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la fantastique et ravissante Psyché (1). On pourra reparler d'elles à propos de l'amour, qui est toujours l'amour, chez les bergères comme chez les divinités (2); mais ici, on peut négliger ces créations trop différentes de l'humanité, qui sont vraiment

innocentes.

On trouverait plutôt à redire aux femmes qui, dans la pratique de la vie, par une monstruosité morale déjà signalée (3), mêlent des qualités et des défauts contradictoires : toutes les entremetteuses citées plus haut (4) ont trop peu de conscience, et trop de cœur et d'esprit. Au même titre, Julie, dans M. de Pourceaugnac, se présente d'abord avec trop de délicatesse et de pudeur, pour être capable du rôle qu'elle joue pour dégoûter son provincial prétendant (5). De même, dans le Tartuffe, il est fâcheux de mettre tant de bon sens et de vertu dans une égrillarde comme Dorine: elle a trop de finesse, de délicatesse, d'autorité dans la maison, pour être en même temps une fille suivante un peu trop forte en gueule et capable de la gaillardise de toute la peau (6).

(1) Flore, Vénus, etc.

La pièce de Psyché contient à la rigueur, dans les personnages d'Aglaure et de Cidippe (act. I, sc. 1, v; act. IV, sc. I, II), une petite leçon morale sur la jalousie entre sœurs, leçon que Saint-Marc Girardin fait ressortir dans son Cours de Littérature dramatique, tome II, xxx.

(2) Voir plus loin, chap. VII, et surtout chap. IX.

(3) Voir plus haut, chap. IV, p. 78.

(4) Page 116, note 1.

(5) M. de Pourceaugnac, act. I, sc. III; act. II, sc. vi.

(6) Le Tartuffe, act. I, sc. 1; act. II, sc. II. — Sainte-Beuve a fait au point de

Enfin, il est impossible d'approuver, même en les acceptant comme types de satire, des personnes comme la jeune Dorimène du Mariage forcé (1), la Femme de Sganarelle dans le Cocu imaginaire (2), la Martine et la Jacqueline du Médecin malgré lui (3) la Cléanthis d'Amphitryon (4), l'Angélique du Mari confondu (5), qui avait paru déjà dans la Jalousie du Barbouillé (6). Toutes ces luronnes sont trop joyeuses et trop comiques pour que le spectateur puisse songer à condamner leur très-condamnable conduite; d'ailleurs, même dans la farce, la grossièreté est de trop, et l'immodestie ne doit pas être ainsi étalée (7).

Mais ces fautes, qui touchent autant à l'art qu'à la morale, sont trop secondaires pour diminuer en somme l'éclat et la moralité des femmes de Molière. Quel mérite n'est-ce point que d'avoir seul, sans modèle ancien ni exemple contemporain, su voir et dépeindre avec tant de finesse et d'énergie ce que doit être la femme pure, simple, franche, douce,

vue littéraire la même remarque qu'on fait ici au point de vue moral: il dit que Dorine est moins un personnage réel qu'une personnification de la muse de Molière, de son humeur comique, tantôt rieuse, tantôt profonde (Port-Royal, liv. III, chap. xvi).

(1) Sc. XII.

(2) Sc. VI, XXII.

(3) Act. I, sc. I, IV, v; act. III, sc. III, IX.

(4) Act. I, sc. Iv; act. II, sc. II, VII.

(5) Act. II, sc. III, IV, X, XI; act. III, sc. II-XII. Claudine confidente d'Angélique est également condamnable.

(6) Sc. III, IV, XI, XII.

(7) Voir plus loin, chap. IX.

naturelle, gracieuse ! Il y avait du génie à le conavait de l'audace à le dire aux femmes

cevoir ; il du siècle.

y

Toutefois, en admirant cette puissance d'esprit, cette justesse de sens, cette délicatesse de cœur, cette hauteur de vue qui rendent immortelles les peintures de femmes faites par Molière, le moraliste mettra quelque restriction aux louanges que l'enthousiasme l'entraînerait à donner. Si Molière montre presque toujours les femmes sous un jour moral, ce n'est pas seulement par intention et par conviction; c'est aussi par art c'est que la femme ne peut plaire qu'honnête. Chez l'homme, les passions coupables sont quelquefois revêtues d'un vernis d'élégance, même de grandeur, qui les rend propres à intéresser : c'est un privilége des femmes que l'honneur leur soit si naturel et si nécessaire, qu'elles paraissent repoussantes sitôt qu'elles s'en séparent. Jamais sur le théâtre il n'a été possible de forcer la sympathie du spectateur pour la femme vicieuse. Si Phèdre nous attache, c'est que son amour insensé est aux prises avec cette douleur vertueuse dont parle Boileau (1) ; c'est que cette douleur la tue. Si de nos jours des auteurs plus hardis qu'heureux ont tenté de nous intéresser à des courtisanes héroïques, le succès a trompé leur attente; et s'ils ont su plaire quelquefois, ce n'est que par l'introduction de vertus impossibles

(1) Epitre VII, v. 79.

dans des caractères faux, inacceptables à la scène parce qu'ils sont inconnus dans la réalité. Cette raison qui explique en partie pourquoi le théâtre féminin de Molière est généralement moral, peut amoindrir un peu son mérite au point de vue de l'intention; mais il ne reste pas moins grand, quand on songe à tant d'excellents préceptes et de leçons délicates sur des sujets qu'il est peut-être impossible de traiter parfaitement dans des livres ou dans des sermons. On doit surtout un respect profond à Molière, pour avoir compris et montré cette vérité mystérieuse de l'union intime de la femme et de l'honneur, qui fait penser à la gracieuse légende de l'hermine. C'est la voix du cœur et du bon sens ; et il ne serait pas malheureux qu'on l'écoutât davantage aujourd'hui, dans les lettres, et partout.

CHAPITRE VII.

DE L'AMOUR.

tels

L'amour, entre l'homme et la femme accomplis que les veut Molière, sera un beau sentiment, qui, sans les amollir, leur donnera encore plus de valeur et de charme. Dans cette passion, comme dans toute leur conduite, ils seront d'abord poussés par ce sens naturel, infus dans toutes les âmes, qui est le fondement de la morale. L'amour, chez eux, ne sera point un entraînement des sens seulement, ni une fantaisie de l'imagination exaltée par quelque circonstance romanesque; il ne sera pas une affaire de mode, ni un marché d'intérêt, ni une alliance fondée froidement par la raison, non il sera l'amour, cette inexplicable et toute-puissante attraction d'une âme vers une autre âme, non point nue et abstraite, mais vivante, revêtue d'un corps et d'un sexe, joignant la grâce physique aux charmes de l'esprit et aux caresses du cœur; enfin ce je ne sais quoi matière infinie des poëtes, mystère inexplicable

(1) Voir Psyché, act. III, sc. III, la déclaration de Psyché à l'Amour, par le grand Corneille; les Entretiens d'Ariste et d'Eugène par le P. Bouhours, Entr. V, Le je ne sçay quoy; et non pas le sec paragraphe de l'Essai sur le Goût, de Montesquieu : Du je ne sais quoi.

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