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aimer la juftice, je me demande ce que c'eft que la juftice: c'eft une vertu. Cela me fuffit: je fais qu'il faut aimer la vertu ; je fais auffi que la juftice eft une vertu ; je fais par conféquent qu'il faut aimer la juftice. C'est une fuite de ce principe fameux: Deux chofes qui conviennent avec une troifiéme fe conviennent entre elles. Dans les autres cas, la fimple expofition des idées regne prefque feule. Et le plus fouvent dans les poemes, dans les récits, dans les difcours, il s'agit plus de mettre les objets devant les yeux, que d'en prou

ver l'existence.

Lieux communs.

Les Anciens qui vouloient tout réduire en art, en avoient faitun auffi pour l'invention. Distribuant par ordre tous les afpects tant intérieurs qu'extérieurs d'une caufe, ils prétendoient mener le génie, comme par la main, & lui faire trouver tout d'un coup tous les argumens poffi bles, dans les différens lieux où ils les conduifoient. Car c'eft ainfi qu'ils ont nommé ces efpeces de répertoires ou de magazins, qui recelent toutes les richeffes: qui font l'objet de l'invention.

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Le premier de tous eft la Définition; par laquelle l'orateur trouve dans la nature même de la chofe dont il parle une raifon pour perfuader ce qu'il en dit. Ainfi il prouve qu'il faut faire cas de l'éloquence; parce que le talent de bien dire eft une chofe eftimable. Il faut beaucoup d'art conduire une armée : pour » Car qu'est-ce qu'une armée, dit M. Flechier? c'eft un corps animé d'une infi» nité de paffions différentes, qu'un hom» me fait mouvoir pour la défenfe de la patrie; c'eft une troupe d'hommes ar» mez, qui fuivent aveuglément les or» dres d'un chef, dont ils ne favent pas » les intentions; c'eft une multitude d'a»mes, pour la plupart viles & mercenai»res, qui, fans fonger à leur propre ré» putation, travaillent à celles des rois & des conquérans ; c'eft un affemblage » confus de libertins, qu'il faut affujettir » à l'obéiffance; de lâches, qu'il faut me»ner au combat; de téméraires, qu'il » faut retenir ; d'impatiens qu'il faut ac>> coutumer à la conftance. » Donc il faut beaucoup d'art pour conduire une armée. On voit par cet exemple que l'Eloquence doit de brillans morceaux à ce lieu com

mun ; & en même tems que la définition oratoire eft bien différente de la philofophique. Qu'est-ce que l'homme? c'eft, dit le Philofophe, un ar.imal raisonnable. Qui fuis-je, dit Rouffeau,

Qui fuis-je ? vile créature?

Qui suis-je, Seigneur, & pourquoi
Le fouverain de la nature,
S'abbaiffe-t-il jufqu'à moi ?
L'homme en fa courfe paffagere
N'eft qu'une vapeur légere
Que le foleil fait diffiper.

Sa clarté n'est qu'une nuit fombre
Et les jours paffent comme l'ombre
Que l'œil fuit & voit échapper.

L'Enumération des parties, ou autrement les détails, fe trouve dans le dif cours, quand au lieu de prouver qu'il faut aimer la vertu, on prouve qu'il faut aimer la juftice, la force, la prudence, la tempérance. Il y a des orateurs parmi les modernes qui doivent prefque toute leur réputation à ce lieu commun. Il a fon mérite. Les pensées tombent, finon comme la foudre, dont elles n'ont ni la force, ni l'éclat, du moins comme la grêle, qui ne terraffe pas le voyageur, mais qui le

contraint de céder & de chercher un abri. L'Etimologie

L'Etimologie fournit quelquefois un pe tit argument à l'orateur : Si la philofophie eft l'amour de la fageffe; foyez donc fage & modéré, vous qui faites profesfion d'être philofophe.

Les Omonymes ou jeux de mots, font à-peu-près dans le même goût. Une caufe eft bien défefperée, quand elle n'a que ces deux reffources pour fe défendre. C'eft même faire tort au bon droit que d'employer en fa faveur de pareilles armes,

Il n'en eft pas de même du Genre & de l'Efpece. On prouve fort bien qu'il faut aimer la juftice, parce qu'il faut aimer la vertu; & réciproquement, qu'on doit aimer la vertu, parce qu'on doit aimer la juftice, qui eft une des efpeces de la

vertu.

Nous ne parlons point de la Similitude, qui eft prefque la même chofe que la Comparaifon; ni de la Diffimilitude qui fe confond prefque avec les Contraires.

Les Contraires font d'un grand ufage. C'eft fouvent la meilleure maniere d'expofer une pensée. Difons d'abord ce qu'une chose n'est point: l'efprit de l'auditeur fe met en action, & effaie lui-même de la trouver. D'ailleurs une defcription dans Tome IV.

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ce genre fert d'ombre à l'autre qu'on prépare. » Si je venois ici déplorer la mort imprévue de quelque princeffe mondai"ne, je n'aurois qu'à vous faire voir le monde avec fes vanitez & fes inconftan»ces; cette foule de figures qui fe pré» fentent à nos yeux, & qui s'évanouiffent; » cette révolution de conditions & de for» tunes qui commencent & qui finiffent, qui fe relevent & qui retombent; cette » viciffitude de corruptions, tantôt se»cretes, tantôt visibles, qui fe renouvel» lent; cette fuite de changemens, en nos » corps par la défaillance de la nature, » en nos ames par l'inftabilité de nos dé» firs; enfin ce dérangement univerfel & » continuel des chofes humaines, qui tout » naturel & tout defordonné qu'il femble » à nos yeux, eft pourtant l'ouvrage de la » main toute-puiffante de Dieu, & l'or» dre de fa providence. Mais, graces au Seigneur, je viens louer une princesse plus grande par fa religion que par fa » naiffance, &c. Flech.

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Les chofes qui répugnent fervent à prouver l'impoffibilité d'un fait. Vous accufez Pierre d'avoir tué Paul. Mais il étoit fon ami; il n'avoit nul intérêt à fa mort; il

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