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jamais; ils ont beau méconnaître ses mérites et attaquer sa conduite, jamais de sa bouche ne sort un mot de blâme ou d'aigreur aux injures de Mme Pernelle, elle n'oppose qu'un doux et digne silence (1); à l'impudente déclaration de Tartuffe, elle ne répond qu'avec le mépris serein de la véritable vertu, assez forte pour se défendre sans colère (2). Quand le fils d'Orgon, outré de tant de scélératesse et emporté par la fougue de son âge, veut tout révéler au père, elle dit :

Non, Damis; il suffit qu'il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce où je m'engage.
Puisque je l'ai promis, ne m'en dédites pas.
Ce n'est pas mon humeur de faire des éclats;
Une femme se rit de sottises pareilles,

Et jamais d'un mari n'en trouble les oreilles (3).

Et quand le fils terrible a parlé, elle dit encore pour calmer la colère d'Orgon et éviter un scandale inutile:

Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos
On ne doit d'un mari traverser le repos ;

Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépendre,
Et qu'il suffit pour nous de savoir nous défendre (4).

Si tant de réserve était inspiré par la constance d'une âme qui se sent inébranlable, ce serait beau : mais à cette intrépidité de conscience se joint, chez

(1) Le Tartuffe, act. I, sc. 1.

(2) Id., act. III, sc. III. (3) Id., act. III, sc. IV.

(4) Id., act. III, sc. v.

Elmire, quelque chose de plus beau : l'amour pour ses enfants d'adoption. Ce n'est pas une marâtre qui supporte une belle-fille : c'est une mère qui veille au salut de sa fille, et qui pousse le dévouement maternel jusqu'à ménager l'ennemi domestique (1).

Quelque embrouillées que soient les affaires de la maison, Elmire songe à tout, à son honneur à elle, au bien de son mari, à la réputation des siens, à la paix du ménage, à l'avenir et au bonheur des enfants. Enfin, quand elle voit tous ses efforts sur le point d'échouer, c'est elle-même qui se décide à éclairer le père pris pour dupe et l'époux outrage; c'est l'épouse, c'est la mère par amour et par devoir, sinon par nature, qui se chargera de cette tâche, et qui se sentira assez inattaquable pour offrir au chef de famille le spectacle des attaques dont elle est l'objet. Quel coup de maître, que de montrer la vertu dans cette épreuve où elle seule peut passer intacte ! C'est là qu'apparaît Elmire dans sa gloire, quand elle sait rester chaste en étant coquette, et rehausser son honneur en jouant le rôle le moins honorant. On admire, sans trouver de termes pour la louer, cette scène étonnante, où, avec une vérité crue et une hardiesse sans exemple, sont placés face à face le vice et la vertu, dans une situation si critique, qu'il fallait toute l'audace du génie pour l'aborder. Elmire y montre que, pour être vertueuse, on n'est pas condamnée à n'avoir ni esprit ni agrément : la grâce,

(1) Le Tartuffe, act. III, sc. Iv.

les fines reparties, l'à-propos, tous les charmes féminins brillent en tout ce qu'elle dit (1). Elle a sauvé la maison, et n'est pour cela ni plus fière ni plus sévère envers le mari qui l'a ruinée. Toujours égale en son humeur, elle apporte la consolation et l'indulgence là où elle aurait le droit d'accuser (2). Elle reste inébranlable dans son rôle saint et charmant d'épouse, de mère, et même de femme d'esprit, ce qui ne gâte rien.

Mère, en vieillissant, elle n'ira pas, comme Mme Pernelle, compromettre, par la sottise et le radotage, le respect dû à ses cheveux gris, ni montrer que l'entêtement d'un vieillard peut être plus absurde que celui d'un enfant (3). Elle ne deviendra pas, comme Béline, un monstre dans lequel l'égoïsme et l'avarice ont effacé tout ce qui restait de la femme (4); ni, comme Philaminte, une pédante orgueilleuse qui sacrifie son mari, sa fille, sa maison à la vanité du bel esprit (5); ni, comme Mme de Sotenville, une folle de noblesse, en qui l'amour du nom et du titre a tué tout autre sentiment, et qui croit qu'une famille n'est qu'une généalogie (6). Elle sera, comme

(1) Le Tartuffe, act. IV, sc. I-VII.

