au Sganarelle qui croit s'assurer une femme parfaite en tenant sa pupille bien enfermée : Notre honneur est , onsieur, bien sujet à faiblesse, Et comme si cette déclaration des droits de la femme n'avait pas assez de poids dans la bouche d'une suivante, Molière fait répéter le même plaidoyer par un homme sérieux, qui porte dans son discours l'élévation de son âme et l'autorité de son age : Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire. (1) « Vertu qui a besoin d'être toujours gardéc ne vaut pas la sentinelle. » Goldsmith, Le Vicaire de Wakefield, chap. V. (2) L'Ecole des Maris (1661), act. I, sc. II. (3) Id., act. I, sc. 11, Ariste. ng Cette considération que l'honneur doit être gardé pour lui même, pour la dignité et la joie intime qu'il procure, et non par crainte d'un châtiment, est un des plus beaux préceptes moraux qui se puissent proclamer. Et à côté s'en place un autre non moins élevé: c'est qu'un maître sage doit régner par le cæur. Comme la vertu est aimable par soi , lui donner un aspect austère qui effraie les âmes délicates, c'est la trahir. On ne doit point les brider en tous leurs désirs ni leur refuser toute joie, mais leur apprendre à jouir honnêtement de ce qui est permis, à compler sur la douce bonté de ceux qui les dirigent, et à ne point redouter comme une source de perdition ce qui ne le devient qu'autant qu'on en abuse. « Je tiens, » dit Ariste, Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse , Telle est la vraie vertu, inflexible quand il s'agit de l'honneur, indulgente tant qu'il ne court point de risques. Que deviendra Isabelle enfermée ? Pour sortir, elle franchira les limites de la bienséance, de la prudence, du devoir , et se jettera de plein cæur dans les bras du premier qui s'offrira avec un air séduisant et une apparence d'honneur (1). Pour l'ignorance, qui est la prison de l'esprit, la leçon n'est pas moins bien donnée, et la sotte d’Arnolphe lui échappe aussi bien que la cloîtrée de Sganarelle. La belle théorie , d'enfermer une femme dans la stupidité, afin d'être sûr qu'elle ignore le mal ! « C'est assez pour elle, » dit Arnolphe, Eh ! pauvre fou, une sotte sait-elle aimer? Molière a une parole de philosophe, quand il répond à cela : Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête C'est une vérité morale de premier ordre, et qui ne se peut mieux exprimer, que l'ignorance n'est pas la vertu. Il n'y a point de gloire à marcher bravement (1) L'Ecole des Maris, act. II et III. Sur l'Ecole des Maris, voir Laharpe, Cours de Littérature, partie II , liv. I, chap. vi, sect. 2; D. Nisard, Histoire de la Littérature française , liv. III, chap. ix, 3. (2) L'Ecole des Femmes (1662), act. I, sc. I. (3) Id., act. I, sc. I. au bord d'un précipice qu'on ne voit pas. Le vrai mérite connaît le mal et sait l'éviter. Arnolphe a fait l'impossible pour accomplir l’abrutissement dans l'âme de celle qu'il se destine : Dans un petit couvent, loin de toute pratique, a Après cela , les délicats ont reproché à Molière les mots fameux de la tarte à la crème et des enfants par l'oreille (2) ; les pudibonds se sont indignés de la scène où la pauvre Agnès dit presque, et fait penser , une obscénité, à propos du bout de ruban que lui a pris Horace (3). Non, ce n'était pas trop de cette triviale énergie pour attaquer l'erreur qui croit sauver la vertu par la stupidité et l'ignorance; ce n'est trop d'aucune des scènes de la comédie pour dire et répéter tous les dangers auxquels sont exposés les malheureux tenus dans les ténèbres, et pour proclamer (1) L'Ecole des Femmes, act. 1, sc. I. (3) Id., act. II, sc. vi; la Critique de l'Ecole des Femmes, sc. III. - Voir le Portrait du Peintre, ou la Contre-Critique de l'Ecole des Femmes , par Boursault (1663); le Traité de la Comédie et des spectacles selon la tradition de l'Eglise , par le prince de Conti (1667); J. Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, liv. II; A. Bazin, Notes historiques sur la vie de Molière, 2e partie, etc. cette philosophique vérité, que le vrai se confond avec le bien, et que si nous savions parfaitement, nous pourrions ne faillir jamais. Quel homme de cœur peut assister sans émotion au spectacle de celte jeune âme emprisonnée, qui conserve toujours et reconquiert enfin sa dignité libre, sous toutes les chaînes d'un despotisme absurde, sous tous les voiles d'une savante erreur, comme sous la glace immobile on entend l’eau irritée qui au premier printemps roulera dans la mer sa prison vaincue ? C'est un spectacle moral, de montrer cette imprescriptible liberté de l'âme qui reste bonne, pure, intelligente, capable et désireuse du vrai et du bien, malgré les efforts les plus patients et les plus habiles ; qui, jusque dans la naïveté d'une extrême ignorance, garde une fleur de grâce native, marque ineffaçable de son origine et de ses droits ; en sorte qu'après la lecture de la lettre d'Agnès, il n'est personne qui ne dise avec Horace: En somme, la juste appréciation de l'Ecole des Femmes est celle qu'exprimait Boileau dans les Stances (1) L'Ecole des Femmes, act. III, sc. IV. |