circonstances, plus fortes que les préjugés, préparaient un changement dans les lettres. Les grands écrivains dont nous avons parlé dans notre avant-dernier chapitre, Chateaubriand et Mme de Staël, continuaient leur glorieuse carrière. Persécutés par Napoléon, leur talent semblait triompher de sa chute. Les salons élégants leur pardonnaient facilement leurs hérésies littéraires en faveur de leurs hostilités contre l'usurpateur et de leurs tendances religieuses. La piété était chez plusieurs un besoin, chez beaucoup une mode. On se fit catholique sous la restauration de Louis XVIII, comme les Anglais s'étaient faits libertins sous celle de Charles II, par réaction politique. La monarchie légitime cherchait des droits dans le passé; la littérature y trouva des

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