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Quand ces trois efpeces de penfées font exprimées par des mots, elles changent de nom : l'idée s'appelle terme, le jugement propofition, le raifonnement ar gument.

Les raifonnemens, comme on le voit, fuppofent les jugemens, & les jugemens les idées; ou, ce qui eft la même chofe, les argumens font compofez de propofi tions, & les propofitions font compofées de termes.

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L'argument à quelquefois trois propofitions:

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Il faut aimer ce qui nous rend heureux ;
Or la vertu nous rend heureux,

Donc il faut aimer la vertu.

Voilà ce qu'on appelle un fyllogifme forme. La premiere de ces trois propofitions fe nomme majeure, la feconde mineure, la troifiéme conclufion.

deux

Quelquefois l'argument n'a que propofitions, parce qu'on en fous-entend une, qu'il eft aifé de suppléer.

La vertu nous rend heureux,

Donc il faut aimer la vertu.

C'est l'enthymême. La premiere propo

pofition fe nomme antécédent; la feconde conféquent.

Quelquefois enfin on raifonne par des exemples.

On doit aimer la prudence,

Done on doit aimer auffi la justice.

Celui-ci s'appelle induction.

Le fyllogifme en forme fe rencontre rarement dans l'oraifon c'eft l'enthymême qui occupe fa place. Ou s'il y est, fes parties font arrangées autrement que dans la forme philofophique.

En Logique on dit: La vertu nous rend heureux, donc il faut aimer la vertu. Dans un ouvrage de goût, on préfente d'abord la propofition à prouver; & la raifon qui la prouve, n'arrive qu'après : Il faut aimer la vertus car elle nous rend heureux.

Ciceron nous donne un exemple de cet arrangement dans l'exorde de fon Oraifon pour le poëte Archias: (a) S'il "ya en moi quelque talent, Meffieurs,

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talent dont je fens la forbleffe & le peu » d'étendues fi j'ai quelque facilité acquife

(a) Si quid eft in me inspexercitatio dicendi, in qua genii, Judices, quod fentio me non inficior mediocriter effe quàm fit exiguum aut fi quà | verfatum : aut si hujusce rai

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» dans un art où je crois avoir atteint » la médiocrité ; fi je fuis redevable à » l'étude des Lettres, que je n'ai négli»gée dans aucun tems de ma vie, de quelque crédit de quelque degré d'au»torité; il n'eft perfonne plus en droit » que Licinius, d'en recueillir. aujour»d'hui tout le fruit. Lorfque je me rappelle les premieres années de ma vie, "& que je remonte jufqu'à ces tems voi» fins de mon enfance, je le vois qui me guide, qui me foutient, qui m'intro» duit dans la carriere des Lettres. Si ma » voix, formée par fes leçons, animée fes confeils, a quelquefois fecouru le citoyen dans fes dangers; puis-je rien » omettre aujourd'hui pour défendre ce» lui qui m'a mis en état de défendre les » autres ? » Cette période mise en fyllo

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par

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id ac

ratio aliqua, ab óptimarum mihi principem, & ad fusciartium ftudiis ac difciplina piendam, & ad ingrediendam profecta, à qua ego nullum rationem horum ftudiorum exconfiteor ætatis tempus titiffe. Quod fi hæc vox, mea tempus abhorruiffe: earum omnium jus hortatu, præceptifque conrerum vel in primis bic A. formata, non nullis aliquan Licinius fructum à me repetere do faluti fuit; à quo propè fuo jure debet. Nam cepimus, quo cæteris opitulari quoad longiffimè poteft mens alios fervare poffemus, huic mea refpicere fpatium præte- profecto ipfi, quantum eft fi riti temporis, & pueritiæ me- tum in nobis, & opem & famoriam recordariultimam, in- lutem ferre debemus. de ufque repetens, hunc video

gifme revient à ceci : Si je dois mon talent à Archias, il doit en recueillir le fruit or je lui dois ce talent, qu'il a formé dès mon enfance; donc il doit en recueillir le fruit. La 'majeure eft, Quod fi hæc vox, &c. La mineure, Nam quoad longiffimè, &c. La conclufion, Si quid eft in me ingenii, &c. & c'eft par-là que commence le difcours..

Une feconde. obfervation fur le fyllogifme oratoire ; c'eft qu'on lui donne plus d'étendue, en y ajoutant deux autres propofitions, dont l'une fert de preuve à la majeure, & l'autre à la mineure, quand elles en ont befoin: di

Il faut aimer ce qui nous rend plus parfaits: Or les belles Lettres nous rendent plus parfaits: Donc il faut aimer les belles Lettres.

Voilà un argument philofophique : nous allons le rendre oratoire :

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Il faut aimer ce qui nous rend plus parfaits, C'est une vérité qui eft gravée en nousmêmes, & dont le bon fens & l'amourpropre nous fourniffent des preuves que nous ne faurions défavouer.

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Or les belles Lettres nous rendent plus parfaits,

Qui peut en douter? Elles enrichiffent l'efprit, adouciffent les mœurs, répandent fur tout l'extérieur de l'homme un air de probité & de politeffe:

Donc il faut aimer les belles Lettres.

Mais le goût ne pouvant fouffrir cet arrangement fi compaffé, qui donneroit à l'oraifon une forte de roideur; il faut le renverfer & le déguifer. » Peut-on ne pas » aimer les belles Lettres ? Ce font elles qui enrichiffent l'efprit, qui adoucif» fent les mœurs. Ce font elles qui poliffent & qui perfectionnent l'humanité. "L'amour-propre & le bon fens fuffifent » pour nous les rendre précieuses, & nous » engager à les cultiver.

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Zenon comparoit l'argument philofophique à la main fermée, & l'argument oratoire à la main ouverte.

On n'emploie le raifonnement que pour trouver foi-même, ou pour montrer aux autres une vérité qui ne fe découvre pas, ou qui ne fe découvre pas affez. Par exemple: Que deux idées, qui ne paroiffent point liées entre elles, foient liées à une troifiéme celle-ci fera le nœud des deux autres. Ainfi fi j'ignore qu'il faut

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