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La majorité de l'Assemblée Nationale refusa d'accepter cette généreuse abdication, et, d'une voix presque unanime, le général Simon Bolivar reçut la mission d'exercer son commandement supérieur jusqu'à la conclusion définitive de la paix. Il dut céder à ce vœu, qui répondait si bien aux exigences du présent, au salut de l'avenir.

Cependant les républicains du Venezuela et de la NouvelleGrenade s'étaient unis en 1819, sous le nom de Colombie, afin de faire face aux incessantes attaques des Espagnols, commandés par l'impitoyable Morillo, comte de Carthagène, que l'on comparait à un tigre altéré de sang américain. Plusieurs fois vaincu par Bolivar, mais ayant reçu d'Espagne de nombreux renforts, Morillo recommença les hostilités. C'était imposer au patriotisme colombien un surcroît de sacrifices; l'Assemblée Nationale et le peuple le comprirent. Bolivar fut élevé à la présidence de la république et investi de la dictature, dont il fit un instrument de salut par la glorieuse victoire de Royaca, en dispersant des forces trois fois supérieures en nombre au chiffre de son armée.

Une nouvelle victoire en 1820, remportée à la Plata, réduisit Morillo et les Espagnols à solliciter un long armistice; Bolivar en profita pour imposer à son adversaire un second traité réglant les conditions de la guerre et respectant les droits de l'humanité.

Après ce grand acte, qui adoucissait les horreurs de la lutte, Bolivar donna sa démission de président de la république, et résigna en ces termes le pouvoir dictatorial, dont il était investi:

« Je suis un enfant de l'armée; la guerre m'a porté à la magistrature suprême dans laquelle la fortune m'a soutenu; mais une autorité, comme celle qui m'est confiée, peut devenir dangereuse dans un État républicain; je préfère le

titre de soldat à celui de Libérateur, et je n'aspire qu'à mériter la dénomination de bon citoyen. >>

A tant de magnanimité, les royalistes espagnols devaient répondre par des tentatives d'assassinat. Heureusement elles échouérent, grâce au courage et à la présence d'esprit de Bolivar.

Dans cette glorieuse et magnifique carrière, il y a surtout une époque exceptionnelle, qu'il importe de rappeler aujourd'hui, c'est la réunion du Grand Congrès des nations affranchies de l'Amérique latine, assemblée réunie à Tacubaya dans l'isthme de Panama. Il était impossible de choisir une situation géographique mieux en rapport avec le but à poursuivre; de Tacubaya, en effet, de ce point central du globe, qui se trouve en regard de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, les libres représentants de l'Amérique, échappés au joug de l'Espagne, s'offraient en spectacle à l'univers.

La haine, la défiance, la jalousie prétendirent que Bolivar aspirait au trône et voulait devenir Empereur.

Sa réponse ne se fit point attendre. Le 20 janvier 1830, il déposa de nouveau le pouvoir, en ne gardant que le titre de généralissime des armées de la Colombie.

<< En cette qualité, dit-il, soumis aux lois comme tous mes concitoyens, au moindre danger je tournerai, ainsi que le taureau dans le cirque, pour veiller au salut de la patrie, pour défendre la république contre l'ennemi intérieur et extérieur, et cet ennemi, je le terrasserai. >>

Joignant les actes aux paroles, le magnanime Libertador se retira à Bogota, pour y vivre tranquille, satisfait; et de son modeste asile, il adressa aux Colombiens cette lettre ou plutôt ce monument historique, que je suis charmé de reproduire :

« La présence d'un soldat heureux, quelque désintéressé

qu'il soit, peut toujours devenir un péril dans la période d'une République naissante, quand la liberté n'a pas reçu la sanction du temps. Je suis fatigué d'entendre répéter que j'aspire à m'ériger en Empereur, à relever le trône des Incas. On dénature, on envenime partout mes actes; on outrage jusqu'à mes pensées, qui fournissent matière aux plus odieuses suppositions, à d'ignobles pamphlets. C'en est trop, j'ai payé ma dette à la patrie, à l'humanité; j'ai sacrifié ma fortune, mon sang, ma santé à la cause de la liberté; tant qu'existait le péril, je me suis dévoué, mais aujourd'hui que l'Amérique n'est plus déchirée par la guerre, ni souillée par l'étranger en armes, je me retire pour que ma présence ne soit plus un obstacle au bonheur de mes concitoyens. Seul, le salut de la République peut m'imposer la dure loi d'un exil perpétuel, loin de la terre chérie où je suis né. Recevez donc mes adieux comme une nouvelle preuve de mon ardent patriotisme, comme un témoignage de la tendre affection que je porte aux Colombiens. >>

Après avoir vendu sa dernière propriété, une mine qui lui ̈ restait à Sanna, Bolivar se rendit à Carthagène, où il devait s'embarquer pour l'Europe.

