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rables dans lesquelles il a fonctionné, il n'a pas commis de fautes assez graves pour mériter sa condamnation.

Il conviendrait pourtant de lui créer une tâche moins difficile, de lui donner la possibilité de rendre de plus fréquents et de plus utiles jugements. Comment y parvenir?

Nous allons, dès maintenant, aborder l'étude de ce problème redouté. Nous allons, dès maintenant, avant de développer nos conclusions générales, dire quelles réformes spéciales nous paraissent urgentes sur ce point.

CHAPITRE VII

Amélioration des lois sur la presse. Trois doctrines: l'impunité, la répression par le Tribunal correctionnel; la répression par les juges populaires. École de l'impunité : ses partisans; Girardin. En fait, cette école triomphe par la La presse jugée par le Tribunal correction

loi de 1881.

nel; sophisme du retour au droit commun. Dangers de

cette doctrine, son impuissance.

Laissons la juridiction de
Le rêve d'Émile Augier,

la presse aux juges populaires. une juridiction de famille. Jurys spéciaux. Point de cautionnement; point de mesures préventives. - Établisse

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ment des responsabilités réelles; destruction de la gérance fictive. La liberté sous la loi.

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Que de systèmes ont été préconisés pour améliorer nos lois sur la Presse! Leur seule énumération serait fastidieuse et interminable. Ces systèmes, cependant, peuvent se classer en trois groupes, se rattacher à trois doctrines bien distinctes.

La première de ces doctrines est celle de l'impunité absolue. Ses partisans ne reconnaissent ni l'au

torité du jury ni celle d'aucun autre tribunal pour juger les délits de plume. A leur avis, la Presse est impuissante, et d'ailleurs, ne le fût-elle point, toute répression serait vaine. On réfute un journal, on ne le châtie pas.

Les partisans du second système réclament, au contraire, une ferme répression, et ils ne croient pouvoir l'assurer qu'en remettant le jugement des délits de Presse aux Tribunaux correctionnels.

Le troisième système consiste à laisser le jugement de ces délits à nos magistrats populaires.

Examinons les arguments de la première école : celle de l'impunité absolue.

I

Cette école a compté d'illustres défenseurs et elle possède aussi, il faut le reconnaître, quelques arguments séduisants. « Toutes les lois sur les délits de presse sont et demeurent abrogées, » telle est la proposition législative à laquelle elle aboutît en 1876.

Le grand maître de cette école, Émile de Girardin, aimait à dire : « La presse sans l'impunité, ce n'est pas la presse libre, c'est la presse ayant pour juges l'arbitraire, l'ignorance et l'intolérance. »

Ce qu'il faut bien remarquer, c'est que cette doctrine, repoussée en principe par le législateur de 1881, l'a, en fait, pénétré et enveloppé; elle a exercé sur lui une influence telle que, soit par les vices presque volontaires de sa construction, soit par l'esprit qui devait présider à son application, notre nouveau code de la Presse masque et déguise à peine depuis quinze ans, sous ses lignes correctes d'édifice pénal, le triomphe de fait du système de l'impunité. Cette assertion est-elle exacte?

Il suffit pour s'en rendre compte de relire les discussions qui ont précédé le vote de la loi de 1881. «Si nous faisons une loi pour ne pas l'appliquer disait M. Allain-Targé, partisan de l'impunité déclarée, si nous y insérons des pénalités pour ne pas nous en servir, tout cela est bien inutile! »>

Mais comment l'orateur pouvait-il supposer que la loi ne serait pas appliquée ? C'est qu'à l'heure où il parlait, les premiers articles votés avaient déjà rendu la répression illusoire. « Nous avons, disait M. AllainTargé, détruit, désorganisé, supprimé à tout jamais ce qui pouvait être la responsabilité. A l'heure qu'il est, tout le monde, pourvu qu'il ait vingt ou trente francs dans sa poche, peut publier un journal qui aura un, deux, trois numéros; tout le monde peut publier un libelle, peut même l'afficher, le faire distribuer par qui il voudra; pourvu qu'il ait un

gérant irresponsable et insolvable, il est parfaitement à couvert de tout. »

Il est clair que dans ces conditions il était bien superflu d'inscrire des pénalités dans la loi! L'orateur s'applaudissait d'ailleurs de ce résultat obtenu. « Ne compromettez pas, s'écriait-il, le bénéfice de l'impunité que le gouvernement pratique depuis deux ans et demi! Il y a un fait nouveau, et ce fait, c'est que le gouvernement est outragé de la manière la plus odieuse, et il y a un fait ancien, c'est que nous, les républicains, nous avons été depuis dix ans assaillis par les calomnies de toute nature. On a cherché de toutes les manières à nous déshonorer, sans que nous ayons voulu provoquer des poursuites contre qui que ce soit... Et nous ne nous en portons pas plus mal... La France, concluait-il, s'habitue à la licence de la presse, l'opinion publique se charge de défendre la société, les grands intérêts de l'État, et aussi la réputation des hommes politiques, de tout le monde; et il est bien heureux que l'opinion publique se charge de ce soin, parce que la répression y échouerait. »

Ces idées avaient dans le Parlement des défenseurs convaincus, et ceux-ci, dans les cas difficiles, en appelaient au président de la commission, à Émile de Girardin. Ce dernier répétait ses célèbres remarques où tant de vérités sont mélangées à tant

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