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roués et des précieuses. Il s'en prit d'abord aux précieuses.

Lorsque Madelon, qui veut s'appeler Polyxène et de sa vie à Paris faire un roman comme ceux de Mandane et de Clélie, trouve irrégulier le procédé des amants qui débutent d'abord par le mariage, n'est-ce pas la raison même qui répond, avec la triviale énergie de Gorgibus: « Et par où veux-tu donc qu'ils débutent? par le concubinage? » Puis, après cette boutade arrachée à son bon sens par les visions de deux folles achevées, il ajoute, avec la dignité de l'honnête homme et du père : « Le mariage est une chose sacrée, et c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là (1). ›

»

Chacun a dans la mémoire l'excellente scène où Clitandre ne peut venir à bout de persuader à Bélise que ce n'est ni à elle ni à sa pudeur qu'il en veut (2); et ce personnage burlesque est la plus juste critique du parfait amour, par lequel beaucoup de femmes essaient de se tromper elles-mêmes et d'excuser des liaisons destinées nécessairement à aller plus loin. Bien plus, la jolie et coquette Armande, qui s'est laissée prendre aux célestes théories

De l'union des cœurs où les corps n'entrent pas (3),

y perd un honnête mari et le bonheur domestique.

(1) Les Précieuses ridicules, sc. v.
(2) Les Femmes savantes, act. I, sc. Iv.
(3) Id., act. IV, sc. II.

Et comme si ce n'était pas assez de cette évidente leçon, Molière trouve moyen, quand il met en présence la fille philosophe et la fille qui veut un époux et un ménage, de mettre toute la grâce et toute la pudeur du côté de celle-ci, et de faire dire à celle-là des obscénités dans son haut style, avec ses prétentions de ne connaître point les chaînes des sens ni de la matière (1). Bien plus encore, en face d'un homme, d'un amant, c'est l'homme et l'amant raisonnable dont le langage est chaste, et c'est la femme éthérée qui parle des sentiments brutaux, du commerce des sens, des nœuds de chair et des sales désirs (2).

Tout cela est très-comique et très-sérieux la vérité banale, et pourtant sans cesse attaquée par des utopistes des deux sexes, que le mariage est la base et la moralité de toute société humaine, n'a pas été proclamée plus haut, dans les ouvrages les plus graves, que dans les scènes les plus risibles de Molière.

Quand don Juan fait sa belle tirade contre le mariage et le faux honneur d'être fidèle, quand il demande à Sganarelle, ébloui par son éloquence sophistique, ce qu'il a à dire là-dessus, le timide bon sens de Sganarelle répond: « Ma foi, j'ai à dire... Je ne sais que dire car vous tournez les choses d'une manière qu'il semble que vous avez raison, et cependant il

(1) Les Femmes savantes, act. I, sc. 1.

(2) Id., act. IV, sc II.

-

Voir plus haut, chap. V, p. 92.

est vrai que vous ne l'avez pas... Je suis tant soit peu scandalisé de vous voir tous les mois vous marier comme vous faites, et vous jouer ainsi d'un mystère sacré (1)... » Et quand Sganarelle n'est pas bridé par la crainte, il ne se gêne pas pour appeler cet épouseur à toutes mains « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un turc, un hérétique, qui ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou (2); qui passe cette vie en véritable bête brute; un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances chrétiennes qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons (3). » Qui ne rit encore, en repensant au refrain terrible qui met en fuite le pauvre Pourceaugnac :

La polygamie est un cas,
Est un cas pendable (4)?

Les paroles de Sganarelle ne sont que celles d'un valet ridicule, et le refrain qui ahurit M. de Pourceaugnac n'est que le couronnement d'une farce folle; mais sous ce ridicule et cette folie demeure et brille une vérité morale de premier ordre, affirmée nettement par Henriette et Clitandre dans les Femmes sa

(1) Le Festin de Pierre, act. I, sc. Iv.

(2) L'étude de Molière est infinie : je demande qu'on réfléchisse à ces deux gradations, et à ce qu'elles contiennent d'idées, de bon sens, d'indulgence, d'esprit et d'ironie.

(3) Le Festin de Pierre, act. I, sc. I.

(4) M. de Pourceaugnac, act. II, sc. XI.

vantes, prouvée implicitement de la manière la plus victorieuse et la plus touchante par Elmire dans le Tartuffe.

Quand Armande fait fi du mariage, se plaint de ce qu'il offre de dégoûtant, de la sale vue sur laquelle il traîne la pensée, et qui fait frissonner, quand elle demande à sa sœur comment elle peut résoudre son cœur aux suites de ce mot, c'est la nature, c'est la raison, c'est la morale qui répond par la gracieuse bouche d'Henriette :

Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage;
Et je ne vois rien là, si j'en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner (1).

En vain les débauchés comme don Juan persiflent la constance ridicule « de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux (2); » en vain les hypocrites comme Tartuffe disent:

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en vain les raffinées comme Armande trouvent que c'est « jouer un petit personnage >>

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l'homme et la femme ont par nature un penchant qui les porte à s'aimer; et cet amour peut, doit être satisfait par le mariage seulement. Le bon sens le dit, et Molière le répète par la voix de la fille fraîche, spirituelle et chaste qui dit du fond du cœur :

Et qu'est-ce qu'à mon âge on a de mieux à faire,

Que d'attacher à soi par le titre d'époux

Un homme qui vous aime et soit aimé de vous;

Et de cette union, de tendresse suivie,

Se faire les douceurs d'une innocente vie (2)?

par la voix de l'homme honnête et sensé qui dit avec autant d'esprit que de raison:

J'aime avec tout moi-même ; et l'amour qu'on me donne

En veut, je vous l'avoue, à toute la personne...

Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode,

Et que le mariage est assez à la mode,

Passe pour un lien assez honnête et doux... (3).

Ce lien honnéte seul peut satisfaire l'amour vrai sans blesser le respect et la pudeur qui en sont un

(1) Les Femmes savantes, act. I, sc. I.

(2) Id., act. I, sc. I.

(3) Id., act. IV, sc. II.

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