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qu'il envoyait à Molière pour ses étrennes de 1663, quatre jours après la première représentation (1):

En vain mille jaloux esprits,

Molière, osent avec mépris
Censurer ton plus bel ouvrage;
Sa charmante naïveté

S'en va pour jamais d'âge en âge
Divertir la postérité.

Ta muse avec utilité

Dit plaisamment la vérité ;

Chacun profite à ton Ecole;

Tout en est beau, tout en est bon;
Et ta plus burlesque parole

Est souvent un docte sermon (2).

Ce sont, dans l'une et l'autre Ecole, d'honnêtes amants qui enlèvent et épousent Isabelle et Agnès ; mais qui ne sent que la leçon va plus loin, et que, dans la vie, qui n'est point une comédie, c'est à la perte et au déshonneur qu'aboutit presque toujours cette contrainte coupable imposée à la personne et à l'âme?

(1) 26 décembre 1662.

(2) Boileau, Stances à M. Molière, 1er janvier 1663. Voir encore sur l'Ecole des Femmes: Laharpe, Cours de Littérature, partie II, liv. I, chap. vi, sect. 2; D. Nisard, Histoire de la Littérature française, liv. III, chap. Ix, § 3.

CHAPITRE VI.

LES FEMMES.

Mais si la femme doit jouir d'une honorable liberté et être pourvue d'une instruction discrète, ce n'est pas pour en abuser. Il faut qu'elle ait le sentiment profond de ses devoirs; et c'est pour les mieux accomplir qu'elle doit user des droits que Molière réclame.

Fille, qu'elle soit modeste et douce comme Henriette (1) et Angélique (2). Qu'elle soit parée de réserve et de pudeur, non pas de la pudeur farouche des bégueules, qui n'est qu'affectation et hypocrisie, mais de la simple et franche honnêteté d'Eliante (3), d'Elmire (4), d'Uranie (5) : « L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre, et je ne vois rien de si ridicule que cette dé

(1) Les Femmes savantes, act. III.

(2) Le Malade imaginaire, act. II, sc. vII. (3) Le Misanthrope.

(4) Le Tartuffe.

(5) La Critique de l'Ecole des Femmes.

licatesse d'honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s'offense de l'ombre des choses (1). »

Que le naturel du cœur et de l'esprit soit son charme (2). Que le respect et l'affection envers ses parents ne soient diminués ni par leurs ridicules ni par leur injustice même (3). Qu'elle soit confiante en sa mère comme Lucile (4), en son père comme Henriette (5); et qu'elle préfère, malgré leurs manies ou leur sévérité, ces confidents qui l'aiment, aux Nérines et à toutes les femmes d'intrigue (6). Qu'elle ait pour eux ce cœur filial, toujours soumis et toujours aimant, qui fait dire à Mariane, quand elle découvre le père qu'elle n'a jamais connu, ce mot si touchant: « C'est vous que ma mère a tant pleuré (7)? »

Qu'elle songe à l'avenir, et que, sous tous les dehors de la grâce et de l'esprit, elle nourrisse au fond du cœur la sérieuse pensée du devoir, de l'époux qu'elle devra aimer, des enfants qu'elle devra élever (8).

Qu'elle s'exerce d'avance à tous les devoirs de sa

(1) La Critique de l'Ecole des Femmes, sc. III.

(2) Voir surtout le Misanthrope et les Femmes savantes.

(3) Le Tartuffe, act. II, sc. I, III, Mariane; l'Avare, Elise; M. de Pourceaugnac, act. I, sc. IV, Julie; les Femmes savantes, Henriette; le Malade imaginaire, act. III, sc. xx et suiv., Angélique.

(4) Le Bourgeois gentilhomme.

(5) Les Femmes savantes.

(6) Voir surtout M. de Pourceaugnac.

(7) L'Avare, act. V, sc. v.

(8) Les Femmes savantes, Henriette; le Malade imaginaire, Angélique.

vie future par la soumission, et qu'elle n'oublie qu'à la dernière extrémité l'obéissance, mais jamais le respect, dus à ceux que Dieu lui a donnés pour maîtres (1).

Amante, que la pudeur avant tout, et l'honneur, et l'abnégation soient les vertus qui l'élèvent et la rendent digne de devenir femme (2).

Epouse, que son mari et ses enfants deviennent sa vie; que le monde, les plaisirs de toute sorte (3) les vanités de l'esprit (4), la coquetterie (5), la frivolité, soient oubliés, pour faire place aux devoirs et aux joies du foyer. Que la gracieuse Henriette devienne sans effort la digne Elmire; car on ne peut guère citer comme modèle d'épouse, malgré la grâce et la chasteté antique de son amour, la mythologique Alcmène (6).

Peut-être Elmire est-elle moins remarquée que d'autres parmi les femmes de Molière ce manque d'éclat même est une de ses qualités. Jeune, belle,

(1) Le Tartuffe, l'Avare, le Bourgeois gentilhomme, les Femmes savantes, le Malade imaginaire. Remarquer particulièrement le mot d'Angélique à son oncle Béralde, quand celui-ci veut faire jouer à Argan le premier personnage dans la Cérémonie du Malade imaginaire : « Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père» (act. III, sc. xxIII).

(2) Voir plus loin chap. VII et VIII.

(3) Le Mariage forcé, Dorimène.

(4) Les Femmes savantes, Philaminte.

(5) Le Misanthrope, Célimène. Voir plus loin, p. 112.

(6) Amphytrion, act. I, sc. ; act. II, sc. II, VI. D'ailleurs Alemène est bien une épouse passionnée, mais non une mère de famille,

capable d'inspirer une passion folle, elle s'est enfermée dans sa famille, et, sans quitter le monde, elle a su renoncer aux triomphes mondains. Quoique mariée à un homme âgé qui ne l'apprécie pas, elle ne songe plus à être regardée, et cette modestie est le couronnement de tous les autres mérites qui font d'elle une femme accomplie (1). Sa vertu, douce et cachée, n'est pas pour cela moins ferme que l'in-, traitable vertu d'Alceste. Sur l'honneur et le devoir, elle est inébranlable (2); mais elle les pratique si naturellement, qu'elle n'y croit avoir aucune gloire, et n'en tire aucun orgueil. Que son mari soit sot et crédule (3), que sa belle-mère vienne se mêler de donner chez elle des avis absurdes (4), son affection ni son respect pour eux ne sont pas diminués. Ce qui surtout est admirable en elle, c'est, à tant de vertu, de joindre tant d'indulgence, de rester si bonne et si calme au milieu des tempêtes d'une maison bouleversée par les entreprises d'un si audacieux hypocrite. Les autres ont beau faillir, elle ne faiblit

(1) « Molière avait confié le rôle d'Elmire à sa femme. Comme elle prévoyait bien que cette pièce attirerait beaucoup de monde, Mlle Molière avait à cœur de s'y faire remarquer par l'éclat de sa toilette; elle commanda donc un habit magnifique sans en rien dire à son mari, et, le jour de la représentation, elle se mit de très-bonne heure en devoir de s'en vêtir. Molière, en faisant sa ronde, entra dans sa loge pour voir si elle se préparait : Comment donc, dit-il en la voyant si parée, que voulez-vous dire avec cet ajustement?... Déshabillez-vous vite et prenez un habit convenable à la situation où vous devez être. » J. Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, liv. III.

(2) Le Tartuffe,act.I11,[sc. III.

(3) Id., act. III, sc. VI, VII.

(4) Id., act. I, sc. I,

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