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pénétrés d'admiration pour les anciens, dont ils commençoient à entendre et à goûter les ouvrages, se livrèrent tout entiers au désir de les imiter; et non-contens de s'être initiés dans leur doctrine, ils voulurent encore s'approprier leur langage: tels furent les Bembo, les Sadolet, les Vida ; les autres, plus attachés au goût national, tournèrent tous leurs efforts vers sa perfection, et ces efforts furent les plus heureux. Pétrarque sut revêtir d'un si beau coloris et ses sentimens exagérés et sa fausse métaphysique, qu'il obtint le rare privilége de charmer avec des mots, et de s'immortaliser des sonnets. Le Dante, penseur plus profond, plus hardi, paroît ne consulter que ses propres forces: s'il élève, s'il ennoblit l'expres sion, c'est en élevant, c'est en ennoblissant aussi la pensée il marche à pas de géant; mais sa marche est incertaine ; il s'égare, il se perd: c'est un captif indigné de sa chaine, qui l'agite et la rompt d'un même effort, mais qui, possesseur d'une liberté dont il n'a pas prévu l'emploi, laisse errer ses regards, court sans objet, et fuit sans chercher un asile.

par

Eh! qu'importe que le talent s'égare, pourvu qu'il se montre et se fasse reconnoître ! En vain l'esprit servile et imitateur voulut dicter des lois, l'exemple prévalut : l'Italie entière fut entraînée. Il en résulta que les progrès du génie furent plus rapides que ceux du goût, et que lors même que l'Arioste et le Tasse eurent élevé la

poésie italienne au plus haut degré de splendeur, le goût national se fit toujours sentir dans leurs immortels ouvrages, et décida même de leur succès. Je n'en veux pas d'autre preuve que la préférence que les Italiens ont toujours donnée aux poésies de l'Arioste. Ils y admirent en effet cette richesse et cette liberté d'imagination qui n'appartient qu'à leur climat, unie avec une facilité dans le style, un charme dans la diction dont ils connaissent seuls tout le prix ; tandis que les étrangers retrouvent dans le Tasse un goût plus sage, plus méthodique, qui tient aussi de plus près à l'antiquité. Si depuis que ces deux poètes célèbres ont illustré leur patrie; si presque aussitôt après que les Bocace, les Guichardin, les Machiavel eurent fait des efforts, peut-être trop audacieux, pour égaler la prose italienne à la prose latine, le goût paroît avoir déchu dans cet antique séjour des sciences et des beaux-arts, n'en accusons encore que les désastres publics, dont les lettres ne peuvent être responsables; et lorsque, dans des temps plus heureux, nous voyons fleurir les Métastase, les Zeno, les Gravina et les Maffei, croyons qu'il ne falloit pas moins qu'une longue succession de guerres civiles, de tyrannie, et d'anarchie, pour rendre inféconde une terre si fertile par sa nature.

Heureuse la France d'avoir ouvert aux Muses un asile plus paisible et plus sûr ! Il semble que tout se soit combiné pour l'enrichir des trésors

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de la littérature, et pour lui en assurer la possession. Si les plus rapides révolutions, bouleversant à-la-fois et le système politique et l'empire de l'opinion, donnent à l'esprit humain toute l'énergie dont il est susceptible, la France, entraînée comme les autres puissances, prend part à ces agitations. Dans cette lutte générale de tous les intérêts spirituels et temporels, le génie s'élève, les talens se développent, l'ignorance fuit, la rai. son s'annonce; mais dès que ce mouvement de fermentation a suffi pour perfectionner nos connoissances et les dégager de tout alliage impur, un repos salutaire lui succède; le trône s'affermit, la Nation réunie l'environne, la paix renaît au sein du Royaume, et la force, mieux dirigée, va chercher la gloire qui l'attend sous les drapeaux des Turenne et des Condé.

Seroit-ce, Messieurs, dans cette Académie qui a si souvent retenti des louanges offertes à ses illustres protecteurs, que j'oublierois ce que les lettres doivent à Louis XIV? Son règne fut le leur; ce fut celui du bon goût, dont il donna l'exemple, et sans lequel il n'eût pas été comparé à Auguste, quoiqu'il l'égalât par sa magnificence et par sa libéralité. François Ier, avoit été le restaurateur des Arts, Louis-le-Grand fut le restaurateur du goût. Ce n'étoit pas assez que la littéra+ ture Grecque et Latine, devenue familière aux François, eût étendu la sphère de leurs connoissances, l'Italie moderne leur avoit prodigué ses

trésors. C'est la seule obligation qu'on ait aux Médicis; et tel est le pouvoir consolateur des Arts et des lettres, qu'il appaisa quelquefois la raison irritée, et l'empêcha d'effacer de ses fastes des noms qu'elle eût voulu condamner à l'oubli. D'autres acquisitions augmentèrent encore le domaine des Muses. Une maison illustre, où les vertus et les grâces se perpétuent pour la gloire des peuples qu'elle gouverne, et pour le bonheur des Nations étrangères, commençoit alors à s'allier avec sa rivale, et les noeuds du mariage annonçoient qu'une paix salutaire devoit un jour unir les peuples aussi étroitement que leurs Souverains. Il faut l'avouer, l'Espagne étoit alors plus riche que la France; le genre dramatique, la poésie et les romans, y avoient acquis une noblesse que notre naïveté Françoise n'avoit pu atteindre c'étoit un mérite nouveau que Louis XIV n'avoit garde de laisser échapper. Ille reconnut bientôt dansles ouvrages de Corneille, ouvrages immortels, où l'auteur paroît si grand, si fort, dès ses premiers essais, qu'on ne songe pas à chercher ses modèles. C'est le fleuve majestueux de l'Egypte ; le voyageur qui ne l'a jamais vu couler que dans un lit immense, désespère d'en trouver les sources, et doute même de leur existence.

Si la France eut jamais un goût national, c'est dans cette époque qu'il faut le chercher. Un moment plus tard on le voit disparoître. Peut-être Racine en conserve-t-il quelque trace, peut-être

retrouve-t-on dans ses héros un caractère de galanterie et de politesse plus convenable à la cour des Rois qu'au théâtre de Melpomène ; mais si l'on reconnoît quelquefois, dans ce poète admirable, le contemporain des Quinault et des Lafayette, on y reconnoît bien mieux le disciple des Grecs, et l'heureux imitateur de leur noble simplicité.

Plus sévère et plus libre dans sa critique, parce que la critique étoit son véritable talent, Boileau content de plaire à son Roi, et ne craignant pas d'avoir pour ennemis tous les ennemis du bon goût, s'empressa de leur opposer d'insurmontables barrières. Il fit plus, il joignit l'exemple au précepte, et législateur comme Lycurgue, il voulut comme lui que ses lois fussent renfermées dans des vers harmonieux. Alors le goût national s'effaça et fit place au seul qu'on doive suivre, celui qui, formé par la connoissance de tous les modèles, et par l'étude de toutes les convenances, ne consulte que lui-même, et ne doit rien ni aux

lieux ni aux temps.

Mais tandis que la critique, dirigeant et affermissant nos jugemens, s'occupoit moins à étendre l'essor de l'esprit humain qu'à lui donner des limites, une autre littérature's'élevoit chez un peuple voisin, devenu notre rival à tous égards. L'Anglois, séparé par les mers du reste de l'Europe, n'en fut pas moins séparé par l'opinion. On eût dit que, dans les révolutions de la terre, la pensée avoit choisi son séjour chez ce peuple so

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