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AN 3

de bascule, dont l'effet devait être de faire exterminer tous les Français les uns par les autres, pour conserver la puissance et faire la fortune de quelques ambitieux, de quelques obscurs misérables.

L'attaque de la jeunesse de Fréron, ainsi appelée, parce que c'est la jeunesse qui se porte toujours en avant dans de telles circonstances, mais, en effet, de tous ceux qui avaient souffert des cruautés révolutionnaires, fut dirigée contre Carrier et la société des Jacobins où ce barbare avait réuni le dangereux faisceau de ses complices; là, figuraient les membres des anciens comités qui conservaient encore dans l'assemblée un parti nombreux et puissant. Le comité de sûreté générale qui était devenu entièrement thermidorien, au lieu d'arrêter, en sa qualité de chef de la police, les attroupemens violens qui avaient lieu tous les jours au PalaisRoyal, dans le jardin des Tuileries, dans les cafés, les spectacles et autres lieux publics, au lieu d'empêcher les coups de bâton qu'on y distribuait aux Jacobins et qu'ils rendaient quelquefois, excitait au contraire tous ces désordres, par ses conseils et ses agens,en se mêlant furtivementaux réactionnaires, se mettaient à leur tête et leur donnaient l'exemple.

Un

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Un jeune homme nommé M. Souriguières (1), publia par opposition aux chants révolutionnaires, des strophes dirigées contre les Jacobins, qu'il appela le Réveil du Peuple, par allusion à ce qu'avait dit Billaud-Varennes, en menaçant ses adversaires du Réveil du lion. M. Gaveaux, musicien distingué, composa pour ces strophes, une musique brillante; et bientôt le Réveil du Peuple fut adopté par le gouvernement lui-même; la musique de la garde eut ordre de le jouer à la parade; on le joua, on le chanta dans le sein de la convention même. M. Bailleul et autres, qui depuis ne l'ont plus appelé que le chant homicide, l'appelaient le chant de thermidor; il fut joué par les musiciens de toutes les troupes françaises; on le fit jouer au spectacle; dans les entr'actes on le fit chanter par les acteurs. Enfin on n'entendait plus dans toute la France que le Réveil dú Peuple. La Marseillaise fut avilie, comme ayant été chantée par les assassins de septembre, de sorte que ces deux airs, alterna

(1) Auteur de plusieurs pièces de théâtre, et condamné à la déportation, par suite des événemens du 18 fructidor an v, comme l'an des rédacteurs du journal intitulé le Miroir.

tivement entonnés par les deux partis, ne AN 3. furent plus que le signal des combats, et un appel à la persécution. On ne saurait croire combien le Réveil du Peuple donna de force à l'opinion. Les jeunes gens au nombre desquels il se trouvait beaucoup de personnes qui ne l'étaient pas, marchaient en colonnes dans les rues, en chantant cet air de toute la force de leurs poumons, et chassaient les Jacobins de tous les lieux publics où ils formaient des rassemblemens.

Pendant ce temps la société des Jacobins, appuyée par un grand nombre deconventionnels, et que pour cette raison on n'osait encore attaquer, défendait Carrier avec beaucoup d'opiniâtreté; mais elle avait perdu son influence dans les sections. La commune, qui y avait nourri l'esprit jacobite avant le 9 thermidor, n'existait plus; privés de cet appui, les anciens dominateurs étaient isolés et gardaient le silence: Ceux des prisonniers qui avaient échappé au tribunal révolutionnaire, avaient reparu dans les assemblées, et en avaient entièrement fait changer le système; les Jacobins n'osaient plus y figurer, ou ne s'y montraient que pour atténuer, par leurs dénégations, les accusations violentes qu'on ne cessait de diriger contre eux; il ne leur res

tait plus d'asile que dans leur société, AN 3.

encore était-elle successivement abandonnée

par

les hommes qui, n'ayant agi qu'en sousordre, se flattaient de pouvoir disparaître à la faveur de leur obscurité.

En vain les principaux chefs, à qui leur célébrité rendait toute espèce d'évasion impossible, venaient-ils essayer tous les jours d'y réchauffer le patriotisme languissant; leur voix avait perdu son ancien empire: le rocher de la montagne restait désert (1);

(1) Je me glissais quelquefois dans les tribunes des Jacobins ; c'était là qu'en observant leurs manoeuvres, il était facile, pour quiconque connaissait un peu Jeur tactique, de prévoir quels seraient les événemens; c'était là que se formait l'ordre de bataille: je les entendais gémir sur leur abandon, et ces gémissemens étaient un aveu de leur faiblesse. On ne saurait croire combien il

s'y débitait d'extravagances, d'inconcevables absurdités. Un jour M. Garnier (de Saintes), membre de la convention, se promenait sur les hauts bancs de la salle de la société, dans l'attitude de l'un de ces personnages dont les poésies d'Ossian nons ont laissé l'idée, et là, il déplorait l'abandon dans lequel les montagnards avaient laissé le rocher de la montagne sainte :

« Je suis monté sur la montagne, disait-il, j'ai vu «ses habitans épars; j'ai gravi sur le rocher d'où na« guères le patriotimse révolutionnaires lançait sa fou« dre, je l'ai trouvé désert, abandonné: . . »

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Carrier ne manquait cependant pas de se trouver à toutes les séances, pour invoquer le patriotisme des patriotes purs ; c'est ainsi qu'on appelait les plus intrépides exterminateurs de l'espèce humaine : le nombre en diminuait tous les jours, tandis que celui de leurs adversaires croissait à chaque instant; enfin, les Jacobins avaient perdu partout leur prépondérance: ils étaient confinés dans leur salle, et s'attendaient à y être bientôt assiégés; néanmoins ils fesaient encore bonne contenance, et dénonçaient toujours avec leur véhémence accoutumée les royalistes, les aristocrates, les modérés, les perfides Feuillans, et même les infames fédéralistes, mais tout cela ne dépassait pas l'enceinte de la salle. Les cent bras de ces Briarées, n'aguère appesantis sur toute la France, étaient tout-à-coup devenus paralytiques; on venait les insulter jusqu'à la porte de leur assemblée, et une pareille audace qui, quelques mois auparavant, eût provoqué mille morts contre ses auteurs, n'excitait plus que des huées et des éclats de rire aux dépens de ceux qu'elle attaquait; on venait même se moquer d'eux jusque dans leurs tribunes.

Un jour, une personne de ma connais

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