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mot impérissable comme le pauvre homme de Tartuffe et la galère de Scapin (1).

Non content d'opposer aux habitudes des femmes du temps les mœurs trop simples des femmes du bon vieux temps (2); non content de mettre en action les ridicules d'une académie précieuse pendant un acte entier qu'ils remplissent uniquement (3), Molière voulut faire briller l'exemple à côté de la critique, et exprimer ce que doit être la femme du monde dans une société polie.

Dès le début de sa pièce, il mit sur la scène, dans la bouche de la fraîche Henriette, cette franche expression du but pour lequel la femme est faite, en opposition aux théories sentimentales de l'éthérée Armande, qui se pâme au seul mot de mariage :

Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage;
Et je ne vois rien là, si j'en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner, etc. (4).

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(1) « Ces comédies firent tant de honte aux dames qui se piquoient trop de bel esprit, que toute la nation des précieuses s'éteignit en moins de quinze jours, ou du moins elles se déguisèrent si bien là-dessus, qu'on n'en trouva plus ni à la cour ni à la ville; et même depuis ce temps-là elles ont été plus en garde contre la réputation de savantes et de précieuses que contre celle de galantes et de déréglées. » Perrault, Les Hommes illustres qui ont paru en France pendant le dix-septième siècle, article Molière.

(2) Les Femmes savantes, act. II, sc. vii, Chrysale : Nos pères sur ce point étoient gens bien sensés, etc.

(3) Id., act. III.

(4) Les Femmes savantes, act. I, sc. I. - Le principe que la femme est faite pour être éponse et mère a déjà été affirmé plus rudement par le gros bon sens de Gorgibus, dans les Précieuses ridicules : « Madelon : La belle galanterie que la leur ! Quoi! débuter d'abord par le mariage! Gorgibus Et par où

:

Puis, à cette vérité si simple et si oubliée, Molière joint des préceptes qui fixent avec juste mesure dans quelle limite la femme, l'épouse, la mère devra cultiver son intelligence et acquérir ce que l'instruction lui peut ajouter de mérite et d'agrément. Chrysale dit, dans sa protestation contre le pédantisme féminin :

Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie, et sache tant de choses (1);

et à la délicatesse de cette réflexion dont le vieillard pousse les conséquences trop loin, Clitandre ajoute le dernier mot de la vérité et du bon sens :

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout.
Mais je ne lui veux point la passion choquante
De se rendre savante afin d'être savante;

Et j'aime que souvent, aux questions qu'on fait,
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait.
De son étude enfin je veux qu'elle se cache,

Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les anciens, sans dire de grands mots,
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos (2).

Ainsi, Molière conseille à la femme cette modestie discrète pour laquelle elle semble faite, et qu'elle ne peut jamais oublier sans perdre quelque chose de son attrait. Il lui rappelle sans cesse que son premier

veux-tu donc qu'ils débutent? Par le concubinage?» (sc. v.) C'est le même bon sens qui crie par la bouche de Lisette à Sganarelle qui ne veut pas entendre parler de marier sa fille : « Un mari! Un mari! » (L'Amour médecin, act. I, sc. III). (1) Les femmes savantes, act. II, sc. VII.

(2) Id., act. I, sc. III.

devoir est sa maison, cet humble royaume du foyer auquel elle doit songer avant tout. « Vous devriez, dit Chrysale à Philaminte en s'adressant à Bélise,

Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous,
Où nous voyons aller tout sens dessus dessous (1).

Vos devoirs accomplis, ajoutez, si vous voulez, à vos charmes par l'instruction, mais sans devenir jamais une femme pédante ni même une femme savante.

Molière met sous vos yeux, en exemple, la femme douce, sage, instruite, spirituelle et modeste; il vous montre Henriette, pleine de bon sens, de timidité, de grâce, de fines reparties; sa droiture d'esprit lui suffit pour être inaccessible aux fades compliments d'un diseur de douceurs qui n'en veut qu'à sa dot (2); pour répondre à un gros pédant ce mot plein d'esprit français et de grâce féminine

Excusez-moi, monsieur, je n'entends pas le grec (3);

pour déclarer nettement à l'homme qui veut l'épouser malgré elle, qu'elle ne se sent point la force de supporter les charges et les périls du mariage sans le soutien de l'amour (4). Et tout cela, avec quel charme, quelle mesure, quel talent féminin et ini

(1) Les Femmes savantes, act. II, sc. vII.
(2) Id., act. III, sc. II, vi; act. V, sc. I.
(3) Id., act. III, sc. v.

(4) Id., act. V, sc. I.

mitable pour ménager les gens, quelle constance dans le droit chemin du bon sens et du cœur !

Le luxe d'esprit choquait Molière il n'était pas moins choqué du luxe matériel qui régnait de son temps autant que du nôtre, et par lequel les femmes croyaient se faire estimer à raison de l'effet qu'elles produisaient. Comme il s'est moqué des femmes à toilette dans les Précieuses ridicules (1) et dans la Comtesse d'Escarbagnas (2), et comme en même temps il a compris et apprécié le naturel féminin, qui aime à se parer innocemment et à se rendre gracieux ! Comme Ariste dit bien ce que là-dessus l'indulgente raison doit permettre :

Elle (3) aime à dépenser en habits, linges et noeuds :
Que voulez-vous? Je tâche à contenter ses vœux;
Et ce sont des plaisirs qu'on peut, dans nos familles,
Lorsque l'on a du bien, permettre aux jeunes filles.

La juste mesure est partout dans Molière : il condamne les excès de dépense de la jeune Dorimène, qui épouse un riche vieillard pour payer ses parures (4), et en même temps il se moque de Sganarelle, qui croit que par un édit on peut mettre un frein au luxe des femmes (5). Il comprend que la simplicité de la pa

(1) Les Précieuses ridicules, sc. III, IV, V, VII.
(2) La Comtesse d'Escarbagnas, SC. II-VII, etc.
(3) Léonor de l'Ecole des Maris, act. I, sc. II.
(4) Le Mariage forcé, sc. Iv.

(5) L'Ecole des Maris, act. II, sc. IX.

rure, comme celle de l'esprit, est un charme qui n'appartient qu'aux âmes élevées par nature ou formées par une éducation supérieure; il le dit et le montre, sans pouvoir, hélas! le persuader plus à son siècle qu'au nôtre (1).

Si Molière n'avait fait que combattre chez la femme le vice du siècle, et la peindre débarrassée de l'enveloppe luxueuse ou pédante dont elle s'affublait, ce serait déjà un titre de gloire. Mais son vaste génie ne s'est pas borné à faire justice d'un ridicule éphémère comme tous ceux de la mode. Il a fait pour la femme ce qu'il a fait pour l'homme : il l'a étudiée et dépeinte avec cette généralité de vue et cette largeur de raison qui donnent à ses œuvres un caractère universel.

Convaincu que la femme est un être libre et capable de conduite autant que l'homme, Molière s'indigne contre la prétention qu'on a eue longtemps de la faire vertueuse par force, et de la tenir ignorante par principe. La piquante Lisette de l'Ecole des maris est le bon sens incarné, quand elle répond, avec un délicieux mélange de finesse et de naïveté,

(1) La question du luxe des femmes est traitée implicitement dans l'Ecole des Femmes et la Critique de l'Ecole des Femmes, l'Impromptu de Versailles, le Misanthrope, le Mari confondu, les Femmes savantes. Les costumes donnés par Molière à ses personnages, la modeste parure d'Elmire, la simple robe blanche d'Henriette, la splendide toilette jaune et rouge de Célimène, etc., étaient des leçons parlant aux yeux.

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