Images de page
PDF
ePub

à la hate; leur ligne s'étendait sur une longueur de près de deux lieues, de Quarignon au bois et aux faubourgs de Mons. Les Français se développèrent au pied des hauteurs, la droite vers Mons, la gauche vers Quarignon. La bataille commença, le 6 novembre, à sept heures du matin, par une canonnade qui dura trois heures. L'aile gauche de Dumouriez attaqua alors Quarignon, s'en empara et marcha contre Jemmapes que défendait Clerfayt. Il était midi. Sur l'ordre de Dumouriez, Égalité fils (le duc de Chartres), qui commandait au centre, se mit en mouvement. Du bois où ils sont cachés, en haut de la colline, les Autrichiens résistent vigoureusement. Il fallut redescendre, puis remonter. Des bataillons se débandaient. Égalité fils les rallia, recommença l'assaut, traversa enfin le bois. Au même moment Jemmapes était emporté, et Dumouriez, s'étant porté sur la droite près de Mons, y activait l'attaque jusqu'alors languissante. Mais c'était inutile: le centre ennemi était rompu et Clerfayt reculait. La bataille était gagnée : bataille simple, d'attaque directe et simultanée contre tout le front ennemi. A aucun moment Dumouriez n'a eu l'idée de concentrer ses forces sur un point quelconque pour briser la ligne autrichienne. Les Français ont vaincu parce qu'ils étaient plus nombreux et parce qu'ils avaient l'élan offensif, le courage et la confiance. Les Autrichiens racontent qu'un mouvement tournant, hardiment opéré à travers les marais de la Trouille, aurait forcé Clerfayt à évacuer Jemmapes; ils auraient ainsi été battus suivant les règles, par une opération savante consolation qui n'est même pas authentique, car aucun témoignage français n'en fait mention. La victoire de Jemmapes est toute révolutionnaire; elle est l'œuvre des fédérés et des volontaires, qui ne sont pas très exercés, mais qui marchent en avant, au chant de la Marseillaise et au cri de « Vive la République !

[ocr errors]

OCCUPATION

Le retentissement fut très grand. En un mois, la Belgique fut conquise. Dumouriez et ses lieutenants, en quatre corps parallèles, DE LA BELGIQUE. marchant de Mons et de la frontière française à la Meuse, s'emparèrent presque sans combat de toutes les places et nettoyèrent le pays des troupes autrichiennes. Namur capitula le 2 décembre. Mais c'était là, de nouveau, la guerre d'ancien régime. Les Autrichiens purent se réfugier entre Meuse et Rhin et s'y refaire au printemps, la lutte serait à recommencer. Si Dumouriez, au lieu d'imposer à ses troupes un long détour en France et d'aller lui-même à Paris, avait poursuivi énergiquement les Prussiens et commencé l'attaque de la Belgique par la Meuse, il est évident que la campagne aurait pu donner des résultats bien plus décisifs. Balayer n'est pas détruire. Mais on était tout au succès du moment.

:

LE BUT

DE LA GUERRE.

DISCUSSIONS

ET RAPPORTS.

L

11. VARIATIONS SUR LE BUT DE LA GUERRE 1

[ocr errors]

A guerre n'était plus de défense nationale. L'arrêté du Conseil exécutif provisoire, aux termes duquel la République française ne traiterait point avec des ennemis sur son territoire (25 septembre 1792), n'avait servi qu'à masquer les premières négociations avec les Prussiens; Danton allait jusqu'à proposer (4 octobre) qu'on déclarât que la patrie n'était plus en danger puisque la royauté était maintenant abolie. Sur les sages observations de Barère, la Convention refusa; mais, visiblement, la guerre changeait de nature. Qu'allait-on faire des pays occupés?

