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forte que la différence qu'il y a entre notre profe & notre poëfie ne confifte nullement dans la différence des intervalles, mais dans la liberté qu'on a de les chanà tous momens dans la profe; au lieu que dans les vers, le premier intervalle fert de modéle aux fuivans: ou fi différens intervalles s'entremêlent & s'affortiffent, comme il arrive quelquefois dans la poëfie lyrique, le premier affortiment fert ordinairement de modéle aux autres : ou fi enfin cet affortiment ne fett point de modéle, les vers ne different alors de la profe que par la rime, & par quelques autres regles prefque arbitraires, qu'on y

obferve.

Examinons maintenant comment ces intervalles ou nombres doivent être combinez dans l'Oraifon.

Dans la Poëfie c'eft ordinairement le premier intervalle qui fert de regle aux autres. Dans la profe les intervalles font indépendans les uns des autres : pourvû qu'ils ne paffent point certaines bornes, c'eft affez. C'eft-à-dire que la profe n'est qu'emprisonnée, comme dit Quintilien, & que la poëfie eft outre cela enchaînée. En général tous les intervalles dont la

combinaison fait quelque fymétrie, font agréables. Tantôt c'est l'égalité :

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Cet homme tant vanté dans le monde
eft ici couché fous la pierre

& enfeveli dans la pouffiere.

Tantôt c'eft un intervalle inégal fuivi de deux qui font égaux :

les peres mourans

envoient leurs fils pleurer
fur leur Général mort.

Quelquefois il y a progreffion afcen

dante :

ce grand,

ce Conquérant,

cet homme tant vanté dans le monde. Quelquefois elle eft renverfée.

1. à quoi fe réduisent ces magnifiques éloges qu'on leur donne,

2. &

que nous lifons fur ces fuperbes maufolées que leur érige la vanité humaine ? 3. A cette trifte infcription:

4. hîc jacet.

Quelquefois cette progreffion renversée marque la vivacité.

Direz-vous que je me fentois coupable? Mais ce que j'avois fait, bien loin d'être un crime, étoit une très-belle action.

Que je craignois d'être condamné par le peuple?

Il ne s'eft point agi de fon jugement ;
& s'il m'eût jugé, je m'en ferois tiré
avec un double honneur.

Que les gens de bien m'ont refufé leur
appui ?
Cela eft faux.

Que j'ai craint la mort?
C'est une injure.

Voici un exemple plus court: J'ai tout confidéré, tout pefé, tout vú.

De toutes ces combinaisons il n'y en a point qui ait plus de dignité que celle qui préfente la progreffion afcendante. C'est elle qui éléve le ftyle, qui lui donne cette abondance mêlée de force & de chaleur.

Mais quelque belle & quelque agréable qu'elle foit, la variété l'eft encore plus. Il faut tâcher de les concilier l'une avec l'autre, de réferver cette progreffion pour certaines penfées qui ont de l'éclat,

qui doivent être plus développées que les autres, & d'employer les intervalles égaux, les décroiffans, quelquefois même rompre les fymétries, pour préparer des nombres plus brillants. En un mot il faut difposer tout de maniere que d'un côté on évite l'affectation & le pédantifme, & que de l'autre côté les repos fe répondent & fe diverfifient tellement, que les objets fe fuivent fans fe confondre; que l'efprit travaille toujours & fe repofe de proche en proche; que l'oreille foit frappée & menée par des chûtes variées & fymétriques; enfin que la refpiration foit libre fans être lâche, & l'auditeur foit toujours en haleine, & dans cet exercice infenfible qu'on peut appeller l'attention machinale.

On péche en cette matiere par les deux excès. Il y a obfcurité & embarras, quand il y a trop peu de repos. Il y a affectation, quand il y en a trop, ou qu'ils font trop fymétriques. Par exemple, c'eft faute de repos fuffifans qu'on ne fe retrouve qu'avec peine dans la feconde de ces deux phrafes: C'eft une opinion prefque généralement établie qu'on peut, fans efprit, fe faire une grande réputation dans les armes.

Voilà la premiere: voici la feconde : Mais je n'en fuis pas plus dispose à croire que des machines auxquelles l'ufage des réflexions eft inconnu puiffent exercer avec fuccès un des arts dans lesquels il importe plus de réfléchir. Il y a quelques repos dans cette phrafe, mais il n'y en a pas affez, & ils ne font pas affez fenfibles: les objets font comme enchevêtrez les uns dans les autres. C'est une confufion, un mêlange dont l'efprit ne fe tire qu'avec peine: & fi le lecteur ne fe donnoit à luimême la liberté de refpirer où le befoin le prend, il feroit en grand danger d'être hors d'haleine en arrivant au bout.

S'il y a trop de repos, ou qu'ils foient trop fymétriques, ou trop brilláns pour le genre dans lequel on les emploie ; alors le difcours devient comme un tableau en mofaïque; ou il paroît tiré, empefé, roide à force d'être régulier; ou enfin il forme une espece de mafcarade qui traveftit le genre, & fait figurer en grotefque les nombres d'appareils avec les chofes fimples, & les grandes chofes avec les nombres fimples & négligeż. On le fentira dans l'exemple que je vais citer, C'est un difciple de l'Eloquence à qui on

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