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Il nous prend par l'endroit foible, par l'amour que nous avons pour nous-mêmes. Une quatriéme qualité, c'eft la prudence, laquelle fuppofe néceffairement les lumieres. Que nous ferviroit d'être conduit par un homme de bien, par un ami véritable, fi lui-même il ignoroit la

route?

L'orateur doit donc établir fon autorité fur ces quatre vertus, & les montrer dans tout fon difcours. Quand il a la république dans le cœur, & qu'il poffede bien fa matiere, dès l'abord on fent le poids de fon autorité. Son feul extérieur infpire la confiance. Qu'un Prédicateur rempli de la grandeur de fon miniftère, pénétré de zéle pour le falut des ames, nourri de la lecture & de la méditation des Livres faints, exercé dans la pratique folide des vertus chrétiennes, paroiffe dans la chaire de Jefus-Chrift; toutes fes paroles, fes penfées, fes expreffions, porteront le caractère de fa miffion & de fes mours. On l'écoutera avec attention, avec plaifir, avec fruit. Il eft fi doux de s'en rapporter à un homme de bien qui a des lumieres! On le fuit fans inquiétude, & fans avoir la peine de démêler la vraie

route: Autoritati credere magnum compendium, nullus labor. S. Aug.

à

III.

Des Paffions.

Il refte un troifiéme moyen pour perfuader : c'est d'employer les Paffions. Inftrument dangereux, quand il n'eft point manié par la raifon; mais plus efficace que la raifon même, quand il l'accompagne & qu'il la fert. C'eft par les Paffions que l'éloquence triomphe, qu'elle regne fur les cœurs. Quiconque fait les exciter propos, maîtrise à fon gré les efprits. Il les fait paffer de la trifteffe à la joie, de la pitié à la colere. Auffi véhément que l'orage, auffi pénétrant que la foudre auffi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de fa vive éloquence. C'eft ainfi qu'en ont parlé les maîtres. Et c'est par-la que Démosthène a regné dans l'Aréopage, Ciceron dans les Roftres, & Bourdaloue dans nos Temples.

Que dans tous vos difcours la paffion émue,
Aille chercher le cœur, l'échauffe & le remue.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne vous remplit d'une aimable terreur,
Ou n'excite en votre ame une pitié charmante
En vain vous étalez une fcene éclatante.

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Vos froids raifonnemens ne font qu'attiédir
Un fpectateur toujours pareffeux d'applaudir.
Et qui des vains efforts de votre rhétorique
Juftement fatigué s'endort & yous critique.
Le fecret eft d'abord de plaire & de toucher.
Inventez des refforts qui puiffent m'attacher. Boil.

Pour faire bien comprendre ce qu'on entend ici par le mot de Paffions, il faut reprendre la chofe de plus haut; & entrer dans quelque détail des facultez & des opérations de notre ame.

Quoique notre ame foit une & indivifible; cependant on peut y diftinguer d'abord comme deux parties. On dit, je connois ce que vous me dites; mais je ne veux point le faire. Cette maniere de parler, fignifie que notre ame conçoit, & qu'elle veut : & que concevoir n'eft pas la même chofe que vouloir. La faculté qui conçoit fe nomme entendement; celle qui veut fe nomme volonté. Un homme a beaucoup d'entendement, ou ce qui eft le même, d'intelligence, quand il conçoit bien, vîte, & aifément ce qu'on lui propofe. La fonction de l'entendement eft donc de voir, de connoître, de comprendre.

Čelle de la volonté eft d'aimer, de

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hair, d'approuver ou de défapprouver, Par l'intime liaifon qu'il y a entre la volonté & l'entendement, tout ce qui paroît aux yeux de l'un fait impreffion fur l'autre. Si l'impreffion eft agréable, la volonté approuve l'objet qui en eft l'occafron : elle le défapprouve, fi l'impreffion en eft défagréable..

Quand ces impreffions font légeres elles produisent ce qu'on appelle fentimens, mouvemens, paffions douces,.comme l'amitié, la gaieté, le goût. L'ame alors n'eft point troublée par ces fecouffes violentes, qui lui font perdre fon état. Elle n'eft remuée qu'autant qu'il le faut pour s'exercer elle-même, & fe donner le plaifir de l'action. Lorfqu'elles ne font qu'à ce degré dans un difcours, on leur donne quelquefois le nom de mœurs ; parce que le mouvement qu'elles donnent au difcours reffemble à celui d'un homme paisible, qui agit pour quelque vue, quelque intérêt ; mais fans être emporté par aucun fentiment trop vif.

Quand les impreffions font vives, violentes; c'eft alors qu'on les nomme proprement paffions. Ce font des mouvemens impétueux qui nous emportent vers

un objet, ou qui nous en détournent. De même qu'en confidérant la maniere dont l'efprit travaille fur fes objets, il prend les noms de génie, de jugement, d'imagination, de mémoire; de même! la maniere dont la volonté fe porte vers quelque chofe lui fait donner auffi diffé rentes dénominations. Si elle veut s'unir à l'objet qui lui eft préfenté, c'eft l'Amour. Pour exciter cette paffion, il faut pein-, dre l'objet avec des qualitez agréables & utiles à ceux à qui on parle.

Tel fut cet Empereur fous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne & de Rhée,
Qui rendit de fon joug l'univers amoureux,
Qu'on n'alla jamais voir fans revenir heureux ;
Qui foupiroit le foir fi fa main fortunée
N'avoir par fes bienfaits fignalé la journée...
Mais où cherche-je ailleurs ce qu'on trouve chez nous!
Grand Roi, fans recourir aux hiftoires antiques,
Ne t'avons-nous pas vû dans les plaines Belgiques
Quand l'ennemi vaincu défertant ses remparts,
Au devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi-même te borner, au fort de la victoire,
Et chercher dans la paix une plus jufte gloire. Boil.

C'eft ainfi que Defpréaux infpire l'amour de Louis XIV. On infpire l'amour de la campagne, de la liberté, du repos,

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