(2) Id., act. V, sc. III, V, VII. Elmire ne dit pas deux mots pendant toutes les invectives de Mme Pernelle et les larmes d'Orgon.

(3) Le Tartuffe, act. I, sc. 1; act. V, sc. II.

(4) Le Malade imaginaire, act. 1, sc. VII-IX; act. II, sc. vII; act. III, sc. XVIII. (5) Les Femmes savantes, voir plus haut, chap. V.

(6) Le Mari confondu, act. I, sc. IV, VI, VII; act. II, sc. IX, XI, XII; act. III,

SC. XIV.

Mme Jourdain, avec plus de grâce et d'esprit si elle peut, la mère de famille qui veille à tout, même quand le père oublie son devoir et quitte son rôle de chef respecté (1).

Servante même, la femme aura des devoirs auxquels Molière a songé. Elle sera fidèle et dévouée. Quand la mère manquera, elle la remplacera auprès des filles, comme Lisette (2), Dorine (3), ou Toinette (4). Elle ne sera point une femme d'intrigue ou une complice de désordres (5). Elle deviendra la sauvegarde et l'honneur de la famille, comme la sage et rieuse Nicole (6) et la médecine Toinette (7). Et quand la maison, par l'erreur ou la faiblesse des chefs, s'en ira comme un navire sans pilote, ce sera elle, s'il le faut, qui prendra en main le gouvernail, et, par l'autorité du dévouement et du bon sens, sauvera la famille, comme fait Martine (8).

(1) Le Bourgeois gentilhomme, act. III, sc. III-VII, XII, XIII; act. IV, sc. ii, III; act. V, sc. I, VII. - Voir d'ailleurs sur la femme mariée et la mère de fa-mille, plus loin, chap. VIII.

(2) L'Amour médecin, act. I, sc. III, IV, VI; act. II, sc. I, II; act. III, sc.

II-VII.

(3) Le Tartuffe, act. I, sc. Iv; act. II, sc. II-IV; act. III, sc. 1.

(4) Le Malade imaginaire, act. I, sc. Iv, v, x; act. II, sc. I-IX; act. III, sc. 1,

II, X-XXIII.

(5) Le Dépit amoureux, Frosine; le Mari confondu, Claudine; l'Avare, Frosine; M. de Pourceaugnac, Nérine.

(6) Le Bourgeois gentilhomme, act. III, sc. II-VIII, X-XIII.

(7) Le Malade imaginaire, voir note 4.

(8) Les Femmes savantes, act. V, sc. III.

Mais, fille ou mère, épouse ou servante, qu'elle soit douce et gaie. Qu'elle apporte, par ses charmes et son esprit, cet élément de grâce et d'agrément que l'homme tout seul ne peut mettre dans la vie commune (1). Qu'elle soit indulgente, polie; qu'elle n'aille point perdre son temps dans ces conversations où le prochain est toujours attaqué; qu'elle apprenne à être sage sans aigreur, et à avoir de l'esprit sans médire (2).

La douceur dans la vertu, Molière la réclame toutes les fois que l'occasion s'en offre. Il ne peut, pas plus que Boileau, supporter « ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie (3). » Il déteste également «< ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du

(1) Eliante dans le Misanthrope, Elmire dans le Tartuffe, Henriette dans les Femmes savantes, etc.

(2) Le Misanthrope, act. II, sc. v; act. III, sc. v,

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VI.

Le Tartuffe, act. I,

Dans sa charité fausse, où l'amour-propre abonde,

Croit que c'est aimer Dieu que haïr tout le monde.

Satire X, v. 626.

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