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ronne seule qu'il doit les hommages empressés qui lui sont offerts. Il les a vu croître avec ses bienfaits, et lorsqu'opposant sa modestie naturelle à l'éclat qui l'environne, il s'est souvenu qu'il étoit homme comme le dernier de ses sujets, il a dû sentir du moins combien, dans ce concours de grandeurs héréditaires et de vertus personnelles, l'homme avoit fait chérir et respecter le Monarque. Le moment approche où ses peuples vont lui renouveler avec joie le serment d'une fidélité inviolable. Il y répondra par celui qu'il a déjà fait dans son cœur, de les protéger et de ne les gouverner que pour les rendre heureux. Qu'il reçoive aussi des lettres le serment solennel de concourir au bonheur et à la gloire de son règne: C'est le titre le plus sûr à sa protection. Il vous l'accordera, Messieurs, il voudra que les arts et les sciences fleurissent sous le Ciel serein qu'il vous prépare: également éloigné de la passion qui abuse de tout, et de l'indifférence qui flétrit tout, il saura les encourager sans les contraindre, et les rendre libres sans les oublier. Ainsi, les lettres qui, quoi qu'on en dise, ne portent en elles-mêmes aucun principe de décadence; ainsi, le bon goût qui' subsiste toujours et qui ne doit pas se corrompre, égaleront le siècle de Louis XVI au beau siècle de Louis XIV.

Vous n'en serez pas témoin, vous à qui je viens succéder, sans pouvoir prétendre à vous remplacer, vous que vos vertus rendoient digne de votre longue carrière, et destinoient à des

temps plus heureux. Ah! si les lettres, cultivées par une Nation entière, ne doivent jamais décheoir, qu'il est triste de voir tomber celui qui en fut l'honneur et le soutien! Qu'il est douloureux de penser que le temps, qui augmente chaque jour la gloire et la splendeur des ouvrages, imprime chaque jour un signe de destruction sur le front de leurs auteurs! C'étoit, Messieurs, à l'illustre Académicien dont ma présence ici ne fait que trop bien sentir la perte, c'étoit à lui de vous dire comment le bon goût sait résister aux erreurs flottantes de la mode. Toujours attaché aux Grecs, ses modèles, il crut que, pour marcher sur leurs traces, il devoit commencer par acquérir leurs vertus. Telle fut sa première institution, telle fut, pour ainsi dire, ainsi dire, la gymnastique par laquelle il se prépara à entrer dans la carrière. Il falloit cette simplicité de moeurs, ce désintéressement dont il donna l'exemple pendant l'es

pace de près d'un siècle, pour imiter Homère et reproduire les héros de l'Iliade; dirai-je, non à sa gloire, mais à la mienne, que dès ma plus tendre jeunesse j'entendis avec ravissement la première de ses tragédies, que je me crus transporté dans un monde nouveau, et qu'oubliant l'appareil du théâtre, je me vis tout-à-coup au milieu de Troie embrasée? Bientôt après, je reconnois M. de Chateaubrun, ou plutôt Sophocle lui-même dans le Philoctète ; mais je ne reconnus pas l'amour quand je le retrouvai dans l'isle de Lemnos, mêlant ses

flèches légères aux flèches empoisonnées d'Alcide. C'étoit une indulgence de M. de Chateaubrun pour ses spectateurs: c'étoit encore un sacrifice que sa modestie avoit fait aux préjugés et à l'habitude. Je dois louer cette modestie qui l'a toujours si bien caractérisé, mais je ne dois pas la servir. Le temps en est passé, il n'est plus, et sa gloire seule existe encore. Gardons-nous de l'atténuer, gardons-nous de prêter un foible organe aux justes éloges que ce jour lui destine. Une voix plus éloquente se prépare à les célébrer. C'est à l'interprète, c'est au peintre de la nature (1), à vous faire connoître un homme que la nature n'a jamais désavoué. Remplissez donc, Monsieur, et ce devoir cher à votre cœur, et les désirs d'une assemblée impatiente de vous entendre. Un Académicien, respectable par son âge et par ses talens, cultivant les lettres en silence près des grandeurs qui le protégent sans le détourner, retrouvant, au sein d'un asile toujours cher aux Muses, la même générosité, la même bienveillance dans quatre générations successives d'une famille, appui et rejeton du trône, partageant avec l'amitié, avec la vertu même, les soins d'une éducation illustre dont il eut la consolation de voir le succès; tels sont, Monsieur, les objets que la vérité se contente de retracer, et qu'elle confie à l'éloquence.

(1) M. de Buffon, directeur de l'Académic.

DISCOURS

Prononcé le 15 mai 1775, par M. le maréchal-duc DE DURAS, lorsqu'il fut reçu à la place de M. DE BELLOY.

Messieurs,

C'EST à l'amitié seule que je dois la place dont vous m'honorez aujourd'hui. J'étois sans droit pour y prétendre, car le simple amour des lettres, la seule estime des grands talens, ne sont pas à mes yeux des titres suffisans; vos bontés ont suppléé à ceux qui me manquent, et j'en sens le prix dans toute son étendue. Je vous offrirai pour tribut ma sincère reconnoissance; elle m'inspirera sans cesse le zèle le plus ardent, et le désir le plus vif de profiter de vos conseils, de vos lumières et de vos exemples. Vous voyant de plus près, Messieurs, je ne pourrai que vous admirer davantage.

Dépourvu des talens qui sont si multipliés parmi vous, je n'entreprendrai pas de retracer ici, comme je le dois, les éloges dont ce Sanctuaire des lettres a retenti tant de fois. Que vous dirois-je de ce vaste génie qui vous fonda, et qui vous confia le dépôt de l'immortalité des grands hommes? Que pourrois-je en dire qui fût digne de vous et de

lui? Je me bornerai à suivre le cours historique des destins de l'Académie : c'est tracer en même temps le progrès des talens et des lumières.

Votre compagnie s'assembla sous la protection de l'administrateur du Royaume ; elle continua de fleurir sous celle du chef de la Magistrature; elle parvint à son plus grand éclat, quand Louis XIV, ce Prince qui se connoissoit si bien en gloire, affecta pour jamais à la royauté le titre de protecteur de l'Académie. Ce fut alors et à sa voix que s'élevèrent des génies sublimes dans tous les genres; ce fut alors que les sciences, et sur-tout les belles-lettres, parvinrent en France à ce degré de perfection, qui fait presque donner la préférence au siècle de Louis XIV sur celui d'Auguste.

Son successeur, que nous pleurons encore, suivit les mêmes principes si favorables aux lettres, et en vit éclore les mêmes fleurs et naître les mêmes fruits. Mais je m'arrête, Messieurs, une voix véritablement éloquente vous a peint récemment avec les traits du génie, sa bienfaisance pour les lettres, et sa bonté pour ceux qui les cultivent. Il me siéroit mal d'oser rien ajouter à la peinture que vous en a fait ce Magistrat patriote (1), etjustement célèbre à tant de titres, que la voix publique appeloit depuis long-temps à la place qu'il occupe aujourd'hui parmi vous. Mais

(1) M. de Malesherbes.

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