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GAUME et Cio, éditeurs, 3, rue de l'Abbaye, à Paris.

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Ce petit livre comprend deux parties: 1° intelligence du texte; 2° traduction.

Il me semble dit l'auteur, que la première partie embrasse et prévient dans leur cause, et rend impossibles, même pour une intelligence ordinaire, tous les contre-sens qui se peuvent éviter et qui déterminent seuls les échecs aux examens; et que la seconde partie supprime ce qui constitue les plus grosses difficultés de la traduction.

LE THÉATRE DE MOLIÈRE

Aucun écrivain, peut-être, ne naquit avec une vocation aussi décidée que Molière, le véritable créateur, pour le fond comme pour la forme, de la comédie de caractère, où non-seulement les travers contemporains sont bafoués, mais où de philosophiques railleries tombent sur les universelles et éternelles faiblesses de l'humanité. Molière a le génie de ce genre fécond dont Corneille n'avait eu que l'instinct. Le premier dans son art, selon les meilleurs juges, il fut appelé par Goethe 1 le modèle et par Walter Scott 2 le prince de tous les poètes comiques. Pourquoi faut-il, a dit Bossuet, que cet admirable théâtre soit si souvent une école de vices et de mauvaises mœurs?

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D'excellentes études le préparèrent à devenir un grand écrivain. Il fut bon humaniste, racontent ses premiers biographes, et plus tard encore meilleur philosophe; il ne se contenta pas, comme on le croit ordinairement, de prendre des leçons de l'épicurien Gassendi; épicurien, non pas en religion ni en morale, mais en physique, avec Chapelle, Bernier et Hesnault; il suivit le cours ordinaire des études, et quoiqu'on pût croire que son éducation cût été fort étrangère aux idées et aux sentiments chrétiens, il fit une année de théologie, puis une année ou deux de droit canon, et se fit recevoir avocat. A l'âge de 20 ans, il remplaça son père dans la charge de tapissier du roi, et dut à cette circonstance de traverser une partie de la France à la suite de Louis XIII.

A la fin de l'année 1643, J.-B. Poquelin qui, moyennant une faible somme d'argent, s'était démis entre les mains de son père de tout droit à la survivance de la charge de tapissier du roi, était au nombre

1. Entretiens de Goethe avec Eckermann.

2. Dans un article sur Molière, publié par le Foreign Quarterly Review.

des comédiens qui, sous le titre de l'Illustre Théâtre, devaient paraître en public dans un jeu de paume situé près de la porte de Nesle.

En cette même année 1643, il avait rompu avec sa famille et s'était lié avec la Béjart, dont l'existence va devenir inséparable de la sienne. Il paraît alors pour la première fois sur un théâtre. Le prince des auteurs comiques débute, comme Christopher Marlowe et Shakespeare, par être un vulgaire comédien.

De 1646 jusqu'en 1658, les circonstances de sa vie sont presque entièrement ignorées; on sait seulement qu'il parcourut les provinces avec sa troupe nomade pendant ces quelques années. Il y fit représenter des farces dans le goût italien: les Trois Docteurs rivaux, dont il ne nous reste que le titre, et le Médecin volant, la Jalousie du barbouillé, qui ont été conservées. Il n'y a rien là qui puisse faire grand honneur à Molière, et l'on ne saurait y reconnaître son style. Le fond de ces deux petites comédies dont l'intrigue a quelques traits de ressemblance avec celle du Médecin malgré lui et de Georges Dandin peut bien être de lui; mais le dialogue doit être attribué à la troupe, qui improvisait ces farces et ne se faisait point scrupule d'un langage bas et ignoble. On connaît encore le nom d'une autre bouffonnerie du même genre, le Docteur amoureux, dont Boileau regrettait la perte, pensant avec raison qu'il y a toujours quelque chose d'instructif et de saillant dans les moindres ouvrages de Molière. Le jeune roi, après avoir vu représenter cette pièce désopilante, pleine de sel et d'esprit, ordonna que l'auteur s'établit à Paris, et lui donna la salle du Petit-Bourbon. Il y joua d'abord ses pièces de début déjà représentées dans les départements.

Molière composa également en province des comédies d'un mérite plus sérieux, l'Etourdi et le Dépit amoureux, qui toutes deux offrent des saillies d'une vérité plaisante, des traits de caractère bien saisis, et font voir une verve déjà puissante de naturel dans le dialogue, chez lui presque toujours vif, serré, rapide, et d'un vrai comique. L'Etourdi, en cinq actes eten vers (1653), qui, comme le dit Voltaire, devrait seulement être appelé les Contre-temps, est un gai et franc imbroglio, digne de l'éclatant succès qu'il obtint. Le Dépit amoureux, en cinq actes et en vers, représenté à Béziers en 1656, est imité des Sdegni amorosi, mais semble surtout inspiré par la gracieuse ode d'Horace : Donec eram gratus tibi, Tant que je te plai

sais.

Molière passa ainsi treize ans à courir les provinces méridionales. Il s'arrêta particulièrement à Bordeaux, où le duc d'Épernon, alors gouverneur de la Guyenne, l'accueillit avec une grande bienveillance, puis à Lyon, à Béziers, jouant ses propres comédies, ou récitant, partout où l'on pouvait lui prêter un jeu de paume, une grange, un hangar, les rôles qu'il voulait interpréter dans les œuvres des auteurs du temps. Ce n'est qu'en 1658 qu'il revint définitivement à Paris

avec sa troupe qui avait perdu en route le titre d'Illustre Théâtre. Un an ne s'était pas écoulé depuis son retour qu'une grande révolution se faisait au théâtre par la représentation des Précieuses. Ce fut la révélation du génie de Molière et le point de départ de sa renommée.. Jusqu'ici Molière n'a tenu à la vie de théâtre que par ses goûts un peu vagabonds d'acteur et par ses faiblesses d'homme. Comme auteur, et malgré ses succès, on reconnaît dans ses farces et dans ses pièces bouffonnes, imitées de l'italien et de l'espagnol, l'écrivain qui tâtonne et cherche encore sa voie. Il a fait rire, mais il n'a encore ni instruit, ni corrigé le public en l'amusant. Les Précieuses ridicules, qui pourraient s'appeler l'Ecole des salons, montrent en Molière le moraliste et le réformateur. Désormais son théâtre va devenir un cours de morale dramatique à l'usage des gens du monde, tendant par le ridicule à la réforme des travers de l'esprit et des vices du

cœur.

