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LA PROCÉDURE

ET LES DÉBATS.

SILENCE

DES ROYALISTES.

Roland, ne daignait pas lui en référer. Les précautions accumulées étaient nombreuses et minutieuses. A mesure qu'elle se prolongeait, la captivité devenait plus stricte. Au début, le Roi pouvait voir sa famille pendant toute la journée, puis, à partir d'octobre, aux repas seulement et à la promenade. Il donnait des leçons à son fils, il lisait et priait. Sa piété qui s'exaltait et son caractère flegmatique l'aidaient à supporter les épreuves. Du reste, il n'a jamais été maltraité. Sa table était bien fournie et ses repas plantureux, à son ordinaire. On lui fournissait en abondance les livres et les vêtements qu'il demandait. Il n'avait pas perdu l'espoir.

Son procès se poursuivait lentement, et non sans péripéties, comme la découverte de papiers secrets cachés dans une armoire de fer aux Tuileries (20 novembre). Le premier rapport introductif, par Dufriche-Valazé, date du 4 octobre, l'«< acte énonciatif des crimes de Louis» du 11 décembre. Dès le 30 novembre, Jeanbon résumait d'un mot la thèse Montagnarde : « Si Louis XVI est innocent, nous sommes tous des rebelles; s'il est coupable, il doit périr ». Robespierre insista, paraphrasant la même idée (3 décembre) Louis dénonçait le peuple comme rebelle; la Révolution et le peuple ont fait que lui seul était rebelle. Louis ne peut donc être jugé, il est déjà jugé, il est condamné, ou la République n'est point absoute ». Il ne s'agit donc pas de suivre tant bien que mal les formes de la procédure judiciaire qui sont autant de garanties pour l'accusé, il s'agit d'un acte politique. Il faut proclamer, d'emblée, par insurrection et pour le salut public, la condamnation à mort du coupable. A droite et au centre, on essayait au contraire de retarder le plus possible la décision finale. On jugeait inutile et dangereuse la condamnation capitale. Après la comparution du Roi devant l'Assemblée et l'inutile plaidoirie de Desèze assisté de Malesherbes et Tronchet (26 décembre), les Girondins les plus notoires: Salle (27 décembre), Buzot (28), Vergniaud, dans un discours admirable d'éloquence et de pensée prophétique (31 décembre), et, après lui, Brissot (1er janvier), Gensonné (2 janvier), Petion (3 janvier), soutinrent la thèsede l'appel au peuple, et que le jugement de la Convention, quel qu'il fût, devait être soumis à la ratification populaire.

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Pendant ces longs débats, les royalistes car il y en avait encore, malgré tout, ne firent rien. Plus de cent personnes se présentèrent pour coopérer à la défense de Louis devant ses juges : mouvement généreux, mais bien restreint. Des maréchaux de France offrirent à Malesherbes de monter à cheval... pour «< faire les commissions ». Faute de journaux, les royalistes publièrent quelques brochures en faveur du Roi, ils affichèrent des placards et

répandirent des complaintes. La plus connue se chantait sur l'air du Pauvre Jacques : « O mon peuple, que vous ai-je donc fait? >> On la vendait par milliers, elle faisait oublier l'hymne des Marseillais. Dans les guinguettes, les buveurs s'attendrissaient; dans les boutiques, les marchands s'indignaient : « Nous sommes des lâches!» mais personne ne bougeait.

On parlait de menées suspectes, de projets de massacre; mais, le calme public. comme le rapportait Marat de ses adversaires, «< ils disent qu'ils votent sous les poignards, et il n'y en a pas un seul qui soit égratigné ». Et Marat riait aux éclats, et il avait raison. La ville et la Chambre étaient agitées; les incidents surgissaient, fréquents, subits et violents, entre les députés deux Conventionnels, excédés, donnèrent leur démission vers la fin des débats (Kersaint et Manuel) —; les tribunes s'énervaient; « l'on ne parle que de sang et de poignards », écrivait un brave paysan, devenu administrateur et député de son département, Dubreuil-Chambardel, <«< il faut que l'amour de la patrie soit bien profondément gravé dans mon cœur pour supporter tous les dégoûts que l'on essuie dans cette malheureuse ville où l'anarchie règne »,- et l'ordre avec l'anarchie, pourrait-on ajouter. Il s'en faut en effet que la Convention ait condamné Louis XVI sous les menaces de la rue. Elle n'avait pas encore cessé d'être libre, et elle ne courait aucun danger.

NOMINAUX.