Ce furent les généraux qui les premiers s'en enquirent. Le 28 septembre, la Convention prenait connaissance d'une lettre de Montesquiou: « J'ai déjà entendu parler de proposer à la France un 84 département (en Savoie) ou du moins une république sous sa protection. Il est à désirer que je connaisse le vœu du gouvernement. » La Convention décréta le renvoi aux Comités diplomatique et militaire. Quinze jours plus tard, le 13 octobre, lecture des dépêches de Custine sur les contributions qu'il a levées et de Dillon sur ses négociations avec les Prussiens. La Convention approuve les contributions et convient qu'il est urgent de tracer aux généraux leur règle de conduite. Nouveau décret de renvoi aux Comités. Le rapporteur est Anacharsis Cloots (20 octobre): Guerre aux châteaux, paix aux cabanes! Le bonheur du genre humain se réalise

1. RAPPORTS DE LA FRANCE RÉVOLUTIONNAIRE AVEC L'EUROPE. - Quatre grands ouvrages : (Allonville, Beauchamp, Schubart), Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Etat sur... la politique des cabinels (1792-1815), 1828-38, 13 vol.; Alison, History of Europe (1789-1815), 15e édit., Edimbourg, 1833-42, 10 vol. et table; Sybel, G. der Revolutionszeit (1789-1800), 1o édit., Dusseldorf, 1853-7, 5 vol., trad. franç., 1869-87, 6 vol.; Sorel, L'Europe et la Révolution française (1789-1815), 1885-1904, 8 vol. et table, 1911; auxquels il faut ajouter : Bourgoing, Histoire diplomatique de l'Europe pendant la Révolution française, 1865-86, 4 vol., Rose, The revolutionary and Napoleonic era, Cambridge, 1895, Bourgeois, Manuel historique de politique étrangère, t. II (1789-1830), 1898, et Wahl, G. d. europæeischen Staatensystems (1789-1815), MunichBerlin, 1912. Au point de vue allemand: Haeusser, Deutsche Geschichte (1786-1805), Leipzig, 1854-7, 4 vol.; Oncken, Das Zeitalter der Revolution, des Kaiserreiches u. der Befreiungskriege, Berlin, 1884-7, 2 vol. et Heigel, Deutsche Geschichle (1786-1806), Stuttgart, 1899-1911, 2 vol. Cf. Masson, Le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution, 1877. Sur les DISCUSSIONS CONVENTIONNELLES DU BUT DE LA GUERRE, les textes déjà cités au sujet des débats de l'Assemblée, et Dufraisse, Histoire du droit de guerre et de paix de 1789 à 1815, 1867; Basdevant, La Révolution française et le droit de guerre continentale, 1901; GætzBernstein, La politique extérieure de Brissot et des Girondins, 1912; Mathiez, La Révolution et les étrangers (1918). Sur la RÉUNION DE LA SAVOIE, Doppet, Mémoires, collection Berville et Barrière, 1824; Dufayard, Le club des Allobroges el la réunion de la Savoie. R. histor., 1892, t. L; Masse, Histoire de l'annexion de la Savoie à la France en 1792, Grenoble, 1891-5, 3 vol.; Folliet, Documents relatifs à la réunion de la Savoie, 1899; Vermale et Blanchoz, Procès-verbaux de l'Assemblée générale des Allobroges, 1908; Bruchet, L'abolition des droits seigneuriaux en Savoie, 1908. RAURACIE: Gautherot, La Révolution française dans l'ancien évéché de Bale, 1907, 2 vol., t. I. — RHÉNANIE: Remling, Die Rheinpfalz in der Revolutionszeil, Spire, 1865-7, 2 vol.; Bockenheimer, Die Mainzer Klubislen (1792-3), Mayence, 1895.

aux dépens des oppresseurs. Les frais de la guerre doivent porter sur ceux qui l'ont provoquée. En conséquence, les généraux lèveront des contributions sur les tyrans et leurs satellites. Mais quelle doit être la conduite des généraux? Lasource en définit les règles dans son rapport du 24 octobre : tout peuple affranchi peut exprimer son vœu, et son vou pourra être qu'il soit réuni à la nation française. La Convention aura à en délibérer. En attendant que ces vœux nous parviennent, que feront les généraux? Municipaliseront-ils le pays, en lui donnant des institutions à la française, comme Anselme à Nice? Ou plutôt, ne doivent-ils pas se contenter d'assurer la sûreté des personnes, le respect des propriétés et l'indépendance des opinions, comme Montesquiou en Savoie? Lasource conclut pour la deuxième méthode et soumet à la Convention un projet de décret en ce sens.

