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mission des pouvoirs avait été légale, pacifique et majestueuse. La Convention commençait, qui devait durer jusqu'au lundi 26 octobre 1793.

Les députés présents (ils étaient environ trois cents, à peine un peu plus, peut-être même moins) paraissent à leurs discours avoir été émus de la grandeur et de la difficulté de leur tâche. Dans la langue politique du temps, la Convention était par définition une Assemblée chargée de rédiger un nouveau pacte social, tout en parant aux nécessités du moment. Elle représente directement la souveraineté nationale. Quand elle paraît, tout cesse : il n'y a plus de constitution, de lois, de fonctionnaires, rien. Elle doit tout reconstruire, ayant comme but et comme moyen la liberté et l'égalité. Mais le pourra-t-elle? Déjà il ne s'agit plus du péril extérieur et de l'invasion menaçante. Seul Danton y fait allusion, très brièvement, et pour indiquer que le danger est passé. Mais, à l'intérieur, si la royauté est vaincue et le roi prisonnier, n'a-t-on pas à craindre un retour offensif du despotisme? Des rumeurs circulent, inquiétantes, de tribunat, de dictature, de triumvirat. Marat, député de Paris, les a propagées, comme il a soutenu aussi la nécessité des massacres, et plusieurs députés de Paris semblent solidaires de Marat. Il faut d'abord rassurer l'opinion, Danton le comprend. Il fait voter deux déclarations (21 septembre): il ne peut y avoir de constitution que celle qui est acceptée par le peuple; les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation. Ainsi Danton donnait des garanties contre toute tentative d'usurpation ou de désordre; il semblait s'être séparé de la députation de Paris; mais, au fond, la formule qu'il avait fait adopter n'excluait pas l'hypothèse d'une restauration monarchique par protectorat ou dictature. D'autre part, pour laisser à la Convention le temps d'agir, il est décrété que provisoirement les lois non abrogées resteront exécutoires, que les fonctionnaires non révoqués seront maintenus, et que les contributions publiques continueront à être perçues comme par le passé.

Déjà quelques orateurs avaient parlé de l'abolition de la royauté. Collot d'Herbois proposa qu'on la votât d'emblée à l'assemblée électorale de Paris, qu'il avait présidée, la demande avait été faite, et il s'en souvenait. Quinette, Basire essaient inutilement d'empêcher un vote trop précipité, et qui d'ailleurs allait contre le principe que la constitution devait être acceptée par le peuple; Grégoire, d'autres encore, insistent, et la Convention décrète à l'unanimité que` la royauté est abolie en France. On applaudit; on crie: « Vive la Nation! » Et, dans l'Assemblée qui les acclame, cent cinquante chasseurs défilent au son de leurs trompes pour aller défendre la patrie.

POUR RASSURER
L'OPINION.

ABOLITION
DE LA
ROYAUTÉ,

INTRODUCTION

DE LA

RÉPUBLIQUE.

INCERTITUDES
ET DÉFIANCES.

Abolir la royauté, c'était évidemment établir la République. Le terme est employé déjà le 21 septembre à la séance du soir. Encore fallait-il le reconnaître. Billaud-Varenne s'y employa. C'était un esprit exact et méthodique, capable de tirer les actes des principes, qui, sans jamais se poser en chef, exerça souvent une action décisive dans l'histoire de la Convention. Le 22 au matin, il fit décréter que les actes publics porteraient dorénavant la date de l'an I de la République. Décision de pure forme, et qui passa presque inaperçue. Le Moniteur ne la signala que le 26, et peu exactement. Comme le remarquait plus tard Lanjuinais, la République a été décrétée avant d'avoir été délibérée. Danton et Robespierre, Vergniaud et Buzot, tous les chefs se sont tus. Mais un député modéré, Poullain-Grandprey, se félicitait, le jour même, de la « superbe opération » qu'on venait d'exécuter l'abolition de la royauté et la proclamation de la République, ajoutait-il, chacun de nous en avait apporté le vœu, et « toute discussion devenait inutile »>.

