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qu'ils en portent l'impreffion dans ceux qui les voient.

Le geste imitatif eft plus fouvent dans le comique, que dans le tragique. Il n'est pas d'un homme grave & décent de contrefaire les geftes, ni les tons de qui que ce foit; parce que dans ces imitations il y a toujours quelque trait qui décéle le défaut de gravité, & qui avertit de la parodie.

Le gefte indicatif n'exprime que la penfée : il ne fait que montrer l'objet fur lequel il veut que le fpectateur porte fon

attention.

Enfin le gefte affectif eft le tableau de l'ame. C'eft lui qui fert la nature, quand elle veut fe développer elle-même, & qu'elle fe livre toute entiere aux impreffions qu'elle reçoit. C'eft ce gefte qui eft la vie du Difcours, & qui feul fait triompher l'Eloquence. Il contient toutes les attitudes du corps & tous fes mouvemens, fans nulle exception. Un orateur en chaire ne doit pas être indifférent, même fur l'arrangement de fes pieds qu'on ne voit pas. C'eft de leur difpofition que dépend fouvent la fermeté, la nobleffe, la grace de tout le maintien.

de

Il en eft de même des tons de voix, qui fe nuancent & fe graduent par les plus petites différences, par les demi-tons, les quarts de tons, quelquefois par des divifions que le calcul musical ne fauroit atteindre. Ordinairement la voix de l'orateur fe renferme dans la quinte. Elle n'en fort que dans les éclats, lorfqu'il s'agit porter les plus grands coups. C'est ce que les Latins appelloient, vocis contentio. Que d'art & de foin pour faifir toutes ces différences! Il y a plus : chaque orateur a fa voix qui demande un art particulier, foit pour l'adoucir quand elle est trop dure, foit pour la foutenir quand elle eft foible, pour la redreffer quand elle eft fauffe, pour la moderer quand elle a trop d'éclat.

Enfin il n'y a pas une paffion, pas un mouvement de chaque paffion, pas une feule partie de ce mouvement, qui n'ait fon gefte & fon ton particulier, fa modulation, fes degrez de geftes & de tons; & il n'y a aucun homme qui n'ait pour exprimer ce mouvement, fes geftes propres, & fes tons, que j'appelle individuels ; &, ce qui doit encore le plus effrayer ceux qui parlent en public, c'est

qu'il n'y a pas un auditeur, s'il eft homme, qui ne foit en état de faifir cette expreffion, & d'en sentir la justesse.

C'est même fur cette facilité de l'auditeur qu'eft fondée l'énergie de l'expreffion geftuelle. Il y a entre l'orateur & lui une fympathie, une proportion naturelle, qui fait que l'un faifit vivement & exactement tout ce qui eft exprimé par l'extérieur & par les tons de voix de l'autre. Quand nos oreilles & nos yeux fuivent l'action de celui qui déclame, leurs fonctions s'exercent fur leur objet naturel. Nous ne perdons rien. C'eft la nature même qui parle à nos organes; c'est-àdire, aux facultez qu'elle à faites exprès pour elle-même, & de maniere que ces facultez pûffent l'entendre & la comprendre quand elle leur parle.

a

Une Langue, quelque énergique, quelque riche qu'elle foit en mots & en tours, refte en une infinité d'occafions au-deffous de l'objet qu'elle veut exprimer. Il y a des chofes qu'elle ne rend qu'en partie, qu'avec obfcurité, qu'avec des longueurs. Souvent elle ne fait que deffiner ce qui devroit être peint, ou même profondément gravé. Un feul cri nous émeut jusques

dans les entrailles; tout notre être s'inté reffe à l'objet; fon reffort nous emporte & brife tous les autres liens. Il en eft de même des geftes. Un coup d'œil dit plus vîte & mieux que tous les difcours. Une attitude, un maintien nous convainc, nous explique à la fois mille chofes que nous débrouillons nous-mêmes avec plaifir. Combien de fcenes charmantes qui doivent tout à l'art & au génie de l'acteur, & qui, fi elles n'avoient que les paroles, ne feroient qu'une ébauche à peine dégroffie!

Le langage de la déclamation eft auffi fécond & auffi riche qu'il eft énergique. Il a des expreffions pour figurer avec les paroles & les tours de quelqu'efpece qu'ils foient. Dans la métaphore, la métonimie, l'antonomafe, l'hyperbole, le ton & le gefte font plus forts, plus foncez. La répétition, la converfion, la complexion, les différencient dans les commencemens, dans les chûtes, ou dans l'un & dans l'autre. La gradation les fait monter ou defcendre; la fubjection les fait concerter en baffes & en deflus; l'antithèfe & la comparaison les coupent & les tranchent par

des fymmétries tantôt croifées, tantôt paralleles, dans un fens tantôt direct & naturel, tantôt renverfé. En un mot il n'y a pas une feule figure de penfée à laquelle il ne réponde auffi une figure de geftes & de tons, avec cette feule différence que les figures de geftes & de tons ne fe tracent point fur le papier; au lieu que celles de penfées & de mots fe préfentent nettement dans des exemples.

La flexibilité des geftes & des tons qui fuivent les figures de penfées & de mots, ne fe trouve pas moins fenfiblement dans les périodes.

Il y a des périodes fimples, d'un feul membre. Il y en a de compofées, qui font de deux, de trois, de quatre, de cinq, de fix membres & quelquefois davantage. Il n'y en a pas une qui ne demande un certain ton & une certaine maniere de gefte qui les accompagne depuis le commencement jufqu'à la fin, qui termine les membres par quelque inflexion, fépare les incifes, annonce les membres fuivans, & enfin indique le repos abfolu.

Il y a un ton qui annonce le premier membre, un autre ton qui annonce le se

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