Ainsi l'Assemblée restait indécise, malgré quatre débats successifs et deux rapports avec projets de décrets. Allait-elle enfin prendre parti en examinant les vœux de réunion? Le premier venait de Nice (4 novembre); d'autres suivirent, présentés par les Savoisiens en résidence à Paris (11 novembre), huit communautés de Nassau-Sarrebruck (15 novembre) et un bailliage de Deux-Ponts (18 novembre). La Convention les transmit aux Comités diplomatique et de législation réunis (ce dernier remplacé ensuite par le Comité de constitution). Sa prudence contrastait avec l'enthousiasme qui gagnait les esprits. « La sainte épidémie de la liberté gagne partout de proche en proche », écrivait Marat (5 octobre). « Je demande que Chambéry, Mayence, Francfort soient pour nous des clubs, s'écriait Manuel aux Jacobins (28 octobre); ce n'est point assez de nous affilier des sociétés, il nous faut affilier des royaumes. » Et Chaumette prophétisait à l'Hôtel de Ville (16 novembre) : « Le terrain qui sépare Paris de Pétersbourg et de Moscou sera bientôt francisé, municipalisé, jacobinisé ». Dans le même sens, Brissot écrivait à Servan (26 novembre): « Nous ne pourrons être tranquilles que lorsque l'Europe, et toute l'Europe, sera en feu ».

L'ENTHOUSIASME
GÉNÉRAL.

DECRET DU

Or, le 19 novembre, l'Alsacien Rühl (Montagnard) soumettait à la Convention une supplique du club de Mayence réclamant la pro- 9 NOVEMBRE 1799. tection de la nation française contre les tyrans de nouveau menaçants. Defermon (Girondin), Legendre (Montagnard), Brissot (Girondin) rappellent que les Comités sont déjà saisis de la question, qu'un rapport va être déposé. Mais Rühl insiste: Brissot accorde que le principe est indiscutable, Carra demande qu'on le décrète à l'instant. La Revellière-Lépeaux (Girondin) en rédige le texte; Lasource (Girondin) fait inutilement remarquer qu'il serait plus

LAVISSE. H. contemp., II.

3

LE VEU

DE LA SAVOIE.

LA RÉUNION

DE LA SAVOIE.

simple et plus logique de régler d'abord la conduite des généraux en pays ennemi; le texte est voté d'enthousiasme, et Sergent (Montagnard) fait décider qu'il sera traduit dans toutes les langues : «< La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu'elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté ». Pour la première fois, après de longues hésitations, la Convention prenait enfin parti; des Montagnards avaient fait comme une surenchère sur la doctrine de quelques-uns des Girondins.

Le surlendemain (21 novembre), Brissot, faisant au nom du Comité diplomatique l'exposé critique des négociations engagées par Montesquiou avec Genève, énonça ses vues de politique extérieure « Votre épée ne peut être remise dans le fourreau que tous les sujets de vos ennemis ne soient libres, que vous ne soyez entourés d'une ceinture de républiques ». Puis une députation, dirigée par le citoyen Doppet, lieutenant-colonel de la légion des Allobroges, apporta le vœu authentique de la Savoie. La Convention fut transportée d'enthousiasme. Grégoire, qui présidait, prophétisa l'ère future: « Un siècle nouveau va s'ouvrir; les palmes de la fraternité et de la paix en orneront le frontispice », et l'Europe << ne contiendra plus ni forteresse, ni frontière, ni peuple étranger ». On criait : «< Aux voix la réunion! » Barère et Petion obtinrent que la Convention entendit au préalable le rapport de son Comité. Deux doctrines étaient en présence: l'idée brissotine des républiques sœurs (qui d'ailleurs n'était pas admise par tous les Girondins), l'idée Centriste et Montagnarde des réunions.

