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Deleve in

Baquoy Jul

LES PRINCIPES

DE LA

LITTERATUR E.

TROISIEME PARTIE, CONCERNANT LES GENRES EN PROSE.

AVANT que d'entrer dans cette troifiéme Partie, nous croyons devoir prévenir une objection, qui pourroit nous être faite. Pourquoi, diront quelques perfonnes, dans un Ouvrage tel que celui-ci, où l'on prétend rappeller tout à l'imitation Tome 1V.

A

de la nature, n'avoir pas préfenté d'abord l'Eloquence & le Récit, qui font, fans contredit, plus près de la nature que tous les autres genres, & qui femblent même en quelque forte avoir été les modéles de la Poëfie? Il étoit naturel d'aller du fimple au compofé, & de préfenter d'abord les procédez ordinaires de l'efprit humain, avant que d'étudier les rufes & les fineffes de l'art. D'ailleurs le langage de la Profe a précédé certainement celui de la Poëfie; celle-ci a toujours bâti avec les matériaux de celle-là. C'eft donc renverser l'ordre & commencer parte faîte de l'édifice, que d'offrir d'abord à ceux qu'on veut introduire dans le commerce des Mufes les livres de poëfie, par où il femble qu'on auroit dû finir.

N

convenons que fi dans cet Qu

vrage nous ne nous étions propofé que de montrer la voie pour arriver à la connoiffance d'une langue, il auroit fallu commencer par la Profe. C'eft là fans doute qu'eft le vrai génie, le caractère effentiel de quelque langue que ce foit. Dans la Pocfie la contrainte du vers altere nécessairement la structure naturelle

,

સો

des mots, & même quelquefois leur valeur. Ainfi c'eft aller à contre-fens que d'étudier d'abord une langue dans les poëtes. On a beau lire Horace & Virgile: fi on ne lit qu'eux, on n'apprendra jamais à parler comme Ciceron.

Mais notre deffein n'eft point d'apprendre à parler; c'est d'apprendre à lire & à juger. Or pour apprendre à juger, en matiere de littérature, il faut s'exercer d'abord fur les ouvrages où les beautez & les défauts, plus fenfibles, donnent aufsi plus de prife au goût & à l'efprit, où l'art fe montre fans mystère; & quand une fois on a bien reconnu cet art, tel qu'il eft, qu'on eft bien für d'en avoir faifi les vrais principes, on effaie de le reconnoître encore fur les ouvrages où il a coutume de fe cacher.

L'ordre que nous avons fuivi eft donc l'ordre même de l'efprit humain, lequel faifit d'abord ce qui eft fenfible, & s'en fait un moyen pour parvenir à ce qui ne l'eft pas.

Certe marche est si naturelle, que fi on confulte l'hiftoire même de la Poëfie & de l'Oraison, on trouvera que celle-ci n'eft venue qu'après l'autre.

Il y a bien de la différence entre le angage du feul befoin, & le langage de P'Eloquence. Le premier a fans doute précédé la Poëfie. Il est l'inftrument le plus effentiel de la fociété : & le genre humain a porté conftamment fes premiers soins fur le néceffaire. Mais le langage oratoire, où l'on joint toutes les reffources de l'art au génie naturel, où toutes les machines, tous les refforts qui peuvent aider à la perfuafion, font dreffez, tendus, ménagez avec intelligence & difcernement, ce langage n'a été foumis à la précifion des régles, qu'après les grands fuccès de la Poëfie.

La Poëfie a emprunté de la nature fimple fes graces naïves, fes traits frapElle les a revêtus de toutes les pans. parures que l'imagination & l'harmonie pouvoient y ajouter. L'Eloquence ensuite, quoique modefte par état, a compris par l'exemple de la Poëfie, qu'il y avoit un art de préfenter les objets, de féduire l'oreille, d'échauffer l'ame. Sa propre expérience lui avoit fait fentir que, quelque puiffante que fût la vérité par elle-même, il n'étoit pas toujours fûr d'abandonner fa défenfe à un talent aveugle, à une

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