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Quelques jours auparavant, des troubles avaient éclaté à Orléans, où les sections se trouvaient en conflit avec la municipalité. Prenant texte de cet incident, Danton fit voter dans la même séance (le 22) que les corps administratifs, municipaux et judiciaires seraient renouvelés en entier, et que le peuple aurait le droit de choisir les juges indistinctement parmi tous les citoyens. Danton avait parlé la veille en modéré; mais sa politique était de donner des gages à tous les partis. Comme lui, la Convention venait de se contredire, et le maintien provisoire des autorités constituées n'avait duré qu'un jour. Un rapport du ministre de l'Intérieur Roland, dont il fut donné lecture le 23, essaya de rallier les modérés. Pessimiste et filandreux, il prévoyait les pires événements. Dans beaucoup de départements, et plus encore à Paris, le désordre, l'anarchie et la désorganisation grandissent. La Convention pourrait être mise en péril. Elle devrait s'environner d'une force armée imposante, d'une troupe soldée d'hommes qui n'aient d'autre destination que le service militaire. Kersaint, Vergniaud, Lanjuinais, Buzot obtiennent le lendemain (24 septembre) qu'une commission étudiera les moyens de rétablir l'ordre, de réprimer les provocations au meurtre et de donner à la Convention une force publique prise dans les 83 départements. L'idée maladroite d'une garde prétorienne telle que la proposait Roland est abandonnée, mais le principe est maintenu. La Convention se défiait donc de Paris, et les députés modérés rendirent la députation parisienne responsable des craintes qui les obsédaient.

La séance du 23 septembre ne fut qu'un long cri de passion furieuse. Robespierre, le premier élu de Paris, fut nominativement dénoncé. Il n'avait pas encore prononcé une parole à la Convention. Il se défendit en un discours long, hautain et volontairement vague. Marat brandit son pistolet et menaça de se tuer sur place si on le décrétait d'accusation; mais, par une remarquable atténuation de ses violences récentes, il rendit hommage à l'Assemblée Conventionnelle pour ses premiers travaux. Aux départementaux, les Parisiens reprochaient de vouloir rompre l'unité de la nation; aux Parisiens, les départementaux reprochaient l'insupportable tyrannie que depuis le 10 août la capitale prétendait exercer sur la France. Lasource disait: Je ne veux pas que Paris, dirigé par des intrigants, tyrannise la République. Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d'influence comme chacun des autres. départements. Et Robespierre répondait On nous a dit sans preuves : « Vous aspirez à la dictature ». Les calomnies de nos accusateurs nous font soupçonner qu'ils veulent faire de la République française un amas de républiques fédératives. Une fois de plus, Dahton s'éleva contre toute idée de dictature; il parla contre Marat, mais en l'excusant, et il fit voter un décret qui ne réalisait l'union qu'en apparence, puisqu'il ne comportait aucune mesure positive contre le mal présent. « La Convention nationale déclare que la République française est une et indivisible. » Néanmoins quelques députés, Cambon, Vergniaud surtout, avaient cité des faits si précis à la charge de la Commune de Paris, de son comité de surveillance et de ses commissaires dans les départements, qu'on en fut inquiet à l'Hôtel de Ville, et qu'à la séance du soir une députation du Conseil général vint désavouer à la Convention les commissaires et le comité de surveillance; s'ils ont dépassé leurs pouvoirs, c'est à la Convention de les punir.

LA RÉPUBLIQUE

UNE

ET INDIVISIBLE

Votes d'enthousiasme, dont les dessous restent obscurs, que- L'UNION POSSIBLE relles intestines et attaques persistantes, contradictions et impuissance, difficulté extrême de suivre avec méthode une discussion commencée, délibération sans cesse interrompue ou déviée par des incidents toujours renouvelés, les députations, les dépêches, les rapports, les pétitions telle était la Convention après six jours d'existence, et telle elle sera toujours. Pendant ces premières journées, Danton s'est beaucoup dépensé : il voulait réaliser l'union autour de sa personne, et sa forte parole n'a pas été sans action sur les nouveaux venus, qui hésitaient à prendre parti dans le conflit mortel légué par la Législative à la Convention. Était-il nécessaire d'en accepter l'héritage? Déjà la Commune de Paris vient

d'esquisser un mouvement de soumission à la majesté de la représentation nationale. A l'aube de temps nouveaux, le passé ne doit pas peser sur le présent. L'union semble possible.

LE NOMBRE DES

CONVENTIONnels.

