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d'être. Or on ne voit point deux mar→ ches différentes. C'est la même, foit dans la langue idéale, foit dans la langue exiftante, confidérée feulement du côté du génie particulier des peuples. Et il faut bien que ce foit la même; puifqu'il y a de bonnes raifons pour qu'elle le foit, & qu'il n'y en a aucune pour qu'elle ne le foit pas.

Jufqu'ici le feul befoin de la perfonne qui parle, regle la langue & l'arrangement des mots : & ce maître a par-tout & conftamment la même méthode, dont le grand & l'unique principe eft l'intérêt, ou le befoin.

C'est donc ailleurs qu'il faut aller chercher la cause des différens arrangemens des mots. On là trouvera dans la feconde maniere d'envisager les langues particu lieres.

Les Langues particulieres qui exiftent, font toutes très-éloignées de la perfection poffible & idéale. Elles ont toutes le même but, qui eft de peindre avec clarté & jufteffe ( ces deux qualitez comprennent toute la perfection du langage) dans les efprits de ceux qui écoutent, ce qui est dans l'ame de celui qui parle. Mais il y

› Ou

en a qui ont moins de couleurs que les autres, ou qui les ont moins fortes qui les ont moins faciles à broyer, à fondre, pour produire les nuances: ce qui doit fonder des différences dans les Lan

gues.

Toutes les Langues confiftent dans les fons. Ces fons étant figurez de telle ou telle maniere appartienr.ent à une langue ou à une autre, par une certaine analogie, qui les réunit, & en forme une efpece de corps, dont la totalité fe nomme Langue. Or ces fons figurez font multipliez plus ou moins ; ce qui fait abondance ou pauvreté: ils ont plus ou moins de force; ce qui fait énergie ou foiblesse : ils ont plus ou moins de flexibilité; ce qui produit la douceur, la clarté, la jus

teffe.

Nous tenons la fource des différences de conftructions. C'est là ce qui forme le génie particulier des langues par rapport à l'arrangement des mots, & qui les oblige de s'écarter de la nature plus ou moins, felon qu'elles y font plus ou moins forcées par la difette, ou par la foibleffe, ou l'inflexibilité. Et c'est là que nous par trouverons la raison de la différence qu'il

y a entre la conftruction Françoise & la

Latine.

Avant que d'entrer dans la comparaifon des deux Langues, qu'on me permette d'examiner en peu de mots quel est le nombre & la nature des parties qui entrent dans le difcours.

Tous les mots font des représentations de nos pensées ; de même que nos pensées font les représentations des objets. Comme les objets font ou feuls, faisant un tout séparé de tout autre objet; ou liez & ayant rapport à d'autres objets ; il doit y avoir dans notre efprit deux fortes de repréfentations : les unes, des objets confidérez comme feuls; & les autres des mêmes objets confidérez comme ayant rapport à d'autres : ce qui fait deux fortes de pensées : l'une, qui repréfente les objets, & l'autre, qui en repréfente les rapports. D'où réfultent auffi deux fortes de mots, les uns appellez noms, & les autres verbes. Je pourrois donc définir le nom, un mot qui fignifie un objet confidéré comme feul; & le verbe, un mot qui fignifie la raifon ou le rapport des objets entre eux. Je vais tâcher de juftifier & d'expliquer ces deux définitions.

L'objet le plus fimple que puiffe avoir l'efprit, eft celui que nous défignons par le mot être, qui eft nom, quand on y joint un article, un être : c'eft la base de tous les attributs que peut recevoir une chofe quelconque. Il faut être, avant que d'être de telle ou telle maniere.

De même, le rapport le plus fimple qui puiffe être entre deux objets, eft celui qu'on exprime encore par le même mot étre, mais fans article, & alors il eft verbe: Dieu eft bon. Ce rapport est aussi la bafe de tous les autres rapports qui peuvent fe trouver entre tous les objets, & par conféque t la bafe de tous ceux que nous pouvons concevoir par l'efprit, & que nous exprimons par les mots. C'est pour cela qu'il a été appellé fubftantif. It eft l'unique de fon efpece. Pourquoi le nom être, n'a-t-il pas le même privilege de fubftantif unique parmi les noms? On trouvera bon que je le regarde comme tel pendant quelques momens, & que je regarde par conféquent tous les autres noms comme de vrais adjectifs, au moins par comparaifon avec celui-ci.

Ils le font en effet, comme il eft aifé de le prouver. Que je dise, un être étendu z

on avoue qu'il y a dans ces deux mots un fubftantif, & un adjectif. Si ces deux mots pouvoient fe réunir en un, ce mot, quoique feul & un, ne feroit-il point un adjectif? Cette réunion fe fait dans le mot corps. Dites un être étendu, vivant, voilà deux adjectifs: un feul mot les rend, plante. Dites un être étendu, vivant, animé, raisonnable: en voilà quatre: en un feul mot, homme. Ces noms- là ne fontils pas de vrais adjectifs, du moins en comparaifon du nom étre ?

Mais l'ufage n'a pas jugé à propos de leur donner ce nom : il l'a réfervé pour ceux qui fignifient des qualitez féparables, foit effentielles, qu'on appelle différence, & qui attachées au genre conftituent l'efpece, comme le mot raifonnable attaché à celui d'animal, qui eft genre, conftitue l'efpece appellée homme: foit les accidentelles, qui s'attachent aux efpeces : comme celle qui eft fignifiée par le mot bon, qui peut ou être, ou n'être pas, lié avec celui d'homme. Ces mots adjectifs ont été préparez comme des pièces d'attache, pour être ajoutez, foit au mot géné→ rique, foit au mot fpécifique. Mais ils ne font avec lui qu'un même mot réelle,

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