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d'ardents défenseurs. A un moment donné, lord Palmerston s'y rallia ouvertement, et le 7 novembre 1856, dans une réunion de négociants de Liverpool, il exprima l'espoir que le cours des temps amènerait l'application des principes de la guerre continentale à la guerre maritime. L'homme d'État anglais faisait principalement valoir l'inutilité de la capture. « Si nous jetons nos regards sur l'exemple que nous donne l'histoire, disait-il, nous ne voyons jamais qu'une puissante contrée ait été vaincue à la suite de pertes éprouvées par les particuliers. Ce sont les luttes des armées sur terre, celles des flottes sur mer qui décident les grandes contestations internationales et peut-être bien est-il à désirer que ces luttes soient confinées aux corps agissant sous les ordres et sous la direction des États engagés dans la guerre. >>

La question se présentait dans des conditions favorables au point que, le 2 décembre 1856, dans son message au congrès, Franklin Pierce constatait que tout faisait espérer qu'« un principe de caractère si humain et d'application si égale, indispensable à la prospérité des peuples commerçants et correspondant aux sentiments d'un siècle éclairé, s'imposerait à l'approbation de toutes les puissances maritimes et serait inséré dans le code de droit international. »

Les négociations échouèrent. Quand James Buchanan remplaça Franklin Pierce à la présidence, le gouvernement des États-Unis crut habile d'ajouter encore au changement que devait subir la déclaration de Paris. Il ne se contenta pas de l'affirmation du principe protecteur de la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi; il prétendit modifier la portée juridique du blocus, borner celui-ci aux places fortifiées, appliquer ses sanctions uniquement quand les navires neutres essayaient d'introduire des munitions de guerre et des objets de contrebande et non quand ils faisaient un commerce loyal, permettre enfin à tous les navires marchands de quitter librement les ports bloqués et de gagner la haute mer. Il alléguait comme prétexte que si la nouvelle réforme était admise, l'abolition de la course devait rencontrer moins d'opposition et l'immunité de la propriété privée produire d'utiles résultats. Il était guidé par un motif différent. En effet, une réaction s'était manifestée dans l'opinion publique; on reprochait au secrétaire d'État du précédent gouvernement de s'être inspiré des théories philanthropiques qui avaient été en honneur à une époque où le commerce des États-Unis n'était pas développé et d'avoir

perdu de vue les exigences pratiques; on l'accusait même de ne pas s'être tenu dans les limites tracées à ses fonctions.

De cette époque date une affirmation du principe qui vaut d'être mentionnée. Elle figure dans le traité conclu, le 11 juin 1856, entre la république de Costa-Rica et la république de la Nouvelle-Grenade. Les parties contractantes déclaraient que ni la saisie ni la confiscation ne pouvaient frapper la propriété privée des citoyens qui ne faisaient pas partie de l'armée; elles n'établissaient d'exception que pour la contrebande de guerre et pour les navires violant les règles généralement admises au sujet du blocus.

V

Dans le domaine de la science devait se produire bientôt un mouvement important en faveur de l'extension du principe de l'inviolabilité de la propriété privée aux guerres maritimes. Déjà dans la première moitié du XIXe siècle, quelques publicistes avaient défendu la thèse généreuse. Dominique Romagnosi avait écrit, en 1812, les Questioni di diritto sulle prede maritime. Charles-Salomon Zachariæ avait consacré à la question d'intéressantes observations dans les Vierzig Bücher vom Staate, qui commencèrent à paraître en 1820; il constatait que dans la guerre maritime la propriété privée était soumise à une règle autre que la règle qui la régissait dans la guerre sur terre, mais il affirmait sa foi en la réalisation d'une réforme. Ferdinand Lucchesi-Palli composait, en 1840, les Principii di diritto pubblico marittime e storia di molti tratti sugli stessi, dont une traduction française paraissait, en 1842, sous le titre de Principes du droit public maritime et histoire de plusieurs traités qui s'y rapportent.

Toutefois, à l'époque où nous nous plaçons, la lutte pour le progrès eut lieu surtout dans les assemblées parlementaires et dans les grandes associations commerçantes. Des épisodes méritent d'être mentionnés.

A diverses reprises, Richard Cobden se prononça pour l'amélioration de ce qu'il appelait le «< code barbare du droit maritime »; il montrait que l'abolition de la course devait avoir comme conséquence la prohibition de saisir la propriété privée ennemie, parce que la prime d'assurance contre les risques de capture devait nécessairement

empêcher les navires marchands sous pavillon d'un État belligérant de soutenir la concurrence avec les navires marchands sous pavillon neutre qui seraient affranchis de pareille charge; il n'invoquait pas seulement la justice; il tirait argument des conditions spéciales où se trouvait la Grande-Bretagne et de la nécessité où elle était de faire venir d'au delà des mers une grande partie des produits destinés à l'alimentation de la population et les matières brutes de son industrie.

Une propagande vigoureuse se fit en Allemagne, principalement dans les villes hanséatiques. La campagne fut menée avec un rare talent et aboutit à la « résolution de Brème » qui fut votée, le 2 décembre 1859, par plus de trois cents négociants et qui obtint l'adhésion d'un grand nombre de cités commerçantes. La résolution affirmait que l'inviolabilité des personnes et des propriétés en temps de guerre maritime était impérieusement réclamée par la conscience juridique. Vaillante également fut la campagne entreprise par les principales chambres de commerce des Pays-Bas, tandis qu'à Anvers, au Havre, à Marseille, à Trieste, ailleurs encore, se constituaient d'actives associations.