Le 14 janvier, après une longue et orageuse discussion, elle PREMIERS APPELS décréta, sur la motion du Girondin Boyer-Fonfrède, qu'elle voterait successivement sur la culpabilité, la ratification par le peuple et la pénalité. Le lendemain il fut décidé que le scrutin aurait lieu par appel nominal, à la tribune, et que les députés pourraient motiver leurs votes. Les deux premiers appels nominaux commencèrent aussitôt (15 janvier), pour durer jusque vers 10 heures du soir. Sur la première question, 28 députés étaient absents, malades ou en mission, 3 ont été omis au procès-verbal, 11 se récusèrent; tous les autres, au nombre de 707, répondirent affirmativement (dont 16 avec des réserves de forme). Ainsi, c'est à l'unanimité que la Convention a déclaré «< Louis Capet coupable de conspiration contre la sûreté générale de l'État ». Le deuxième scrutin accusa 29 absents, 9 abstentions, 287 oui les « appelants », 424 non : à la majorité de 68 voix sur 711 votants le jugement rendu contre Louis Capet ne sera pas envoyé à la ratification du peuple. L'idée que les principaux Girondins avaient si brillamment défendue quelques jours auparavant était, cette fois, définitivement repoussée. Du reste, l'ordre même des questions, tel qu'il avait été adopté, marquait déjà un recul. La droite eût préféré que l'appel au peuple vint en

LE VOTE
DE

CONDAMNATION.

INEXACTITUDE
DES CHIFFRES

OFFICIELS.

première ligne, la gauche en troisième ligne, et, comme d'ordinaire, la Convention avait adopté un moyen terme.

La séance qui suit est l'une des plus dramatiques de la Convention. Elle se prolongea pendant plus de trente-six heures consécutives, du 16 janvier vers dix heures du matin, jusqu'au 17 après dix heures du soir. Pendant les premières heures, on expédia les affaires courantes, on se querella sur les machinations que la gauche et la droite s'imputaient réciproquement; Lanjuinais demanda que le décret de jugement fût rendu à la majorité des deux tiers ou des trois quarts de voix, Danton répondit que la majorité usuelle (de la moitié des voix plus une, ou, en cas de chiffre impair, plus une demie), suffisante pour faire une loi, devait suffire aussi pour défaire un roi. L'appel nominal ne commença que vers huit heures du soir et continua pendant vingt-quatre heures les députés voulurent presque tous motiver leur vote. Qu'on s'imagine l'aspect de la Salle du Manège, pendant cette longue nuit d'hiver, l'air vicié qu'on y respirait, l'attitude ensommeillée et fiévreuse des spectateurs et des députés. Le vote avait lieu par département, et, dans chaque département, d'après l'ordre d'élection. Le roulement d'usage aux appels nominaux appelait en première ligne, pour ce scrutin, le département de la Haute-Garonne, le deuxième scrutin ayant commencé par le Gard et le premier par le Finistère, et dans la Haute-Garonne le premier élu était Mailhe. Il vota pour la mort, mais il ajouta : « Si la mort a la majorité, je crois qu'il serait digne de la Convention nationale d'examiner s'il ne serait pas utile de retarder le moment de l'exécution ». C'était là une manoeuvre nouvelle de la droite. Battue sur l'appel au peuple, elle posait inopinément la question du sursis, qui pouvait annuler tous les votes. acquis. Plusieurs députés se rallièrent plus ou moins nettement à l'amendement Mailhe, et les Montagnards firent courir le bruit que l'Espagne, dont l'ambassadeur venait d'intercéder en faveur du Roi, avait tout simplement acheté Mailhe à prix d'argent.

Quand le dépouillement fut terminé, le Girondin Vergniaud, président de quinzaine, déclara, au milieu d'un profond silence et avec l'accent de la douleur, que, la majorité étant de 361 pour 721 votants et 366 membres ayant voté la mort, la peine que la Convention prononce contre Louis Capet est la mort. Dès la fin de l'interminable séance, alors que les trois avocats du Roi, introduits dans la salle, soumettaient à l'Assemblée l'appel que le condamné interjetait à la Nation, dont Guadet prit texte pour poser la question du sursis, puisque aussi bien l'appel était contradictoire avec le deuxième vote de la Convention contre la ratification par

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Gravure anonyme. Au premier plan, le carrosse dans lequel fut amené Louis XVI. Sur l'échafaud, à droite, le bourreau montrant la tête du roi ; à gauche, l'abbé Edgeworth. Au fond, le socle de la statue de Louis XV. Musée Carnavalet. Estampe.

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