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litaire et méditatif qui, fier de ses propres forces et ennemi de toute espèce de chaîne, ne voulut avoir ni maîtres ni modèles. Ailleurs les Arts et les lettres se présentant avec tous leurs charmes, ouvroient le chemin à la raison qui marchoit sur leurs traces. Là, c'est la philosophie qui, du haut de son trône daigne appeler les lettres, et semble leur permettre de la distraire quelquefois. Chez les autres Nations, le langage, en se perfectionnant, permit aux idées de s'étendre et de se propager; chez ce peuple contemplateur, les mots ne sont que les esclaves et non le cortège des idées, et l'ame, tout entière à son objet, ne considère la parole que comme un simple interprète. Tel est cependant le pouvoir de la pensée, que lorsqu'elle est grande et forte, elle fait tout plier sous ses lois, jusqu'au langage et à la diction. Shakespeare et Milton n'eurent qu'à commander, et la langue Angloise, remplie de consonnes et de monosyllabes, et n'ayant pour lien qu'une syntaxe incomplète et demi-barbare, prit aussitôt une forme agréable et nouvelle. Devenue l'organe de l'imagination, elle n'épouvanta plus les Grâces, et bientôt, sous la plume des Pope, des Steel et des Adisson, le goût acheva ce qu'avoit commencé le génie. Mais ces progrès rapides et inespérés n'effacèrent pas et n'effaceront jamais le goût national. Il régnera sur-tout dans les ouvrages dramatiques, parce que le théâtre est livré au peuple qui peut y exercer, d'une manière absolue, un pou

voir qu'il ne fait que partager ailleurs. Ne pourroit-on pas même dire que le goût des Anglois sera toujours mixte comme leur gouvernement ; démocratique au théâtre et au barreau, monarchique dans les ouvrages de poésie et de littérature?

Quoi qu'il en soit, il seroit injuste de dissimuler les obligations que nous avons à la littérature Angloise. Elle a donné de l'essor à la poésie, en la conduisant dans des terres fécondes, où les fleurs sont mêlées aux moissons, et en nous montrant qu'au Parnasse, comme dans ces jardins naturels que nous nous empressons d'imiter, l'agréable n'est souvent qu'une heureuse disposition de l'utile. C'est ce qu'aperçut, d'un coup-d'œil rapide et élevé, cet homme étonnant qui naquit dans le siècle passé pour illustrer le siècle présent. Appelé, invité par tous les talens, il ne négligea rien pour répondre aux faveurs de la nature. Enfant de l'harmonie, il voulut que la lyre qui, dans les mains d'Amphion avoit suffi pour élever les murs de Thèbes, servît dans les siennes à reconstruire le vaste édifice des connoissances humaines. Le théâtre, l'histoire et l'épopée, offrirent désormais une instruction aussi chère à l'esprit que flatteuse à l'oreille; et la philosophie, parée de nouveaux attraits, devint une dixième Muse.

Peut-être aussi le temps étoit-il venu où les hommes, ayant retrouvé les Arts et les Lettres, qu'ils avoient perdus depuis long-temps, devoient

songer à en faire un meilleur usage. La propriété une fois assurée, il ne restoit plus à s'occuper que de la jouissance. Toute l'activité qu'on avoit employée à recouvrer un domaine si précieux, fut destinée à l'améliorer. La raison dirigea ses nouveaux efforts; tout fut soumis à ses lois, tout lui rendit hommage, et si quelque chose doit caractériser le goût qui a prévalu pendant le règne long et paisible de Louis XV, c'est cette influence qu'elle a constamment exercée sur les ouvrages de l'esprit, et même sur ceux de l'imagination.

Je n'aurai pas besoin, Messieurs, de sortir de mon sujet pour célébrer un Prince dont la mémoire est encore récente, sur-tout parmi vous qu'il honora toujours de sa bienveillance. Je dirai, et la vérité parlera par ma bouche, je dirai que son esprit facile et juste, mais porté à la modestie et à la défiance de soi-même ; que son caractère, toujours égal et indépendant de l'opinion, mais toujours patient et mesuré; que ses vertus enfin qu'il ne dut qu'à la nature, et ses principes qu'il ne dut qu'à lui-même, ne furent pas moins favorables aux progrès de l'esprit humain, déjà formé et libre dans son essor, que les génies plus entreprenans de François Ier, et de Louis XIV ne l'avoient été à la restauration des lettres. Il pensa que, dans le moral comme dans le physique, tout mouvement qui n'est pas nécessaire est nuisible, et que s'il est des temps où le pilote ne doit pas quitter le gouvernail, il en est d'autres

où il peut, assis sur la proue, contempler le Ciel et observer les vents. Aussi ne fut-il pas touché de ses alarmes, toujours exagérées, sur la décadence du goût. Eh quoi! Messieurs, le goût se perd-il toutes les fois qu'il s'égare? Ne peut-il, sans danger, suivre ceux qui le conduisent dans des routes nouvelles, et ne sait-il pas abandonner ses guides du moment qu'il commence à s'en défier. Si, vers Je commencement de ce siècle, une fausse prétention à la géométrie sembloit décréditer la poésie et l'éloquence, ne voit on pas parmi vous un homme de génie qui, après avoir enrichi par ses découvertes la géométrie la plus sublime, sut rendre à l'éloquence ce qu'une secte frivole vouloit lui ôter, et prouver par ses exemples comme par ses préceptes, que le bon goût est inséparable du bon esprit? Un autre danger à semé l'épouvante dans la république des lettres ; l'érudition, source de toute lumière, et premier principe du goût, a été long-temps décriée et même tournée en ridicule. Cette opinion étoit plus commode, parce qu'elle servoit à la paresse. C'est ainsi que le timide habitant des villes se plaît à discourir sur l'inutilité des voyages. Eh bien! Messieurs, les anciens ne sont-ils pas rentrés dans leurs droits; la poésie, dont ils nous ont enseigné et les secrets et les lois, trouve-t-elle encore des détracteurs? Périclès disoit aux Athéniens, qu'ils louoient difficilement ce qu'ils ne pouvoient imiter. Rien ne nous empêche de louer Virgile dans cette Acadé

mie, où le premier chantre de la nature compte un rival et un imitateur, tous deux également dignes de marcher sur ses traces.

Rassurés par cette heureuse expérience, n'imputons pas au goût du siècle les erreurs du moment. Ce n'est point dans des productions éphémères qu'il faut le chercher, c'est dans vos ouvrages, Messieurs, c'est dans cette illustre compagnie, dont le véritable emploi est de soutenir par ses jugemens le bon goût qu'elle encourage par son exemple. Qu'un parterre aveugle et vacillant dans son opinion, applaudisse tantôt à l'exagération du style ou à l'effet illusoire d'un appareil pompeux et d'une situation forcée, tantôt à l'imitation minutieuse et servile d'une nature commune et indifférente; qu'il méconnoisse souvent le véritable objet des Arts, qui est le beau, et non pas ce qui n'est que ressemblant, et qu'il place les Rembrant et les Teniers à côté des Raphaël et des Carraches; croyez, Messieurs, que son égarement ne durera pas, tant que vous veillerez au dépôt sacré que les Muses ont remis dans vos mains. Eh! quel moment pour la gloire des Arts et des Lettres que celui où nous voyons monter sur le trône, aux acclamations, je ne dirai pas seulement de la France, mais de l'Europe entière, un jeune Monarque dont l'ame ouverte à toutes les vertus, l'est aussi à tout ce qui peut les décorer et les rendre plus chères à ses peuples! Il sent déjà le bonheur de régner sur une Nation éclairée, car il sait que ce n'est point à sa cou

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