En 1661, les Fâcheux, joués à Vaux dans une grande fête que Fouquet donnait à Louis XIV, inaugurèrent un genre de comédie durable. Dans cette comédie-ballet, Molière renferma dix types d'importuns, dont les originaux étaient à la cour, se reconnaissaient eux-mêmes, et étaient flattés d'avoir servi de modèle au grand comique.

Dans l'Ecole des femmes (1662), en cinq actes, il combattit les idées établies sur l'infériorité et la soumission mal entendue de la femme. Rien de plus piquant que l'intrigue de cette aimable pièce dégagée de tout moyen et de tout incident étrangers, et étincelante d'entrain, de rapidité, de franche gaieté, de force comique.

Pendant plusieurs années, Molière, pressé par le temps, ne donna que des pièces en prose. Mais, quatre ans après l'Ecole des femmes, il produisit enfin sur la scène un véritable chef-d'œuvre de poésie et d'art: le Misanthrope parut.

Molière était dans toute la force de son génie, et le succès activait singulièrement sa verve. Un an après le Misanthrope, il avait déjà composé un autre chef-d'œuvre immortel, Tartufe ou l'Imposteur. Toutes les suppositions possibles ont été faites à propos du Tartufe. Tout le monde voulut y voir la peinture de son voisin, et non la sienne. On a accolé après coup les peintures aux personnes et l'on a attribué à l'auteur une malice qu'il n'a point eue.

De nos jours encore on a vivement contesté la leçon morale et religieuse du Tartufe. Un célèbre polémiste 1 s'est distingué entre tous dans cette bataille, et, s'il a rencontré bien des contradicteurs, il a trouvé des auxiliaires même parmi les incroyants. Un libre penseur fameux, Henri Heine, n'a-t-il point déclaré que la comédie de Tartufe« n'était pas seulement dirigée contre le jésuitisme de son

1. Louis Veuillot, Molière et Bourdaloue.

temps, mais contre le catholicisme lui-même, bien plus, contre l'idée du christianisme, contre le spiritualisme 1? » C'est prêter à l'auteur des intentions imaginaires. Pourquoi ne pas reconnaître que Tartufe n'est que l'hypocrite pris en flagrant délit d'hypocrisie ? Les attaques du grand comique s'adressent franchement à cet esprit de mensonge et le présentent comme le plus hideux des travers de l'humanité. Sur le mérite littéraire et dramatique de Tartufe il n'y a ni partage ni controverse. Le plan est conçu et conduit de manière à exciter l'intérêt, malgré toutes les invraisemblances que l'auteur a accumulées pour la marche de l'intrigue et pour l'effet théâtral.

En 1672, Molière produisit sa troisième grande comédie en vers, dont tout à l'heure nous aurons à nous occuper en particulier.

Telles sont les grandes comédies par lesquelles Molière s'est placé au premier rang de nos poètes.

Sa vie fut trop abrégée; mais elle avait été bien remp lie pour l'art.

Il fut d'abord un merveilleux acteur comique. Ses ennemis avaient prise sur lui lorsqu'il voulait jouer la tragédie pour laquelle ni son caractère ni sa physionomie n'étaient faits, mais dans la comédie ils étaient obligés de le déclarer incomparable. Il s'était formé à la déclamation et au jeu de théâtre à l'école du fameux Tiberio Fiorelli, plus connu sous le nom de Scaramouche, qui attirait la foule au théâtre italien par son merveilleux talent pour la pantomime; ce qui fit dire méchamment à Montfleury que Molière avait la survivance de Scaramouche. Et non seulement Molière possédait en propre ces rares qualités d'acteur comique, mais encore il savait les communiquer à toute sa troupe. Segrais a dit que la perfection de la troupe de Molière était une des particularités remarquables du siècle. « On a vu par son moyen, dit-il, ce qui ne s'était pas encore vu et ce qui ne se verra jamais; c'est une troupe accomplie de comédiens, formée de sa main, dont il était l'âme, et qui ne peut avoir de pareille 2. >>

Ajoutons ce témoignage que lui rendait, peu de temps après sa mort, un journal : « Les anciens n'ont jamais eu d'acteur égal à celui dont nous pleurons aujourd'hui la perte; et Roscius, ce fameux comédien de l'antiquité, lui aurait cédé le premier rang s'il eût vécu de son temps. Il était tout comédien depuis les pieds jusqu'à la tête. Il semblait qu'il eût plusieurs voix, tout parlait en lui, et d'un pas, d'un sourire, d'un clin d'œil et d'un remuement de tête, il faisait plus concevoir de choses que le plus grand parleur n'aurait pu en dire en une heure 3. >>

Mais laissons l'acteur. Molière est dans ses œuvres et non dans

1. De l'Allemagne depuis Luther, 1re partie (Revue des deux mondes).

2. Mémoires de Segrais, p. 173.

3. Oraison fun. de Molière (Mercure galant, t. IV, 1TMa année).

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