Images de page
PDF
ePub

conséquences rigoureuses de sa nature divine; l'esprit qui l'anime est éminemment prudent et moral; et il n'est pas sans intérêt d'observer que, parmi les moralistes, le plus grand philosophe de l'antiquité et le plus célèbre utopiste du dix-huitième siècle ont été d'une sévérité plus absolue.

Mais, d'autre part, Molière dit, avec beaucoup de raison (1), que la masse des hommes n'est point appelée à n'avoir pour occupation unique que les choses qui regardent directement Dieu et le salut. Cette perfection morale, par cela même qu'elle est perfection, n'est proposée qu'à un très-petit nombre. Tous ceux qui travaillent péniblement pour gagner le pain de chaque jour, et qui accomplissent en silence, par une lutte humble et continue, les obscurs devoirs de la vie, le peuple en un mot, a besoin de divertissement. Vouloir que les divertissements soient essentiellement instructifs et moraux est une utopie c'est leur ôter le caractère même de divertissements. Mais il y a un suprême intérêt à ce qu'ils soient du moins innocents (2) et à ce qu'ils délassent l'homme sans le corrompre.

Je ne dis pas que dans les campagnes, où le travailleur exerce jusqu'à l'épuisement ses forces musculaires, la simple inaction ne soit pas une dis

bien et mal exercées. » Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, chap. XXIII.

(1) Préface du Tartuffe.

(2) Voir plus haut, chap. I, p. 8.

traction suffisante, et qu'un repos du corps, entremêlé de causerie, de musique simple ou de danse violente, ne fasse pas, avec les heures passées à l'église, une journée de relâche suffisante, quoique la danse ait ses inconvénients, et que le cabaret soit trop souvent en face de la porte du temple.

Mais à notre époque, où l'activité intellectuelle prend chaque jour plus d'intensité, et où la civilisation urbaine envahit les campagnes, n'y a-t-il pas un intérêt grave, presque une nécessité, à ce que les distractions mêmes deviennent intellectuelles? Ce qui peut être innocent aux champs prend souvent dans les grandes cités, par la surexcitation de l'intelligence et des sens, un caractère funeste, aussi bien que le jeu, aussi bien que le verre de vin bu librement entre amis.

Alors le moraliste doit être vivement préoccupé d'un divertissement intellectuel comme le théâtre. Il pense à tout ce qu'une scène habile, sans prétention à l'enseignement moral, mais du moins sans immoralité, peut offrir d'utilité pour la société. Et puis, en même temps, il est navré de l'action de nos théâtres, qui, surtout dans les plus grandes villes, ne cherchent à attirer la foule que par une obscénité à peine déguisée, et par l'étalage en grand de nudités physiques et morales, que la police ne laisserait pas un instant dans la rue. C'est un scandale avec privilége.

Alors on se retourne vers Molière avec un senti

ment d'admiration et d'intérêt plus vif encore que toute l'émotion causée par son génie. On se dit que ses grandes comédies sont décidément un divertissement moral; qu'il serait à souhaiter que nos spectacles n'offrissent jamais aux passions populaires que des œuvres de cette nature, sinon de ce mérite; et qu'après tout il y aurait avantage à ce que notre peuple allât souvent au théâtre de Molière.

[ocr errors]

Mais Molière peut sur plus d'un point, et par plus d'une comédie, inspirer des sentiments immoraux, au point que son théâtre ne soit plus, pour beaucoup de gens, une distraction, mais une corruption.

Il y a une chose triste dans notre république. On s'occupe du peuple pour ce qui est de son bien-être matériel; on s'occupe de lui pour ce qui est de son instruction littéraire; mais on ne s'occupe pas assez de son perfectionnement moral. On s'imagine trop facilement qu'il suffit de savoir lire pour savoir juger, et de savoir juger ce qui est bien pour pouvoir le pratiquer. La morale est belle en théorie, mais pénible en action. Il y faut une autorité et une discipline que, quoi qu'on dise, la religion seule peut fournir.

Je me souviens d'avoir entendu critiquer vivement un académicien pour ce qu'on appelait sa théorie des deux morales: c'était une mauvaise querelle. Sans doute, la morale est absolument une en principes;

mais en pratique, elle n'est pas seulement double, elle est comme infinie, parce qu'elle est personnelle. C'est de l'instruction et de l'énergie morale de chacun que dépend pour lui l'usage de ce qui est bien ou mal nous ne laissons point nos enfants boire à leur soif le vin que nous buvons, et nous interdisons à nos adolescents les livres que nous lisons. Il en est de même du théâtre. Ah! si le peuple était instruit moralement d'une manière suffisante; si chaque homme dans son cœur portait, avec la volonté de bien faire, une connaissance assez nette de ce qui est bien ou mal pour rester maître de son jugement au milieu du plaisir, et discerner avec calme ce qu'il doit fuir ou imiter; s'il avait depuis l'enfance une habitude constante et forte de l'honnête, alors on dirait avec confiance au peuple Allez au théâtre de Molière.

Mais il est à craindre que, longtemps encore, le théâtre de Molière, pour le peuple, ne soit le vin pur pour les enfants.

FIN.

ERRATA.

Page 8, note 1, au lieu de act. I, sc. 1, lisez act. III, sc. II.

:

:

:

Page 18, note 1, ligne 6, au lieu de M. Jourdain, lisez : Mme Jourdain. Page 53, ligne dernière, au lieu de : et, lisez : et à.

Page 55, lignes 12 et 13, au lieu de : pourtant, jusqu'à, lisez : pourtant jusqu'à.

Page 88, ligne 16 Limousin. Note omise: Quoique la comtesse d'Escarbagnas (d'Escars, Bagnac) habite Angoulême, son nom même et la tradition attestent que Molière en faisait une compatriote de M. de Pourceaugnac.

Page 95, ligne 14, au lieu de : linges, lisez : linge.

Page 126, ligne 14, au lieu de

Page 129, ligne 8, au lieu de

:

:

noblesse, lisez : noblesse d'âme. Eternel, lisez : éternel.

Page 143, lignes 2 et 3, au lieu de : Diafoirus, ne, lisez : Diafoirus ne.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]
« PrécédentContinuer »