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serait devenu fou ou qu'il aurait perdu la vie. « Je l'ai entrepris, dit-il encore, pour détourner mes pensées de ce nom cher et sacré que je ne révélerai jamais. >>

Dans Manfred, qui parut un an après la rupture, se trouve au commencement du deuxième acte le passage suivant : « Je dis que c'est mon sang, mon sang, le pur et chaud torrent qui coula dans les veines de mes aïeux et dans les vôtres quand nous étions jeunes, que nous n'avions qu'un cœur, et que nous nous aimions comme nous n'aurions pas dû nous aimer.... » Plus loin : « Nous n'étions pas nés pour nous tourmenter ainsi l'un et l'autre quelque coupable qu'ait été notre amour.... » Parlant de ses maîtresses, Manfred dit : « Pourtant il en était une qui avait mon apparence; mêmes yeux, disait-on, mêmes cheveux, mêmes traits; tout était semblable en elle jusqu'au son de la voix mais avec quelque chose de plus doux.... Elle avait comme moi des pensées rêveuses et solitaires..... Elle avait, en outre, des qualités plus aimables que les miennes, la pitié, le sourire, les larmes que je ne possédais pas, enfin la tendresse, mais ce sentiment, je l'éprouvais à son égard. » Cela et d'autres passages encore 1 semblent décisifs. Toutefois on pourrait arguer de l'irrésistible besoin qu'ont les écrivains sentimentaux à magnifier leurs sensations.

1

Quand il composa Manfred, Byron venait de recevoir plusieurs lettres très froides qu'Augusta lui avait écrites sous l'inspiration de Lady Byron; il avait deviné cette influence et son exaspération fut extrême; il y a certainement de la vengeance dans ses confessions indirectes.

Dans Caïn, écrit en 1821, il est fait allusion, comme dans la Fiancée d'Abydos, à l'amour d'un frère pour sa sœur, mais cette fois au point de vue théorique. L'inceste ne devient péché que par le caprice du Créateur.

Adah (avec un H) déclare qu'elle aime Caïn son frère. (Acte I, Scène 1). Lucifer. Plus que ta mère et ton Seigneur?

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Lucifer. Pas encore. Mais un jour ce sera un crime pour tes enfants.
Est-ce que ma fille ne doit pas aimer son frère Enoch?
· Pas comme tu aimes Caïn.

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Adah.
Lucifer.

--

1. Acte II, scène iv, l'imploration à Astarté, par exemple.

Il est de peu de poids évidemment de remarquer qu'Augusta Leigh n'était pas jolie, « ressemblait à une nonne » et n'avait rien de séduisant.

Byron l'avait eue auprès de lui durant les années 1813-1814, car réduite à l'extrême misère et au désespoir par son mari, elle ne savait où trouver asile. Comme le mariage de Byron, le sien avait été une sottise.

Elle revint, d'avril à juin 1815, habiter avec Byron et sa femme et servit plus d'une fois à calmer les emportements de son frère; en novembre, elle s'installa à Piccadilly Terrace jusqu'au départ de Lady Byron. Celle-ci ne pouvait pas ne pas la jalouser, car Byron lui montrait un attachement exagéré. Durant leur lune de miel, à Halnaby, il avait reçu une lettre d'elle commençant par ces mots : «< Très cher, le premier, le meilleur des êtres humains »> qu'il s'empressa de montrer à sa femme avec une joie exultante, bien faite pour la froisser.

On a avancé que ce fut durant son premier séjour et même après le mariage de son frère que les relations incestueuses eurent lieu.

Mais il y a quelque chose de surprenant, de déroutant dans l'attitude d'Augusta lors du mariage de son frère et dans les rapports affectueux que les deux femmes entretinrent longtemps. << J'ai tout lieu de penser, écrit Augusta, que Mme Byron est en train de le rendre heureux de la bonne façon. J'étais inquiète. Dieu merci mes craintes ne semblent pas devoir se réaliser. Une chose trouble notre félicité, le sort de la noble et sainte abbaye de Newstead. Je ne puis me faire à la pensée de la perdre.... »

Annabella semble pour sa part avoir considéré sa belle-sœur pendant la durée de son mariage, comme une protectrice. Elle écrivait à «< sa très chère » Augusta : « C'est pour moi un très grand réconfort de vous savoir auprès de mon frère (23 janvier 1816). Je sais que vous avez pour moi les sentiments que j'ai pour vous. Peut-être suis-je mieux comprise que je ne le pense. Vous êtes mon meilleur soutien et ma meilleure consolation (25 janvier). Nos souffrances peuvent se transformer encore en bénédictions, ma chère Augusta (14 février). » Ces lettres sont antérieures, il est vrai, à la communication de Mrs. Clermont, mais cependant postérieures au départ de Lady Byron et au refus sec de renouer.

Lorsque ce qui n'était qu'hypothèse devint, à tort ou à droit, certitude à ses yeux, les relations demeurèrent cordiales, amicales même pendant des années. Augusta servit à mainte reprise d'intermédiaire entre Lord et Lady Byron, surtout au sujet de la petite Ada. En 1819, la nouvelle que Byron se disposait à revenir en Angleterre fut l'occasion d'un échange de lettres entre les deux femmes. Augusta Leigh consulta Annabella sur le point de savoir si elle verrait son frère. Lady Byron le lui déconseilla, mais Augusta fit remarquer que ce serait là un aveu formel.

