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interne; à l'égard de l'État ennemi, une conclusion de principe peut être formulée la condition juridique internationale des étrangers, civils ou militaires, n'appartenant par leur nationalité à aucun des États belligérants et engagés au service de l'un d'eux, est absolument identique, en ce qui concerne l'application des lois de la guerre, à celle des nationaux de l'État belligérant au service duquel ils se trouvent (1). Il convient de noter l'enseignement de Geffcken en ce qui concerne les obligations de l'État neutre. « Le sujet neutre, dit-il, est libre de s'enrôler dans l'armée d'un belligérant; il le fait à ses risques et périls et il renonce par le fait même à la protection de son gouvernement. Mais celui-ci ne doit jamais autoriser ses sujets à s'enrôler, ni souffrir l'enrôlement sur son territoire (2). »

III

De nombreux États ont adopté le service obligatoire et général; ils ont fait entrer dans les forces régulières toute la population apte à porter les armes; dans la réserve et dans l'armée territoriale, troupes régulières, sont compris ainsi nécessairement les hommes qui étaient jadis des combattants irréguliers. C'est dire que la question des troupes irrégulières est passée à l'arrière-plan. Toutefois, elle peut se présenter encore dans les États qui ont conservé l'organisation

ancienne.

En définitive, il s'agit de savoir si des conditions peuvent être mises à la reconnaissance comme combattants des sujets de l'État ennemi qui n'appartiennent pas aux troupes régulières, et quelles conditions il faut établir pour sauvegarder les droits des deux parties belligérantes. La théorie et l'histoire sont instructives.

Selon la doctrine enseignée par Grotius, dés qu'il y a guerre entre les communautés politiques, il y a guerre entre les sujets; ceux-ci peuvent employer la violence sans avoir besoin d'un mandat spécial. Pour Chrétien de Wolff, les sujets des deux Etats sont également ennemis. Dans l'enseignement d'Émer de Vattel, qui exclut d'ailleurs

(') ÉDOUARD ROLIN, Étrangers au service des belligérants. Annuaire de l'Institut de droit international, t. XX, session d'Édimbourg, 1904, p. 71.

(2) A.-G. HEFFTER, ouvrage cité, p. 347.

CALIFORNIA

la défense de soi-même de la notion d'hostilités, un ordre général ou spécial du souverain est indispensable pour autoriser les sujets à prendre les armes; cependant, il est des cas où ceux-ci peuvent présumer raisonnablement la volonté de leur souverain et agir en conséquence.

Voilà la doctrine ancienne. En introduisant la notion qui considère la guerre comme une relation d'État à État, Jean-Jacques Rousseau fit prévaloir la nécessité d'une autorisation de la puissance souveraine. « Si nous demandons, dit un auteur, quelles conditions le droit des gens exige pour le droit d'être considéré et traité en guerre comme soldat, c'est comme si nous demandions à quelles conditions une personne participant activement à une guerre doit être considérée le faire. au nom de l'un des États belligérants (!). »

Pour être exacte, la terminologie doit établir une distinction entre le « corps franc » et les bandes ou les compagnies de francs-tireurs. «Le corps franc, dit un auteur, est un corps régulièrement organisé avec l'autorisation du commandement militaire, tenu de justifier des ressources de guerre, spécialement des fonds lui alloués, recevant de l'autorité supérieure une mission bien définie, mais jouissant de l'initiative quant aux moyens, opérant de façon indépendante, vivant sur le pays et utilisant ses ressources en vue de causer le plus de mal à l'ennemi (2). » A côté du corps franc formé par l'autorité, se place même le corps franc qui, selon les mots de Bluntschli, agit de bonne foi et dans la conviction de la justice politique de sa cause et se conduit en troupe organisée militairement (3). Dans le sujet qui nous occupe en ce moment, il s'agit de francs-tireurs, de guerilleros ou de partidas, pour nous servir des mots espagnols que les guerres du commencement du XIXe siècle ont fait pénétrer dans la discussion. La confusion règne, du reste, dans les exemples invoqués par les auteurs. Des corps francs se formèrent en Russie en 1812, en Prusse en 1813, pour ne citer que ces exemples.

(1) B.-KR. GRENANDER, Sur les conditions n'cessaires, selon le droit des gens, pour avoir, en guerre, le droit d'être considéré et traité comme soldat. Revue pratique de droit franguis, t. XLIX (1881), p. 486.

(2) V. CHARETON, Les corps francs dans la guerre moderne. Les moyens à leur opposer. Étude historique et critique sur l'attaque et la défense des voies de communication de l'armée, 1900, p. 5.

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La situation des francs-tireurs a été examinée, au milieu du XVш° siècle, par Jean-Jacques Moser; celui-ci enseignait, en 1752, que les sujets qui, même sans autorisation du souverain, luttaient pour la défense de la patrie ou pour leur défense personnelle, ne pouvaient être traités plus durement que les combattants réguliers. Elle a été étudiée avec soin, au xixe siècle, par Francis Lieber et par Henry Wager Halleck (1). Les campagnes de Wellington en Portugal et en Espagne et la guerre des Etats-Unis contre le Mexique avaient fourni des cas nombreux et intéressants. La guerre de 1870 et de 1871 vint donner à la matière une importance considérable et la mit à l'avantplan dans les discussions scientifiques concernant le droit de la guerre. Le sujet figura tout naturellement au programme de la conférence de Bruxelles de 1874, et il fut de nouveau traité dans la conférence de la Haye de 1899.