Le 11 janvier 1860, le gouvernement des Pays-Bas s'adressait à plusieurs gouvernements européens; il faisait connaître qu'on s'attendait à la réunion d'un nouveau congrès des grandes puissances et il proposait à divers Etats maritimes qui ne devaient pas être appelés à ce congrès, c'étaient la Belgique, le Danemark, le Hanovre, le Mecklembourg-Schwerin, le Mecklembourg-Strelitz, l'Oldenbourg et les villes hanséatiques, de faire remettre, par leurs légations à Paris, une note collective pour appeler l'attention du congrès sur l'exemption de toute saisie en haute mer de la propriété privée. Mais le congrès ne se réunit pas.

Quelques années plus tard, l'idée de réforme reçut une éclatante consécration. Le code de la marine marchande du royaume d'Italie, qui entra en vigueur le 1er janvier 1866, abolit la saisie des navires marchands. Il défend aux navires marchands de courir sur l'ennemi, de faire des prises, d'exercer des actes de guerre, excepté dans les cas qu'il énumère; c'est quand il y a guerre contre une puissance qui recourt elle-même à la course, quand des navires marchands sont attaqués, quand un navire ennemi tente de faire des prises en vue des

côtes de l'État. Il enlève aux navires de guerre le droit de faire des prises. « La capture et la prise des navires marchands d'un Etat ennemi par les navires de guerre, dit l'article 211, seront abolies par voie de réciprocité, à l'égard des États qui adopteront le même traitement envers la marine marchande italienne. La réciprocité devra résulter de lois locales, de conventions diplomatiques ou de déclarations faites par l'ennemi avant le commencement des hostilités. »> « Sont exclues des dispositions de l'article précédent, dit l'article 212, la capture et la confiscation pour contrebande de guerre, et, dans ce cas, le navire en contravention sera assujetti au traitement des navires. neutres qui violent la neutralité. Sont aussi exclues de ces dispositions la capture et la confiscation pour rupture d'un blocus effectif et déclaré. » Mentionnons-le. Le 4 octobre 1911, la Gazette officielle de Rome publiait la note que voici : « Aucun acte de la part de la Turquie n'ayant démontré son intention de ne point capturer durant les hostilités les navires marchands italiens, le gouvernement italien, se basant sur l'article 211 du code de la marine marchande, se réserve d'user de son droit de capture et de prise sur les navires marchands tures. >>

Le 18 avril 1868, la diète fédérale de l'Allemagne du Nord adopta une résolution par laquelle elle invitait le chancelier fédéral à entamer des négociations pour « élever par la voie de conventions d'État à État la liberté de la propriété privée sur mer en temps de guerre à la hauteur d'un principe reconnu du droit international ». Le conseil fédéral s'associa à la résolution de la diète.

Dans la guerre de 1866, l'Autriche, l'Italie et la Prusse renoncèrent au droit de capturer les navire de commerce ennemi: exception était faite uniquement pour les vaisseaux transportant des objets de contrebande ou violant un blocus.

La guerre franco-allemande fut marquée par des procédés moins. généreux. Dans l'ordonnance du 18 juillet 1870, le roi de Prusse déclara, au nom de la Confédération de l'Allemagne du Nord, que les navires marchands ennemis ne seraient sujets ni à la saisie ni à la capture, à l'exception de « ceux qui seraient soumis à la capture, même s'ils étaient neutres »; mais l'ordonnance fut rapportée, le 12 janvier 1871, la France ne s'étant obligée que dans les limites de la déclaration de Paris. La nouvelle ordonnance allemande stipulait un

délai de quatre semaines et comme sur ces entrefaites la guerre prit fin, aucun bâtiment de commerce français ne fut condamné par un tribunal des prises allemand.

VI

Du 26 février 1871 date un document important; c'est le traité conclu entre les États-Unis et l'Italie. Aux termes de l'article 12, la propriété des citoyens des deux pays, à l'exception de la contrebande. de guerre, est à la haute mer et partout ailleurs exempte de la capture de la part des vaisseaux armés en guerre et des forces militaires des deux parties contractantes; il est entendu que l'immunité ne s'étend pas aux navires qui tentent d'entrer dans un port bloqué par les forces navales de l'un ou de l'autre pays.

Quand, en 1874, se réunit la conférence de Bruxelles, il avait été convenu que les questions relevant du droit de guerre maritime demeureraient étrangères aux débats. Dans la séance du 31 juillet, le président donna même lecture d'un extrait des instructions données au délégué de la Grande-Bretagne; celui-ci devait s'abstenir de prendre part à aucune discussion sur aucun point qui pourrait être mis en avant et qui lui paraîtrait s'étendre à des principes généraux du droit international non encore universellement reconnus et acceptés.

VII

Pendant la période dont nous venons de parler, d'intéressantes publications avaient été consacrées à défendre la thèse de l'inviolabilité de la propriété privée sous pavillon ennemi. En 1857, Henri Rochussen soutenait devant la faculté de droit de l'université de Leyde la thèse De occupatione bellica bonorum privatorum in bello maritimo. En 1865, Hercule Vidari composait un travail : Del rispetta della proprietà privata dei popoli belligeranti, dont une édition revue et augmentée paraissait, en 1867, sous le titre : Del rispetto della proprietà privata fra gli stati in guerra. En 1866, Eugène Cauchy publiait le mémoire : Du respect de la propriété privée en temps de guerre maritime. En 1875, Louis Gessner rédigeait son écrit: Zur Reform des Seekriegs, et Jean

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