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talens à cette ancienne et brillante époque à jamais mémorable? Que pouvons-nous mettre à côté de Virgile et de nos maîtres modernes, qui tous ont puisé à cette source commune? Tous ont fouillé les ruines et recueilli les débris de ce siége fameux, pour y trouver les exemples des vertus guerrières, et en tirer les modèles des princes et des héros; leurs noms ont été répétés, célébrés tant de fois, qu'ils sont plus connus que ceux des grands hommes de notre propre siècle.

Cependant ceux-ci sont consacrés par l'histoire, et les autres ne sont célèbres que par la fiction; je le répète, quels étoient ces princes? que pouvoient être ces prétendus héros? qu'étoient même ces peuples grecs ou troyens? quelles idées avoientils de la gloire des armes? idées qui néanmoins sont malheureusement les premières développées dans tout peuple sauvage; ils n'avoient pas même la notion de l'honneur, et s'ils connoissoient quelques vertus, c'étoient des vertus féroces qui excitent plus d'horreur que d'admiration; cruels par superstition autant que par instinct, rebelles par caprice ou soumis sans raison, atroces dans les vengeances, glorieux par le crime, les plus noirs attentats donnoient la plus haute célébrité. On transformoit en héros un être farouche, sans ame, sans esprit, sans autre éducation que celle d'un lutteur ou d'un coureur: nous refuserions aujourd'hui le nom d'homme à ces monstres dont on faisoit des dieux.

Et que peut indiquer cette imitation, ce con cours successif des poètes à toujours présenter l'héroïsme sous les traits de l'espèce humaine encore informe? Que prouve cette présence éternelle des acteurs d'Homère sur notre scène, sinon la puissance immortelle d'un premier génie sur les idées de tous les hommes? Quelque sublimes soient les ouvrages de ce père des poètes, que lui font moins d'honneur que les productions de ses descendans, qui n'en sont que les gloses brillantes ou de beaux commentaires. Nous ne voulons rien ôter à leur gloire; mais après trente siècles des mêmes illusions, ne doit-on pas au moins en changer les objets?

ils

Les temps sont enfin arrivés. Un d'entre vous, Messieurs, a osé le premier créer un poème pour sa nation; et ce second génie influera sur trente autres siècles; j'oserois le prédire,si les hommes, au lieu de se dégrader, vont en se perfectionnant, si le fol amour de la fable cesse enfin de l'emporter sur la tendre vénération que l'homme sage doit à la vérité, tant que l'empire des lys subsistera, la Henriade sera notre Iliade; car, à talent égal, quelle comparaison, dirai-je à mon tour, entre le bon et grand Henri, et le petit Ulysse ou le fier Agamemnon, entre nos potentats et ces rois de village, dont toutes les forces réunies feroient å peine un détachement de nos armées? Quelle dif férence dans l'art même? N'est-il pas plus aisé de monter l'imagination des hommes que d'élever

leur raison, de leur montrer des mannequins gigantesques de héros fabuleux, que de leur présenter des portraits ressemblans de vrais hommes vraiment grands?

Et quel doit être le but des représentations théâtrales, quel peut en être l'objet utile, si ce n'est d'échauffer le coeur et de frapper l'ame entière de la nation par les grands exemples et par les beaux modèles qui l'ont illustrée? Les étrangers ont, avant nous, senti cette vérité; le Tasse, Milton, le Camoens se sont écartés de la route battue; ils ont su mêler habilement l'intérêt de la religion dominante à l'intérêt national ou bien à un intérêt encore plus universel; presque tous les dramatiques anglois ont puisé leurs sujets dans l'histoire de leur pays: aussi la plupart de leurs pièces de théâtre sont-elles appropriées aux mœurs angloises; elles ne présentent que le zèle pour liberté, que l'amour de l'indépendance, que le conflit des prérogatives. En France, le zèle pour la patrie, et sur-tout l'amour de notre roi, joueront à jamais les rôles principaux ; et quoique ce sentiment n'ait pas besoin d'être confirmé dans des cœurs françois, rien ne peut les remuer plus délicieusement que de mettre ce sentiment en action, et de le faire paroître sur la scène avec toute sa noblesse et toute son énergie. C'est ce qu'a fait M. de Belloy; c'est ce que nous avons tous senti avec transport à la représentation du siége de Calais; jamais applaudissemens n'ont été plus uni

la

versels ni plus multipliés : mais, Monsieur, l'on ignoroit jusqu'à ce jour la grande part qui vous revient de ces applaudissemens. M. de Belloy a dit à ses amis qu'il vous devoit le choix de son sujet, et qu'il ne s'y étoit arrêté que par vos conseils, Il parloit souvent de cette obligation; avons-nous pu mieux acquitter sa dette qu'en vous priant, Monsieur, de prendre ici sa place!

DISCOURS

Prononcé le 20 juin 1776, par M. DE LA HARPE, lorsqu'il fut reçu à la place de M. COLARDEAU, qui, élu à la place de M. le duc DE SAINT-AIGNAN, mourut sans avoir pris séance à l'Académie.

DE LA PRÉFÉRENCE QUE L'ÉCRIVAIN DOIT DONNER a la SOCIÉTÉ DE SES CONFRÈRES, SUR CELLE DU MONDE.

Messieurs,

Le talent qui distingue les hommes, le génie qui s'élève au-dessus du talent, la vertu enfin, si supérieure à l'un et à l'autre, se réunissant dans un même sanctuaire, à la voix de la Gloire qui les couronne, et sous les auspices de la patrie qui les appelle; l'amitié, faite pour leur inspirer un plus touchant caractère, resserrant encore les nœuds decette union si honorable: telle étoit depuis longtemps l'idée que que je me formois de cette Assemblée ; et ce témoignage que j'aime à vous rendre, vous ne le devez, j'ose le dire, ni aux excusables illusions de la reconnoissance, ni au plaisir si légitime et si pur qu'a dû faire naître en moi la réu

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