L'

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E nombre des députés devait être le même qu'à la Législative, soit 745; mais les départements des Bouches-du-Rhône et de la Drôme élurent chacun deux députés supplémentaires pour représenter le Vaucluse, devenu français et qui ne fut organisé en dépar

1. TEXTE DES DÉBATS CONVENTIONNELS. Le Procès-verbal de la Convention nationale imprimé par son ordre forme 72 vol. publiés au fur et à mesure, de 1792 à l'an IV (ne donne pas le détail des débats). Les Archives parlementaires de Mavidal, Laurent et continuateurs fournissent les textes Conventionnels à partir du t. L et vont jusqu'au 19 déc. 1793 avec le t. LXXXI, dernier paru (1913). La publication, rédigée sur un plan nouveau à partir du t. LXXII (1793) reproduit, avec le procès-verbal des discours, tous les documents annexes; elle est devenue indispensable, sans pourtant annuler compiètement l'Histoire parlementaire de la Révolution française, de Buchez et Roux (40 vol., les t. XX à XXXVII, 1835-38, sur la Convention) et moins encore le Moniteur (réimprimé en 32 vol. in-4°. les t. XIV XXVI, 1840-42, sur la Convention). Le Choix de Rapports, Opinions el Discours (de 1789 à 1815), p. p. Lallement de Metz (20 vol. et la table, les t. X à XV, 1820-21, sur la Convention) donne, sous une forme commode, des pièces judicieusement choisies et groupées. TEXTE DES DÉCRETS CONVENTIONNELS. Les décrets Conventionnels d'intérêt public sont insérés depuis le 10 juin 1794 dans le Bulletin des lois (205 n° en 6 vol.). L'Avantbulletin des lois en 8 vol., 1806-7 (les t. VI à VIII pour la Convention), réimpression de la Collection des lois depuis 1789 jusqu'au 22 prairial an II, an XII, 7 vol., ne reproduit qu'une partie des décrets. Cf. pour la Convention, la série p. p. Haenner à Nancy, 1793-an IV, 6 vol. (de sept. 1792 à juin 1794). Le plus répandu et le plus maniable des recueils législatifs est celui de Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements (de 1789 à 1814), 1824-27, 18 vol. et 2 de tables (les t. V à VIII, 1825, sur la Convention). Cf. Cahen et Guyot, L'œuvre législative de la Révolution, 1913 (choix de textes). CORRESPONDANCES CONVENTIONNELLES ET ACTES GOUVERNEMENTAUX. Les lettres et rapports des représentants en mission ont été p. p. Aulard, Recueil des actes du Comité de salut public, avec la correspondance officielle des représentants en mission et 'le registre du Conseil exėculif provisoire, t. 1-XXV, 1889-1918, en cours (dans la Collection des documents inédits sur l'histoire de France) publication d'importance capitale pour l'histoire de la Convention (le t. I du 10 août 1792 au 21 janv. 1793, les t. II à IX pour 1793, X à XIX pour 1794, XIX et suiv. pour 1795). La liste des représentants en mission jusqu'au 9 thermidor a été donnée par Aulard, Rév. franç., t. XXIII, XXV, XXXIII et XXXVIII. Il n'existe pas d'autre recueil général de lettres des Conventionnels. BIOGRAPHIES CONVENTIONNELLES. Le relevé des députés a été critiquement établi par J. Guiffrey, Les Conventionnels, listes par département et par ordre alphabétique des députés et des suppléants à la Convention nationale, 1889 (p. p. la Soc. de l'Hist. de la Révol.). Les anciennes biographies contemporaines, dont la première en date est le Dictionnaire des Jacobins vivants, Hambourg, 1799, in-12, ont été utilisés dans la Nouvelle biographie universelle de Michaud et la Nouvelle biographie générale de Hæfer. On peut tirer profit de certaines notices de la Grande Encyclopédie comme de celles du Dictionnaire des Parlementaires français (1789-1799), p. p. Robert, Bourloton et Cougny, 1889-91, 5 vol. Nombre d'erreurs ont été corrigées par Kuscinski, Dictionnaire des Conventionnels, 1919 (p. p. la Soc. de l'Hist. de la Révol.). Voir aussi Aulard, les Orateurs de... la Convention, 1906-07, 2 vol. MÉMOIRES CONVENTIONNELS. Les mémoires des Conventionnels Girondins, dont plusieurs ont été écrits en prison ou en proscription, ne peuvent être utilisés qu'avec prudence: Barbaroux (éd. Dauban, 18:6, avec corresp.), Brissot (éd. Perroud, 1911, 2 vol. et corresp., 1911), Buzot (éd. Dauban, 1866), Daunou (éd. Barrière, 1861), Dulaure (éd. La Sicotière et Maron, 1862, cf. Supplément aux crimes des anciens comités, 1795), Lanjuinais (Adresse à la nation, Revue de la Révol., 1888), Louvet (éd. Maron, 1862, Aulard, 1889), La Revellière (imprimé en 1873, publié en 1895, 3 vol.), Meillan (éd. Berville et Barrière, 1823), Petion avec Barbaroux et Buzot (éd. Dauban, 1866).

