Images de page
PDF
ePub

langage tout différent de celui où il y a des cas proprement dits.

On pourroit objecter, en faveur de la Conftruction françoife, qu'elle peint l'action telle qu'elle fe fait: le principe fe remue d'abord, & enfuite fe porte à l'objet qu'il atteint : ainfi on dit, le pere aime le fils: c'eft l'ordre de l'exécution.

Mais dans l'exécution même, la vue de l'objet, c'est-à-dire du fils, eft néceffairement avant l'amour du pere. On a cité ci-deffus le vieil axiôme, ignoti nulla cu pido. La nature toute feule fait plus de chemin, & plus vite, que la métaphyfique la plus fubtile. Elle fe porte fur le champ à la fin qu'elle fe propofe. Elle prend là fes motifs, fes moyens : c'est delà qu'elle part.

[ocr errors]

Tout ce que nous venons de dire, confirme la conclufion que nous avons tirée ci-deffus en faveur de la langue Latine: cependant il ne faut point croire que nous n'ayons auffi quelque avantage fur elle par la précifion que nos articles mettent dans nos phrafes, où ils déterminent les objets, & femblent les montrer au doigt. Par exemple le feul mot pain dans

cette phrafe, panem præbe mihi, peut être rendu de trois façons: Donnez-moi un pain donnez-moi le pain: donnez-moi du pain. Les Latins n'ont point cette précifion,

Dans les fuperlatifs, les Latins ne peuvent marquer la fupériorité relative. Maximus, fignifie très-grand & le plus grand: cependant ces deux fuperlatifs en françois fignifient deux fortes d'excellence, l'abfolue & la rélative. On peut être trèsgrand Seigneur fans être le plus grand Seigneur.

[ocr errors]

Il y a même obfervation à faire fur les auxiliaires des verbes, qui en font comme les articles. Les caractéristiques des modes, des tems, des perfonnes, font incorporez dans les verbes latins, amabit, amabitur. Chez nous, ces caractères font féparez: il aimera, il fera aimé : nous en tirons avantage dans l'interrogation. Les Latins font obligez d'avoir recours à une particule, an amabit amabitur-ne? ou bien ils font réduits à ne l'exprimer que par le ton de voix. Nous trouvons cette expreffion dans le feul dérangement du caractéristique de la perfonne, aime-t-il ? aimera-t-il?

Outre cela nous féparons l'auxiliaire pour incorporer en quelque forte l'adverbe dans le verbe, dont il modifie la fignification: Il fera tendrement aimé, ce qui a de la vivacité & de la force.

Mais, dira-t-on, nous n'avons pas l'avantage de la fufpenfion, que le verbe renvoyé à la fin, opere fi merveilleufement chez les Latins: Tandem aliquando Quirites, L. Catilinam, furentem audaciá, fcelus anhelantem, peftem patriæ nefariè molientem... ex urbe ejecimus. Rien n'est fi gracieux pour l'efprit.

Si nous n'avons point celle-là, nous en avons une autre que les Latins n'ont pas comme nous. Ils mettent plufieurs mots régis avant le verbe, nous y mettons plufieurs mots régiffans.

دو

» Mais hélas ! ces pieux devoirs que » l'on rend à fa mémoire, ces prieres, »ces expiations, ce facrifice, ces chants lugubres qui frappent nos oreilles, & » qui vont porter la trifteffe jufques dans »le fond des cours; ce trifte appareil » des facrez mystères; ces marques religieufes de douleur que la charité imprime fur vos vifages, me font fouvenir que vous l'avez perdue,

[ocr errors]
[ocr errors]

Nous ne parlons que de cette efpece de fufpenfion, parce que c'eft la feule dont les Latins puiffent fe glorifier vis-àvis de nous. Nous avons, auffi - bien qu'eux, toutes celles qui naiffent de la difpofition de la matiere, de l'arrange.

» n'eft

دو

ment & de la liaifon des chofes, des tours oratoires, des périodes, & des figures. Nous avons celles de l'harmonie, qui demande en certains cas une fuite d'une certaine étendue, felon la maniere dont une phrafe s'annonce; par exemple dans celle-ci de M. Fléchier: »Je fai que ce pas en vain que les Princes les Princes portent » l'épée; que la force peut agir, quand » elle fe trouve jointe avec l'équité; que » le Dieu des armées préfide à cette redou» table justice que les Souverains fe font » à eux-mêmes; que le droit des armes » eft néceffaire pour la confervation de la » fociété, & que les guerres font permifes pour affurer la paix, pour protéger "l'innocence, pour arrêter la malice qui » fe déborde, & pour retenir la cupidité dans les bornes de la juftice. » On remarque dans cette phrafe, le progrès d'une harmonie qui croît à chaque phrafe incidente, & qui fe termine par une derniere

phrafe, dont les parties font auffi dans la même proportion harmonique. Si alors l'efprit n'eft point fufpendu par la pensée, il l'eft par la mefure que l'oreille exige : & fouvent cette fufpension fuffit pour nous obliger de fuivre l'orateur jufqu'au terme qu'il s'eft propofé.

Voilà notre Langue comparée avec la Latine fur l'article des conftructions. L'ordre naturel de la perfuafion est chez les Latins, & n'eft pas chez nous. Nous en avons montré les caufes. Nous allons tâ→ cher d'en déduire les conféquences par rapport à l'art de traduire.

I I I.

Regles de l'art de traduire.

Principe général.

S'il eft vrai que nous ne nous écartons de la marche des Latins que quand nous y fommes forcez, foit par le fens même, foit par la netteté de l'élocution, foit par l'harmonie; il fuit de-là que nous devons nous remettre dans le même ordre que les Latins, toutes les fois que nous n'avons pas une de ces trois raifons; & ainfi que toutes les conftructions latines ne font pas étrangeres en françois, ni toutes les

« PrécédentContinuer »