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NOTICE SUR LE BOURGEOIS GENTILHOMME

Le Bourgeois gentilhomme, en prose, est, malgré la négligence du style, une des pièces capitales de Molière. Dans aucune, excepté le Misanthrope et le Tartufe, il n'a montré de plus grandes vues. Quel sujet admirablement choisi et bien pris dans la nature humaine ! La pièce pourrait s'appeler le Vaniteux; restant toujours vraie, toujours actuelle, elle atteindrait presque tous les hommes: la grande majorité ne veulent-ils pas paraître plus qu'ils ne sont? Il s'agit ici d'un bourgeois grossièrement élevé, qui pense qu'avec sa fortune il peut bien se donner les airs et suivre le train des gentilshommes. Mais il lui faut d'abord apprendre à parler, à se présenter, à vivre comme les gens de qualité. De là des scènes du plus haut comique avec ses professeurs, sa femme, son futur gendre, et un certain Dorante, comte et aventurier, qui vit aux dépens de M. Jourdain en flattant ses manies. Le poète n'a pas tiré tout le parti possible de ce sujet si digne de son génie. Il s'est contenté d'esquisser les caractères. Boileau le lui reprochait souvent. Molière répondait : « Je ne puis soutenir mon théâtre que par un grand nombre de nouveautés, ce qui m'oblige à travailler trop vite. » Toujours le manque de temps! Que de pièces de Molière eussent atteint la perfection sans cette précipitation extrême à laquelle il était si malheureusement contraint! Le ton des deux derniers actes baisse et devient faible. Molière semble manquer de ressources dans l'invention de la ruse finale. Prenez le bourgeois le plus infatué de la société de ce temps ou du nôtre, et il sera toujours invraisemblable qu'on le fasse croire à l'amour du fils du Grand Turc pour sa fille, que sa crédulité surtout aille jusqu'à être persuadé qu'il la lui donne en mariage. Le but est dépassé. Sans nul doute Molière ne se serait jamais avisé de cela, s'il avait pu composer la pièce au gré de son inspiration. Mais le Bourgeois gentilhomme devait être encadré dans les fêtes du château de Chambord, à la place d'une comédie-ballet. Et cet intermède bouffon de la cérémonie turque pouvait offrir le caractère et les proportions d'une composition musicale un peu suivie. C'est la meilleure raison d'expliquer un tel dénouement.

ANALYSE DU BOURGEOIS GENTILHOMME

Acte Ier. - Jourdain, bourgeois enrichi qui veut trancher du gentilhomme, a fait venir, pour un petit projet de divertissement qu'il a en tête, un maître de musique et un maître à danser. En flattant sa vanité ceux-ci parviennent à lui faire accrofre que tout homme de qualité doit connaître la danse et la musique; et il accepte leurs services, bien qu'il ait retenu déjà un maître d'armes et un maître `de philosophie.

Acte II. Tous ces professeurs, se rencontrant en même temps chez notre bourgeois, ne tardent pas à disputer entre eux de l'excellence de leurs professions; ils en viennent aux injures et aux coups, et c'est le maître de philosophie, arrivé le dernier, qui attire sur lui 'le plus fort de l'orage. Ce qui ne l'empêche pas de donner ensuite à M. Jourdain une leçon sur le mécanisme de la parole, et celui-ci s'émerveille de tout ce qu'il y a de science au fond de l'alphabet: il se promet bien de continuer à apprendre. Un maître tailleur succède au maître philosophe; il vient es sayer à M. Jourdain un habit de cour, vrai chef-d'œuvre en son genre. Les garçons le lui passent en cadence, ces sortes d'habits devant se mettre avec cérémonie; puis l'un d'entre eux, adroit en paroles, vient lui demander le pourboire accoutumé. Il a saisi bien vite le faible de notre ancien marchand. En l'appelant mon gentilhomme, Monseigneur, Votre Grandeur, il se voit accablé des marques de sa munificence.

Acte III. Si fier qu'il soit de son habit, M. Jourdain ne peut empêcher que Nicole, sa servante, ne lui rie au nez en le voyant accoutré de cette façon, ni que sa femme ne l'interpelle pour s'être fait enharnacher de la sorte. Arrive Dorante, gentilhomme véritable exploi tant le bourgeois gentilhomme, et qui vient encore lui demander avec force caresses une nouvelle somme d'argent à emprunter. Dorante, d'ailleurs, a la bonne chance d'entretenir une manie particulière de M. Jourdain, son amour pour une femme de qualité. Il ne manque pas de lui dire qu'il fait de grands progrès dans le cœur de la marquise Dorimène par les présents dont il la comble si délicatement, en en chargeant un autre et sans jamais lui en parler, comme cela se fait dans le monde. A la vérité toutes ces belles dépenses, bouquets, sénérades, feu d'artifice tiré sur l'eau, repas accompagné de ballet, ne servent qu'à Dorante qui s'en fait honneur auprès de Do

ANALYSE DU BOURGEOIS GENTILHOMME.

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rimène. Cependant Monsieur Jourdain, avec ses visées amoureuses, ne pense pas assez qu'il faudrait pourvoir sa fille. Madame Jourdain y pense pour lui: son dessein est de donner Lucile à Cléonte qui la recherche avec beaucoup d'ardeur et qui en est vu tendrement. Sans plus tarder elle l'engage à se munir du consentement de M. Jourdain, qui le refuse parce que Cléonte a eu la sincérité de lui avouer qu'il n'est pas gentilhomme. Heureusement son valet Covielle est là pour le tirer d'embarras.

Acte IV. - Nous sommes en plein banquet. M. Jourdain s'anime et fait des compliments à la marquise ; jamais il ne s'était senti mieux en veine de dire des choses spirituelles, quand tout à coup apparaît Madame Jourdain, qui fait une scène de jalousie et par ses éclats disperse les convives. Sur ces entrefaites, Covielle, déguisé d'un costume oriental, demande M. Jourdain: il vient, de la part du fils du Grand-Turc en passage à Paris avec un train magnifique, lui demander la main de sa fille dont le jeune prince est tombé amoureux soudainement, et comme il veut avoir un beau-père qui soit digne de lui, il a tout fait organiser pour l'élever, sur-le-champ et en grande pompe, à la haute dignité de mamamouchi.

Acte V. Le bourgeois gentilhomme s'est laissé prendre à cette ruse grossière, et la cérémonie l'a rendu encore un peu plus fou et plus vaniteux qu'auparavant. Cléonte peut donc se marier avec Lucile qui n'aurait garde de repousser en lui le fils du Grand-Turc; et Dorante, en feignant de dissiper les soupçons de Madame Jourdain, se sert du même notaire afin d'épouser Dorimène.

PERSONNAGES DE LA COMÉDIE

MONSIEUR JOURDAIN, bourgeois.

MADAME JOURDAIN.

LUCILE, fille de M. Jourdain.

CLÉONTE, amant de Lucile.

DORIMÈNE, marquise.

DORANTE, comte, amant de Dorimène.
NICOLE, servante de M. Jourdain.

COVIELLE, valet de Cléonte.

UN MAITRE DE MUSIQUE.

UN ÉLÈVE DU MAITRE DE MUSIQUE.

UN MAITRE A DANSER.

UN MAITRE D'ARMES.

UN MAITRE DE PHILOSOPHIE.

UN MAITRE TAILLEUR.

UN GARÇON TAILLEUR.

DEUX LAQUAIS.

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