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Et si la Grèce est éternellement célèbre pour nous avoir légué ce modèle surhumain de la corporelle beauté que nous appelons l'Apollon du Belvédère, quelle ne doit pas être notre admiration pour celui qui, chez nous, a su produire ce modèle moral de l'homme intelligent, chrétien et français ?

core sur Cléante, chap. XI. Il faut joindre à lui l'Ariste.de l'Ecole des Maris (act. I, sc. I, II, II; act. III, sc. vI-x), l'Ariste des Femmes savantes (act. II, sc. I-IV; act. IV, sc. vii; act. V, sc. Iv, v), et le Béralde du Malade imaginaire (act. II, sc. xu; act. III). Voir sur Cléante, F. Génin, Vie de Molière, chap. V.

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CHAPITRE V.

L'ÉDUCATION DES FEMMES.

S'il manque quelque chose à la gloire de nos lettres sous Louis XIV, c'est d'avoir peint naturellement les femmes. Ce jugement est sévère; mais il est permis de demander beaucoup aux hommes qui, alors, illustrèrent pour jamais notre pays et l'humanité. Or, au milieu de tant de perfection intellectuelle et de génie en toutes choses, régnait, au sujet de la femme, je ne sais quel faux goût, qui fut cause que ni le sublime Corneille ni même le tendre Racine ne firent tout à fait ce qu'on pouvait attendre d'eux : c'est seulement dans l'excès de la passion dramatique que Pauline, Hermione et Phèdre trouvèrent ces accents poignants et simples qui sont des cris de génie. Autrement, dans les romans comme au théâtre, femme ne quitta point alors le fard de la mode, qui pouvait la rendre plus majestueuse ou plus spirituelle, mais qui glaçait sous la convention son charme principal, le naturel.

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A Molière la gloire d'avoir, malgré le siècle, vu et peint la femme telle qu'elle est; d'avoir ôté de son

immortelle parure de grâce tout ce qu'on y joignait alors de faux et d'emprunté; d'avoir dit et montré ce qu'elle doit être pour accomplir son rôle humble et sublime parmi nous.

Au dix-septième siècle, un défaut gâtait les femmes elles étaient précieuses. Inutile de définir ce mot aux spectateurs des Précieuses ridicules et des Femmes savantes grâce à Molière, ils savent aujourd'hui, aussi bien que ceux qui vivaient il y a deux cents ans, ce qu'on entend par préciosité. Mais il n'est pas sans importance de remarquer que ce défaut commença par être une qualité au temps de la Fronde. A cette époque, quelques dames, illustres autant par l'esprit que par la naissance, puisèrent dans la société des hommes éminents et lettrés qui les entouraient, un amour de la science, un soin des lettres, un purisme de langage, qui n'étaient certes qu'une qualité de plus ajoutée à tant d'autres dans une marquise de Rambouillet, trônant par la souveraineté du goût, de la beauté et de la conversation, au milieu d'une cour où se pressaient Richelieu, Vaugelas, Racan, Balzac, Voiture, Corneille, Patru, Saint-Evremond, Montausier, où vieillissait Malherbe et débutait Bossuet, entre Julie d'Angennes, Mme de Longueville, Mlle de Coligny, Mme de La Fayette et Mme de Sévigné. Là, vraiment, l'esprit et les lettres étaient à leur place; « et là, en 1659, on applaudissait aux Précieuses ridicules, par lesquelles l'illustre hôtel ne se sentait pas plus atteint que Molière

n'avait eu l'intention de l'attaquer (1). C'était le centre de la vraie préciosité définie par Huet une galanterie honnête dans le sens qu'on donne au mot galant homme (2); » c'était, en un mot, l'Académie française, avec les femmes de plus et les pédants de moins (3).

Mais comme il n'est si bonne chose qui ne puisse se corrompre, toutes ces qualités admirables tournèrent bientôt à mal. Les femmes s'imaginèrent que pour être du bel air, comme on disait alors (4), il fallait à tout prix être précieuses; et celles qui n'avaient pas de quoi l'être de la bonne manière le devinrent d'une façon ridicule. Elles crurent remplacer l'esprit par l'affectation, la dignité par le dédain, l'instruction par une recherche risible des mots et des idées, la distinction par un excès ruineux de toilette, le cœur par un coquetterie de convention qui visitait tous les villages de la carte de Tendre. Les moindres bourgeoises voulurent prendre le genre à la mode, et parvinrent, à force de préciosité, à détruire en elles cet avantage accordé à leur sexe sur l'autre, de plaire, par la simplicité même, jusque dans la plus grande médiocrité d'esprit. Ce fut une véritable épidémie, qui envahit tout le siècle, et dura presque autant que lui.

(1) Voir la Préface des Précieuses ridicules.

(2) A. Constantin, Dictionnaire de biographie et d'histoire de Dezobry et Bachelet, article Rambouillet.

(3) Voir J. Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, liv. I. (4) Le Bourgeois gentilhomme, act. V, entrée 1.

Le bon sens et le goût de Molière furent choqués de voir tant de femmes se gâter elles-mêmes par cette mode prétentieuse. Aussi, après les deux longues comédies d'intrigue de l'Etourdi et du Dépit amoureux, las d'imiter les autres et de remplacer les personnages les plus charmants de la scène par des fictions sans caractère et sans autre intérêt que la beauté des comédiennes ou l'imprévu des situations, il quitta brusquement les contrées chimériques des romans d'aventures pour entrer sur le terrain de la vie réelle, et il attaqua du premier coup la femme par la juste critique du défaut qui dépréciait alors toutes ses autres qualités.

L'intrigue des Précieuses (1) est nulle toute la comédie n'est qu'une scène où deux valets du grand monde, sous les habits de leurs maîtres, viennent flatter la préciosité de deux petites bourgeoises infectées de la maladie régnante. Mais quelle verve dans ce dialogue! comme chaque mot frappe le langage affecté et les sentiments recherchés qui régnaient alors dans les salons! Quel beau miroir, où les femmes furent forcées de contempler leurs propres ridicules et d'en rire jusqu'aux larmes ! Quelle excellente farce, où triomphe enfin le bon sens personnifié dans l'honnête homme de père si justement indigné des pommades, du lait virginal et du haut style (2) !

(1) 1659.

(2) Les Précieuses ridicules, sc. III, IV, v. Voir D. Nisard, Histoire de la

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