Le rapport des Comités fut rédigé par Grégoire, qui en donna lecture le 27 novembre. La France a renoncé au brigandage des conquêtes. Elle ne rêve pas d'une domination universelle comme Louis XIV. Elle ne songe pas à faire de l'Europe une seule république dont elle serait la métropole. Elle est un tout qui se suffit, car partout la nature lui a donné des barrières qui la dispensent de s'agrandir.

. Mais, si des peuples occupant un territoire enclavé dans le nôtre ou renfermé dans les bornes posées à la République par la main de la nature désirent l'affiliation, devrons-nous les recevoir? Oui sans doute, si le vœu est libre et s'il correspond aux intérêts de la France et du peuple qui demande l'affiliation. Et tels sont les Savoisiens: conformité de mœurs et d'idiome, rapports habituels, haine des Savoisiens envers les Piémontais, amour pour les Français qui les paient d'un juste retour tout les rappelle dans le sein d'un peuple qui est leur ancienne famille..

La réunion fut votée sans discussion, à l'unanimité moins une voix, celle de Pénières (Girondin). Entre le décret du 27 novembre et celui du 19, nulle contradiction; Grégoire a eu soin de le noter.

Après avoir posé un principe général, la Convention règle un cas particulier. Elle accepte la réunion de la Savoie pour trois raisons : le respect de la souveraineté nationale (un peuple peut librement s'agréger à un autre peuple), l'idée des limites naturelles (la France est une réalité géographique), enfin la notion précise des intérêts du pays. Grégoire est un Centriste; dans la longue et difficile discussion des buts de la guerre, le Centre a conçu et fait accepter à la Convention, dès ses débuts, une politique positive, qui est à la fois révolutionnaire et réalisatrice.

POLITIQUE

DE DUMOURIEZ

EN BELGIQUE.

Après la Savoie, la Belgique. La méthode adoptée par la Convention la forçait à examiner séparément les conditions particulières à chacun des pays dont les armées françaises expulsaient les tyrans. Or, Dumouriez avait sur la Belgique des projets personnels, qu'il mettait déjà à exécution, avant même que la conquête fût achevée. Il voulait faire de la Belgique un État libre et indépendant. C'était aussi l'idée de Brissot, qui rêvait d'une république belge. Mais, dans l'esprit de Dumouriez, cette république devait avoir un chef, et ce chef, trois fois fort, par son génie personnel (Dumouriez n'en doutait pas), par la puissance de son armée et par les ressources de la Belgique, serait devenu ensuite le chef de la France entière. Mais les Belges n'étaient pas unanimes. Quelques-uns désiraient le maintien de l'union avec l'Autriche et du régime établi; ils étaient les moins nombreux, et bientôt ils ne comptèrent plus. D'autres voulaient l'autonomie avec des réformes modérées, d'autres l'autonomie avec des réformes radicales et révolutionnaires, quelquesuns des réformes révolutionnaires et la réunion avec la France. Dumouriez chercha l'appui des autonomistes, en faisant valoir la haine commune des Français et des Belges contre les Autrichiens. Or, le 30 novembre, la Convention envoyait dans le pays une LES COMMISSAIRES commission composée de Camus, Danton, Delacroix et Gossuin (à qui Merlin de Douai et Treilhard furent adjoints le 13 et le 16 janvier 1793). Désormais Dumouriez ne serait plus seul à agir. Le 4 décembre, une députation d'autonomistes belges, conduits par le président de l'assemblée électorale de Bruxelles, se présenta à la Convention pour demander que la France s'engageât à ne conclure la paix avec aucune puissance, « à moins que l'indépendance absolue de la Belgique et du pays liégeois ne fût formellement reconnue et établie » : déclaration qui eût été une garantie de la France contre l'Autriche, sinon de la France contre elle-même. La Convention passa à l'ordre du jour. Le 10 décembre, une lettre des commissaires en Belgique signala à la Convention la misère et les besoins grandissants de l'armée française. Cambon grommela :

DE LA CONVENTION EN BELGIQUE.

« PrécédentContinuer »