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est désormais inanimée et impuissante; ta pensée restera froide sur le papier et ne passera plus dans l'ame d'autrui. Mais veux-tu ranimer la tienne? Ne perds point de vue ceux qui sont travailles du même feu qui doit t'agiter. Que ta force s'augmente de la leur ; que ce commerce soit pour toi ce que la nourriture du Gymnase et les exercices de l'arêne étoient pour les anciens athlètes ; et si l'instant de notre vie, suivant l'expression d'un ancien, n'est qu'une flamme passagère que les hommes se transmettent rapidement, comme autrefois couroient de main en main les torches des jeux sacrés, ainsi, parmi les écrivains et les artistes, passe d'une main à l'autre le flambeau de l'enthousiasme et celui de la vérité ces deux flambeaux immortels, dont l'un jette la lumière dans la nuit des préjugés et des erreurs, et dont l'autre nourrit l'ame des impressions de tous les arts et des plaisirs de la sensibilité.

Si le talent a besoin d'être soutenu dans ses travaux, lui seroit-il moins nécessaire d'être consolé dans ses afflictions? Plus l'ame est exercée, plus elle est sensible; celle des gens de lettres, à qui les objets n'arrivent que réfléchis par une imagination active et prompte, peut-elle n'être pas ouverte, plus que toute autre, aux impressions de la douleur? S'il est, comme on l'a prouvé, des maladies particulières aux Artistes, il est aussi des chagrins qui leur sont propres et que le monde ne peut guère ni plaindre ni adoucir,

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parce qu'il n'en a pas l'idée. Il en est (s'il est permis de le dire) il en est du talent comme de l'amour, qui ne confie volontiers ses peines qu'à ceux qui ont aime aussi; et peut-être les hommes ne savent-ils bien consoler que les maux qu'ils ont connus. Si je voulois prouver tout ce que l'amitié des gens de lettres peut apporter de secours, d'encouragemens et de douceurs dans une carrière semée d'écueils et troublée par les orages, le souvenir de ce que je dois à l'attachement de plusieurs d'entre vous, Messieurs me permettroit-il de citer un autre exemple que le mien? Avec quelle complaisance je reviendrois sur des traces si chères et toujours nouvelles dans mon cœur! Il n'est sans doute que deux sortes de bonheur dans la vie, de faire du bien et d'en recevoir. Mais la bienfaisance se tait et jouit dans le secret; la reconnoissance, au contraire, a cet avantage que, ne demandant qu'à se répandre, elle appelle tous les cœurs bien nés au partage de ses jouissances. Combien j'aimerois à leur peindre les consolations intimes qui relèvent l'ame au moment où elle s'affaisse, lui rendent le sentiment de sa force dont elle commençoit à douter, et rappellent l'espérance qui s'enfuyoit ! Que ne dirois-je pas de cette amitié noble et courageuse dont nulle insinuation maligne ne peut séduire l'oreille, dont nulle clameur calomnieuse ne peut étouffer la voix? Mais pour achever ce tableau que ma main se plairoit à tracer, il fau

droit у mêler des couleurs sinistres que j'inter dis à mes pinceaux, et que, dans un jour tel que celui-ci, Messieurs, on ne pardonneroit pas à la reconnoissance. Eh! que dis-je? puis-je; après tout, la mieux manifester qu'en écartant tous les souvenirs qui pourroient jeter quelque teinte d'amertume sur les impressions de bonheur et de joie dont vous attendez les témoignages? Puis-je enfin mieux remplir votre attente qu'en vous prouvant que cette sensibilité, quelquefois trop malheureusement employée à repousser l'in justice, s'épanche bien plus volontiers dans l'expression des sentimens doux et dans le récit des bienfaits?

Qu'il est rare', Messieurs, que la culture des lettres soit aussi paisible qu'elle est honorable! Qu'il est difficile d'illustrer sa vie sans la troubler, et d'élever pour les générations futures l'édifice du génie, sans qu'il soit, ou retardé, ou insulté, ou méconnu par la génération présente! Qu'il est doux d'obtenir la réputation en échappant a l'envie! Ce privilége si peu commun fut celui de l'Académicien à qui j'ai l'honneur de succéder. M. Colardeau, né avec le talent le plus heureux (et" puisque je devois être chargé de payer ce tributà sa mémoire, je m'applaudis de n'avoir qu'à réi péter les expressions dont je m'étois déjà servi à son égard); M. Colardeau marqua son premier essai de tous les caractères d'un poète. Une élégance facile et brillante, un sentiment exquis de

l'harmonie, cette imagination qui anime le style en coloriant les objets, cette sensibilité qui pé nètre l'ame en même temps que le vers charme l'oreille, enfin ce naturel aimable qui grave dans la mémoire des lecteurs les idées et les sentimens, et suivant l'expression de Despréaux, laisse un long souvenir; voilà ce que le public, enchanté d'avoir un poète de plus, remarqua dans l'épitre d'Héloïse, monument justement célèbre, que son auteur élevoit à vingt ans, morceau vraiment précieux, qui durera autant que notre langue, qu'on sait par coeur des qu'on l'a lu, et qu'on relit encore quand on le sait par cœur. Si les autres sujets que traita depuis M. Colardeau n'ont pas toujours été aussi heureusement choisis, on y retrouve du moins ce talent du style qui sé pare du langage vulgaire le langage qu'on a nommé celui des Dieux; et n'eût-il été connu que par cette charmante imitation de Pope, l'au teur d'Héloïse n'avoit pas besoin de plus de titres pour avoir droit à vos suffrages. Qui sait mieux que vous, Messieurs, qu'un seul ouvrage supérieur, fait pour consacrer un écrivain dans la postérité, le met infiniment au-dessus de tout ce qui n'est que médiocre, sur-tout depuis qu'il est si facile de l'être, depuis qu'il en coûte si peu pour composer des livres en décomposant d'autres livres, et pour aligner des vers en rejoignant des hémistiches.

Combien ces tristes ressources étoient loin du

talent de M. Colardeau ! La poésie sembloit être sa langue naturelle. Son extrême facilité à écrire en vers étonnoit tous ceux qui l'ont connu. C'est à cette facilité seule que nous sommes redevables de ses productions. Une composition difficile se roit devenue pour lui impossible. Une santé fragile et chancelante, présage hélas ! trop fidèle d'une carrière qui devoit être trop tôt bornée, lui avoit interdit de bonne heure tout grand travail, et une sorte d'indolence, qui peut-être étoit la suite de cette foiblesse d'organes, et qui tenoit d'ailleurs à des inclinations douces et sociales, ne lui permettoit de regarder la poésie que comme un amusement de plus. La simplicité de ses goûts et de ses mœurs l'attachoit aux plaisirs d'une société intime et confiante, et son ame sensible et naïve étoit faite pour l'amitié. Retiré au sein d'une famille respectable dont il étoit, pour ainsi dire, l'enfant d'adoption, il y vécut dans cet heureux commerce de soins mu tuels, si nécessaire pour lui faire oublier des maux qui renaissoient tous les jours, et une langueur qui devenoit incurable. L'égalité de son humeur n'en fut jamais altérée. Lorsque vos suffrages, qu'il n'avoit brigués que par son mérite, vinrent le chercher sur le lit de douleur qu'il ne quittoit presque plus, vous vous souvenez, Messieurs, de quelle joie pure il parut rempli, et combien l'expression en étoit aimable et touchante. On vous porta sa lettre de remercîment,

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