Ce fut au cours de cette correspondance que, le 23 décembre 1819, Lady Byron lui écrivit ces paroles accablantes :

« Je ne veux pas vous influencer, il faut que vous agissiez par conviction personnelle et non par persuasion, que mes raisons deviennent les vôtres. Ne prenez pas de demi-mesures qui nous mèneraient à votre ruine. Désireuse comme je le suis de vous soutenir et de vous réconforter dans la voie retrouvée de la vertu, je ne pourrai y parvenir en vous imposant mes volontés. »

Le 31 décembre suivant (1819), elle disait encore : « Je me sens justifiée à me départir de la ligne de conduite que j'avais adoptée en vous assurant que, connaissant votre crime passé (former guilt), nos relations resteraient restreintes.... >>

Quelle incomparable maîtrise d'elle-même avait donc cette femme qui, sachant ce qu'elle savait, s'entretenait amicalement avec celle qu'elle croyait être l'incestueuse maîtresse de son mari, la traitait de « Ma très chère » et la conseillait!

En 1830, éclata une brouille dont le sujet, du moins celui qu'on mit en avant, fut un désaccord sur la désignation d'un des trustees de la succession de Lord Byron. Cette brouille dura jusqu'en 1851. A cette époque, Augusta, se sentant près de sa fin, voulut se laver auprès de Lady Byron du reproche d'avoir éloigné d'elle son mari. Lady Byron alla la voir à Reigate; quand Augusta eut achevé de se disculper, elle se contenta de lui dire : « Est-ce tout? » et se retira. Deux lettres furent échangées en avril suivant, l'une compassée de la part de Lady Byron, l'autre passionnée et véhémente de la part d'Augusta. Elle mourut le 18 octobre suivant (1851).

En 1816 (14 avril), Byron s'entremit en faveur de sa sœur, priant Lady Byron de se montrer bonne envers elle. «< S'il m'arrive

malheur, soyez bonne pour Augusta ou, si elle a disparu, pour ses enfants. Il y a quelque temps, je vous ai prévenue que, considérant que votre enfant était suffisamment pourvu, j'avais testé en sa faveur et en faveur de ses enfants, comme je l'avais fait antérieurement à notre mariage. Ceci n'était pas fait contre vous, car nous n'avions pas alors de différend. Je le répète, soyez bonne pour elle et ses enfants, car jamais elle n'a rien dit ni fait que de bon envers vous. Elle a toujours été pour vous une amie. Peu vous importe sans doute maintenant que vous avez tant d'amis; néanmoins soyez bonne pour elle. Souvenez-vous que s'il vous est avantageux d'avoir perdu votre époux, c'est un chagrin pour elle de se voir séparée de son frère par les mers, et plus tard, par la tombe. » A quoi Lady Byron répondit que le passé ne l'empêcherait pas d'agir en amie auprès d'elle.

Faut-il voir dans cette intervention de Byron une inconcevable inconscience ou la preuve de son innocence? Tout dans cette affaire dépasse l'ordinaire. Pour en démêler les véritables ressorts et les complications, il faut faire abstraction du train ordinaire des sentiments humains.

On s'est étonné que Lady Byron ait gardé le silence quand, en 1825 et 1830, elle se vit accablée de reproches, d'injures et d'insultes dans des publications retentissantes alors qu'il lui était si facile de se défendre. Il ne faut pas oublier toutefois qu'elle avait une fille toute jeune dont il fallait ménager les sentiments; peut-être craignait-elle aussi de provoquer un éclat trop scandaleux, peut-être eut-elle alors quelque scrupule à salir la mémoire de son mari et à sacrifier complètement sa belle-sœur.

XIII

PUBLICATION DES DOCUMENTS.

A

PRÈS la mort d'Ada, le 29 novembre 1852, Lady Byron se montra moins réservée. En 1853, Mrs. Beecher Stowe, l'auteur de Uncle Tom's Cabin1, eut une conversation assez intime avec Lady Byron; quatre ans plus tard, en 1856, se croyant très malade, Lady Byron la manda de nouveau. Une édition populaire des œuvres de Byron était sous presse; son ardente piété lui en faisait redouter les effets sur le public; pour les atténuer, elle songea à diminuer la valeur morale de l'auteur en dévoilant ses tares. C'est pourquoi elle fit confidence à Mrs. Stowe du crime qu'elle imputait à Lord Byron. Du moins, c'est ce qu'elle expliqua. Mrs. Stowe donna raison à Lady Byron et lui recommanda de préparer un dossier qui ne serait ouvert qu'après sa mort. Lady Byron mourut le 16 mai 1860 et rien ne parut. En 1869 seulement, à la suite de la publication du livre de la comtesse Guiccioli qui, en glorifiant Byron, condamnait sa femme, Mrs. Stowe publia un récit de son entrevue avec Lady Byron d'abord dans deux articles parus dans des revues, puis dans un livre 3. Cette révélation n'eut pas le retentissement qu'on aurait pu croire. Il en fut différemment d'une autre publication.

Lady Byron avait inscrit sur le coffret contenant toutes les

1. Publié en 1850, ce livre fit grand bruit.

2. Macmillan Magazine et The Atlantic (sept. 1869).

3. Lady Byron Vindicated, A History of the Controversy from its Beginning in 1816 to the Present Time, Londres, 1870.

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