tement que le 25 juin 1793. Le total fut donc de 749. Plus tard, les décès, les démissions, les proscriptions, l'arrivée retardataire des députés des colonies, les élections ultérieures dans les départements nouvellement formés du Mont-Blanc (27 novembre 1792), des Alpes-Maritimes (31 janvier 1793) et du Mont-Terrible (23 mars 1793), amenèrent à la Convention 154 suppléants ou députés nouveaux. On compta finalement 903 Conventionnels effectifs, desquels 778 avaient déjà siégé au 2 juin 1793, 863 au 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), et 703 siégeaient encore à la clôture de l'Assemblée.

Sur les 903 Conventionnels, 285 avaient fait partie des précédentes Assemblées, dont 96 à la Constituante et 189 à la Législative. Au moment de leur élection, 245 députés étaient «< hommes de loi », juges, avocats, avoués, notaires, et 379 occupaient des fonctions d'administration locale, électives pour la plupart, dans les départements, les districts ou les communes. Même si, comme il est probable, ces chiffres peuvent être corrigés pour quelques unités, la prépondérance des hommes de loi et des fonctionnaires locaux reste indéniable. Ils forment à eux seuls plus des deux tiers de la Convention (624 sur 903). Parmi les députés nouveaux, presque tous sont gens d'expérience, qui ont déjà pris part aux affaires de leur pays. Dans l'ensemble, la Convention correspond bien à la France) nouvelle, la France bourgeoise, sérieuse et active, des hommes de loi, des publicistes et des administrateurs. Toutes les professions y sont représentées et toutes les classes, même les anciennes classes sociales ci-devant privilégiées. Bref, l'Assemblée apparaît comme l'image vivante et presque fidèle de la France régénérée.

Entre la Gironde qui voudrait gouverner comme « parti national » et la Montagne au début peu nombreuse et groupée autour de la députation de Paris et de Seine-et-Oise, siègent ceux qui observent et

Les mémoires des Conventionnels Montagnards ont été pour la plupart rédigés de longues années après la fin de la Convention et contiennent des erreurs ou des interpolations : Barère (éd. Carnot et David d'Angers, 1842-44, 4 vol.), Barras (éd. Duruy, 1835-6, 4 vol.), Baudot (Voles p. p. Mme E. Quinet, 1893), Billaud (éd. Begis, 1893, avec biographie), Carnot (par son fils, éd. 1893 et 1907, 2 vol.), Choudieu (éd. Barrucand, 1877), Couthon (Corresp. p. p. Mège, 1872), Delbrel (Notes, éd. Aulard, 1893), Dubois-Crancé (Analyse de la Révolution, éd. Iung, 1885), Levasseur (rédigé par Roche, 1829-31, 4 vol.), Monnel (rédigé par Martin, 1829, 2 vol.). Les mémoires des Conventionnels du Centre sont, en apparence, plus impartiaux que les précédents, mais n'apportent que des contributions de détail Dubreuil-Chambardel (Souvenirs et lettres, éd. Monnet, Revue Révol., 1888), Durand-Maillane (éd. Berville et Barrière, 1825 et Lescure 1880), Fockedey (éd. d'Héricault, Revue Révol. 1884), Grégoire (éd. Carnot, 1840, 2 vol.), Sieyès (Notice anonyme autobiographique, Révol. franç., 1892), Thibaudeau (éd. Berville et Barrière, 1824, 2 vol.). Aux écrits des députés, il faut joindre ceux de Mme Roland (Mémoires, éd. Perroud, 1905, 2 vol. et, dans la collection des documents inédits, Correspondance, éd. Perroud, 1900-15, 4 vol.), de Mmes Cavaignac (Mémoires d'une inconnue, 1834) et Jullien de la Drôme (Journal d'une bourgeoise, éd. Lockroy, 1881), femmes de Conventionnels, et les Mémoires sur la Révolution du ministre Garat (an III).

ORIGINE des députés.

2

LES PARTIS.

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