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nion de vos suffrages. Entraîné de bonne heure vers les arts de l'esprit et de l'imagination, par ce goût irrésistible qui commande tous les sacrifices, enflammé de cet amour des talens qui ne peut exister sans quelque enthousiasme, j'ai fait connoître assez les sentimens qui m'animoient. Mes premiers regards se sont tournés vers cette classe d'hommes choisis, qui me donnoit une idée plus noble de mon état et de mes travaux, vers ceux chez qui j'ai cru voir la dignité des lettres conservée comme un dépôt dont ils sont responsables à la nation, et qui fait partie de leur propre gloire. J'ai regardé comme le but de mes efforts cette adoption qui en devient aujourd'hui la récompense. J'aurois voulu, je l'avoue, dans l'émulation que vous m'inspiriez, pouvoir vous offrir des titres plus nombreux et plus brillans; mais instruit par l'expérience, que, dans la culture des arts, les difficultés qu'ils offrent par euxmêmes, toutes pénibles qu'elles peuvent être, ne sont pas toujours les plus insurmontables ; obligé de n'avancer qu'à pas lents dans une carrière qui semble se refermer sans cesse au moment où l'on se présente pour y courir, je me suis occupé du moins à célébrer mes modèles, en même temps que je m'étudiois à les imiter: semblable à ces guerriers, qui, en marchant au combat, répètent, dans leurs chansons militaires, le nom et les louanges des généraux qui ont vaincu. C'est dans cet esprit que j'ai porté mon hommage au

pied des statues de Racine et de Fénélon. Je croyois voir ces ombres illustres assises au milieu de vous, et j'espérois que la sensibilité de leur panégyriste obtiendroit grâce auprès de ces grands hommes pour les défauts de leur imitateur.

Sans doute it importe aux progrès de l'artiste, de l'écrivain; il importe à sa gloire, à son bonheur, d'élever ainsi sa vue et sa pensée vers les maîtres de l'art qui ne sont plus, et de vivre, autant qu'il est possible, près des modèles contemporains, près de ses rivaux les plus célèbres: heureux s'il lui est aisé de chérir ceux qu'il lui est difficile d'égaler ! En général, il n'est point, pour un homme de lettres, de société préférable à celle de ses confrères, soit qu'il les retrouve dans les compagnies littéraires où le devoir les rassemble, soit qu'il les rencontre dans les cercles du monde où le goût les réunit. Pénétré depuis long-temps de cette vérité, quel moment plus favorable pourrois-je choisir pour la développer devant vous. Vous en entretenir, Messieurs, c'est vous rappeler tous les droits que vous avez acquis sur moi; c'est rendre plus solennels et plus authentiques les engagemens que je prends avec

vous.

Distinguons, d'abord, d'une multitude sans aveu et sans mission, les vrais gens de lettres qui, d'un bout de l'Europe à l'autre, sont liés entre eux par un commerce d'estime et de lu mières, et par l'amour de l'humanité.

Qu'est-ce donc, Messieurs, qu'un homme de lettres ? C'est celui dont la profession principale est de cultiver sa raison pour ajouter à celle des autres. C'est dans ce genre d'ambition, qui lui est particulier, qu'il concentre toute l'activité, tout l'intérêt que les autres hommes dispersent sur les différens objets qui les entraînent tour-àtour. Jaloux d'étendre et de multiplier ses idées, il remonte dans les siècles, et s'avance au travers des monumens épars de l'antiquité, pour y recueillir sur des traces souvent presque effacées, l'ame et la pensée des grands hommes de tous les âges; il converse avec eux dans leur langue, dont il se sert pour enrichir la sienne. Il parcourt le domaine de la littérature étrangère, dont il rem. porte des dépouilles honórables au trésor de lá littérature nationale. Doué de ces organes heureux qui font aimer avec passion le beau et le vrai en tout genre, il laisse les esprits étroits et prévenus s'efforcer en vain de plier à une même mesure tous les talens et tous les caractères, et il jouit de la variété féconde et sublime de la nature, dans les différens moyens qu'elle a donnés à ses favoris pour charmer les hommes, les éclai rer et les servir. C'est pour lui sur-tout que rien n'est perdu de ce qui s'est fait de bon et de louable. C'est pour une oreille telle la sienne que Virgile a mis tant de charmes dans l'harmonie de ses vers; c'est pour un juge aussi sensible, que Racine répandit un jour si doux dans les replis

que

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des ames tendres; que Tacite jeta des lueurs affreuses dans les profondeurs de l'ame des ty rans; c'est à lui que s'adressoit Montesquieu, quand il plaidoit pour l'humanité, Fénélon quand il embellissoit la vertu. Pour lui, toute vérité est une conquête, tout chef-d'œuvre est une jouissance. Accoutumé à puiser également dans ses réflexions et dans celles d'autrui, il ne sera ni seul dans la retraite, ni étranger dans la société. Enfin, quel que soit le travail où il s'applique, soit qu'il marche à pas mesurés dans le monde intellectuel des spéculations mathématiques, ou qu'il s'égare dans le monde enchanté de la poésie, soit qu'il attendrisse les hommes sur la scène, ou qu'il les instruise dans l'histoire, en portant ses tributs au temple des arts, il ne cherchera pas à renverser ses concurrens dans sa route, ni à déshonorer leurs offrandes pour relever le prix de la sienne ; il ne détournera pas des triomphes d'autrui son œil consterné ; les cris de la renommée ne seront pas pour son ame un bruit importun; et au lieu que la médiocrité inquiète et jalouse gémit de tous ses succès, parce que le champ du génie se rétrécit sans cesse à ses foibles yeux, le véritable homme de lettres le parcourant d'un regard plus vaste et plus sûr, y verra toujours et un monument à élever, et une place à obtenir.

Maintenant, si parmi ceux qui se sont consacrés aux lettres, il n'en est point qui ne doive

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aspirer à se rapprocher de cet heureux ensemble des qualités que je viens de décrire, où trouveront-ils mieux que chez leurs dignes confrères tout ce qu'il faut pour élever l'ame sans exalter la tête, polir les mœurs sans affoiblir le caractère, adoucir les passions et affermir les principes, nourrir l'habitude du travail, exercer la pensée et le goût? Où trouveront-ils ailleurs et des leçons toujours utiles, et des consolations trop

souvent nécessaires ?

La plupart des écrivains, suivant la diversité de leurs inclinations et de leurs études, se portent ou vers la retraite ou vers le monde : ces deux partis extrêmes ont leurs avantages et leurs inconvéniens. Il me semble que le commerce des gens de lettres participe aux uns et remédie aux autres. La retraite, je l'avoue, est essentielle au travail. Eh! quel homme de talent n'en a pas fait l'expérience ? C'est dans des antres solitaires qu'Apollon rendoit autrefois ses oracles. Ses prétres crioient qu'on écartât les profanes au moment où ils alloient recevoir le Dieu. Ainsi, l'orateur, le poète, le grand écrivain, s'il attend et sollicite l'inspiration, fuit loin du séjour des villes, vers les demeures retirées et champêtres. A mesure qu'il s'en approche, les vaines rumeurs, les bruyantes frivolités, les tumultueuses distractions, les clameurs orageuses se perdent dans le lointain: il semble que tout se taise autour de · lui, et dans ce silence universel s'élève la voix du

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