Une publication que nous avons déjà invoquée indique l'opinion des militaires. « D'une manière générale, est-il dit, l'histoire des guerres laisse apparaître que le haut commandement des armées régulières a toujours été enclin à traiter avec défiance les troupes irrégulières de l'ennemi et à leur appliquer les lois de la guerre avec une sévérité particulière. Ce préjugé défavorable est fondé sur ce que le défaut d'éducation militaire et de forte discipline des irréguliers les entraîne facilement à la transgression et à l'inobservation des lois de la guerre; qu'en outre la petite guerre qui a leur prédilection et qui, par sa nature même, laisse le champ libre à l'esprit d'entreprise, à l'arbitraire et à la passion, dégénère facilement en brigandage et en violences non permises, et qu'en tout cas l'insécurité en général qu'amène l'existence de ces troupes engendre, chez celles qui sont menacées, plus d'exaspération, de colère et d'esprit de vengeance et pousse à de plus cruelles représailles (2). »

En 1870, à la suite des premiers désastres, le gouvernement français permit d'une manière générale la formation de corps de francs-tireurs

(1) FRANCIS LIEBER, Reminiscences, addresses and essays, 1881, t. II, p. 277 et suivantes. Guerilla parti s considered with reference to the law and usages of war. La monographie est de 1862. - H.-W. HALLECK, International law or rules regulating the intercourse of states in peace and war. Nouvelle édition revue par sir SHERSTON BAKER, 1878, t. II, p. 6 et suivantes.

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(2) Lois de la guerre continentale. Publication citée, p. 10.

qu'il commissionna et qu'il rattacha à l'armée; il émit l'opinion que, dès que les compagnies seraient en possession d'une autorisation du ministère de la guerre, leurs membres devraient être traités en soldats. Le gouvernement prussien soutint que l'autorisation ne suffisait pas, mais qu'il fallait, en outre, que les corps de francs-tireurs fussent soumis aux lois militaires françaises et commandés par des officiers français; il alla plus loin; il voulut exiger une autorisation spéciale pour chaque homme.

Telles furent les données du problème scientifique. Dans la discussion furent invoqués tour à tour les droits de l'armée victorieuse et du peuple luttant désespérément pour sa liberté. Le principal argument juridique était tiré de ce que l'ennemi faisant la guerre à un État, il doit pouvoir posséder la certitude que ceux qui sont contre lui représentent cet État et que ce dernier est par suite responsable de leurs actes. Le principal argument pratique invoquait l'intérêt de la population paisible. Des publicistes firent valoir qu'il dépendait, en somme, des nations elles-mêmes de se soustraire aux prescriptions édictées concernant les troupes irrégulières, et qu'il suffisait de préparer la défense de la patrie. « Ce qu'il faut souhaiter, écrivait RolinJaequemyns, c'est que, à l'avenir, les peuples libres aient assez de constance et de prévoyance pour se donner une forte organisation militaire, basée sur la participation égale de tous à la défense de la patrie. C'est là pour eux un devoir non seulement national, mais humanitaire. Car plus la guerre sera conduite de part et d'autre par des troupes régulières et disciplinées, moins l'humanité aura à souffrir. Sans doute, il y a place ailleurs que sous l'uniforme pour les sentiments les plus nobles et la conduite la plus héroïque, et il faut admettre que, parmi des malheureux paysans fusillés en vertu des lois de la guerre, plus d'un n'était coupable que d'avoir obéi à un sentiment instinctif, presque irrésistible, de patriotisme local. Mais il faut admettre d'autre part que le genre de résistance, d'ailleurs peu efficace en définitive, opposé par eux à l'invasion étrangère devait inévitable. ment conduire d'une part au banditisme et à ses pires excès, de l'autre, à une répression sévère (1). »

(1) ROLIN-JAEQUEMYNS, Essai complémentaire sur la guerre franco-allemande dans ses rapports avec le droit international. Revue de droit international et de législatim comparée, t. III, p. 310.

Le projet d'une convention internationale concernant les lois et coutumes de la guerre présenté par le gouvernement russe à la conférence de 1874 énumérait les conditions auxquelles était soumise l'attribution aux milices et aux corps de volontaires des droits de l'état de guerre; il disposait que les bandes armées ne répondant pas aux conditions ne seraient pas considérées comme des ennemis réguliers et, en cas de capture, seraient poursuivies judiciairement. La dernière proposition fut aussitôt sacrifiée; dans la séance de la commission du 14 août 1874, le délégué de Russie, Jomini, proposa lui-même la suppression; le débat porta uniquement sur les quatre conditions de la reconnaissance de l'état de combattant. Ainsi fut formulé l'article 9:

« Les lois, les droits et les devoirs de la guerre, était-il dit, ne s'appliquent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :

«< 1o D'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés;

« 2o D'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance; « 3o De porter les armes ostensiblement, et

«< 4° De se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre.

<<< Dans les pays où les milices constituent l'armée ou en font partie, elles sont comprises sous la dénomination d'armée. »

On le voit, la rédaction, qui d'ailleurs était conforme sur ce point au projet russe, n'exigeait pas l'autorisation expresse de l'État; elle se contentait de l'organisation militaire sous la conduite d'un chef responsable. Il avait fallu trancher les controverses qui s'étaient produites au sujet de la preuve de l'autorisation générale et de l'autorisation spéciale pour chaque homme ainsi que de l'obligation de produire un ordre d'appel sous le drapeau et d'inscription sur les listes d'un corps militaire.

La conférence de la Haye de 1899 a voté un texte pareil à l'article 9 de la conférence de Bruxelles; elle a complété le paragraphe final par l'adjonction des mots « ou des corps de volontaires ». Ainsi l'article 1er du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre est conçu en ces termes :

«Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s'appliquent pas

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