Mais cette lettre d'adieu, ce testament politique et militaire d'un grand homme rentrant volontairement dans la vie privée, ou, pour mieux dire, dans le domaine serein de l'histoire, et de son vivant se plaçant lui-même au sein de la postérité, ce noble et måle langage digne d'un héros de Plutarque, réveillèrent les sympathies de ses nombreux amis, réduisirent au silence ses rares adversaires, et firent vibrer au cœur de tous les Colombiens le sentiment de la reconnaissance méritée par tant de services rendus à la cause de la patrie, de l'indépendance, de la liberté.

Par un élan spontané, Bolivar fut proclamé le PREMIER

CITOYEN DE LA COLOMBIE (1), et comme un tribut de respect pour son caractère et ses vertus, comme une compensation de sa fortune, si noblement sacrifiée, on mit en vigueur le décret du 23 juillet 1823, dont il avait toujours refusé l'application, et qui lui allouait une pension nationale de trente mille dollars par année durant toute sa vie (2).

Une députation solennelle reçut la mission de remettre au libérateur ce double témoignage de la reconnaissance de ses concitoyens; il en fut vivement touché dans sa retraite champêtre de San-Pedro, auprès de Santa-Mata; mais le coup mortel était porté: le 17 décembre 1830, à 47 ans et quelques mois, dans la force de l'âge, Bolivar succomba, emporté par une fièvre bilieuse, en plongeant dans le deuil la ville de Caracas, son berceau, le Venezuela, la Colombie, l'Amérique latine, dont il est resté le Washington; car son œuvre d'indépendant lui a survécu.

CONCLUSION.

L'esquisse biographique dans laquelle j'ai essayé de peindre les grandes lignes, les traits principaux de la belle et pure physionomie de Simon Bolivar, m'a dispensé de tracer le tableau d'ensemble et l'appréciation des détails de la guerre de l'indépendance.

Cette guerre, je la résume d'abord dans l'introduction générale, qui me sert de point de départ, de base et de lien

(1) Admirable inspiration, tardive, mais solennelle justice d'un peuple libre, qui associait dans sa mesure immortelle de réparation : le DISCUBRIDOR, Christophe Colomb; le LIBERTADOR, Simon Bolivar.

(2) Le dollar valait alors, en 1830, cinq francs quarante centimes, ce qui représentait une somme bien plus considérable qu'en 1872.

pour les différentes monographies, dont je m'occupe pour toutes les républiques de l'Amérique méridionale et centrale.

En attendant que cette publication soit complète, je dois expliquer ici d'une manière rapide les phases qu'ont traversées les États-Unis du Venezuela avant de parvenir à leur organisation actuelle.

L'héroïque cité de Caracas mérite d'être signalée, comme ayant donné le premier signal de l'indépendance, dès le 19 avril 1810; un semblable mouvement éclata, le 25 mai, un peu plus d'un mois après, dans la ville de Buenos-Ayres.

Caracas a donc été le foyer d'où est partie l'étincelle, rallumant l'incendie qui a fini par purifier l'Amérique latine en l'affranchissant du joug de l'Espagne, en renouvelant l'existence de ces vastes contrées, de ces patriotiques populations courbées pendant trois siècles sous le despotisme et l'exploitation d'une métropole ne tenant aucun compte des droits de tant de millions d'hommes, dont elle pompait la substance.

De 1810 à 1824, jusqu'à la conquête définitive de l'indépendance, jusqu'au triomphe complet des patriotes américains du sud et du centre de ces belles régions, toutes les provinces, tous les États en lutte contre l'Espagne n'eurent qu'une seule et même histoire militaire, politique, administrative et sociale.

On marchait sous le même drapeau, on obéissait à des chefs ne rivalisant que de patriotisme, de courage et de génie pour atteindre le même résultat. Ces chefs se nommaient Bolivar, Mariano, Paez, Riba.

En 1811, le Venezuela, Santa-Fé di Bogota, Carthagène proclamèrent leur indépendance dans des congrès ou des juntes locales, qui donnèrent une sanction politique à l'œuvre de la guerre.

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