LA COUR D'ASSISES "1 "L C.L PARIS CALMANN LÉVY, ÉDITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES 3, RUE AUBER, 3 93 1898 FRANT LA COUR D'ASSISES INTRODUCTION 406 La Cour d'assises dépossédée : correctionnalisation. Le Français et les obligations du concours civique; Napoléon et le jury. Le Tribunal correctionnel: justice à toute vapeur. Les courtes peines: fabrique de récidivistes. Le décor d'une justice criminelle; représentations de gala. — Nécessité de réformes. On raconte que jadis, à Thurium, en Grèce, tout citoyen désireux de proposer quelque réforme était tenu de se présenter, la corde au cou, devant l'Assemblée du peuple. Son idée semblait-elle bonne? Le peuple l'adoptait et le réformateur s'en allait sain et sauf. Semblait-elle mauvaise? Le bourreau s'avançait, il resserrait la corde et supprimait ainsi la proposition et son auteur. Aujourd'hui, dans notre pays, le partisan de ré formes se présente au public dans une posture moins inquiétante sans doute, mais presque aussi humiliée. Il rencontre de la mauvaise humeur, presque de l'hostilité. Pourquoi vouloir innover quand il est si doux et si simple de médire? Tenter de déranger des habitudes anciennes, ébranler peut-être des situations acquises, c'est prendre une physionomie brutale et morose, c'est risquer de passer pour un « mauvais esprit ». Nous savons tout cela, et nous avons cependant l'imprudence de déclarer que l'organisation de la justice pénale en France appelle, selon nous, de profondes et urgentes réformes. Quelles sont ces réformes? Nous allons présenter quelques vues sur ce point, sans prétendre épuiser un sujet aussi vaste. Notre ouvrage aura deux parties. Dans la première, nous tenterons d'esquisser un tableau fidèle de notre juridiction criminelle telle qu'elle fonctionne actuellement. Nous dégagerons ensuite, des faits et des observations que nous aurons pu réunir, un plan de modifications pratiques et de réformes législatives. Mais, en abordant cette étude, une question avant toute autre va se poser à nous: quel Tribunal est investi en France de la mission de rendre la justice criminelle? La question peut sembler naïve. Qui ne sait, dira-t-on, que les Cours d'assises sont chargées de statuer sur les affaires criminelles? La Cour d'assises, disait Faustin Hélie, est « la juridiction générale et ordinaire du pays ». Or, en droit, cette affirmation est indiscutable; mais, en fait, elle est inexacte aux yeux de toute. personne tant soit peu au courant de nos habitudes judiciaires. La Cour d'assises voit en réalité se rétrécir chaque jour son domaine, et loin d'être la juridiction ordinaire du pays, elle devient peu à peu une juridiction exceptionnelle. Aurions-nous donc la bonne fortune de vivre dans un temps où le nombre des crimes diminue? Il en est ainsi en ce moment en Angleterre et en Allemagne; mais (ce fait plaide peu en faveur de nos institutions répressives) la criminalité chez nous au contraire va croissant chaque année. Comment donc nos Cours d'assises ont-elles si peu d'affaires? Le motif en est connu : c'est qu'une grande partie des faits qualifiés crimes par le Code sont soustraits au jury, et dirigés vers les Tribunaux de police correctionnelle; et cela grâce à un procédé extra-légal, mais toléré et même encouragé par les circulaires ministérielles. Quelques chiffres établiront le fait et ses conséquences. De 1826 à 1850, le nombre des affaires |