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et vous crûtes entendre le chant du cygne. Son ame sembloit se ranimer un moment pour la gloire et la reconnoissance; mais ce dernier rayon alloit bientôt s'éteindre dans la tombe, et son: nom inscrit dans vos fastes étoit donc tout ce qui devoit vous rester de lui! Il avoit traduit quelques chants du Tasse. Y avoit-il une fatalité attachée à ce nom? et faut-il que, pour la seconde fois, il n'ait pas été donné au Tasse de monter au Capitole !

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La perte que vous avez faite dans M. Colardeau, Messieurs, s'étend jusques sur son prédécesseur, qui sans doute auroit trouvé dans lui un meilleur panégyriste que moi. Mais quel homme de lettres n'aimeroit à célébrer le nom de Beauvilliers? A la gloire de ce nom, déjà si respectable par les vertus qu'il rappelle, M. le duc de Saint-Aignan joignit encore un nouveau lustre, celui des services qu'il rendit à sa patrie dans la dignité des ambassades et dans les difficultés des négociations. Il étoit jeune encore lorsqu'il signala dans l'Espagne les talens de la maturité; dans cette même contrée, où, depuis, deux autres de vos confrères, non moins recommandables par le rang et la naissance, ont porté, l'un dans les fonctions du commandement, l'autre dans celles d'ambassadeur, cette noble franchise qui se joint en eux aux agrémens de l'esprit et aux vertus bienfaisantes, cette loyauté françoise, héritage des anciens chevaliers, et qui devroit être aujourd'hui la politique

des grandes nations, comme elle est celle des grands cœurs.

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M. le duc de Saint-Aignan réunissoit les talens agréables à la connoissance des affaires et à une piété solide. Sa longue earrière fut marquée par cette sérénité constante qui accompagne la pratique des devoirs, et par cette gaieté douce qui naît de la paix de l'ame. Il avoit passé les années de sa jeunesse à la cour de Louis XIV, de ce monarque vraiment admirable, non pas tant peut être pour avoir reçu le nom de grand dans une époque de gloire et d'enthousiasme, que pour l'avoir conservé dans un siècle de philosophie; dẹ ce monarque dont les bienfaits envers cette académie ont achevé et ennobli le monument qui assure à la mémoire de votre fondateur la recon noissance des gens de lettres et de la nation. En avançant de l'âge mûr jusqu'à l'extrême vieillesse, M. le duc de Saint-Aignan traversa toute l'étendue d'un autre règne qui seroit assez recommandable à ce seul titre, que l'amour des François pour leur maître, caractère qui les a toujours distingués, semble avoir eu, sous. Louis XV, une expression plus marquée et plus éclatante. Mais s'il est jamais excusable, même après de nombreuses années, de se retourner vers la vie avec quelque regret, c'est sans doute lorsqu'on descend dans la nuit de la mort, au moment où se lève pour les peuples l'aurore du plus beau jour. M. le duc de SaintAignan, prêt à quitter la vie, a vu les premiers

momens de Louis XVI. Ici, Messieurs, je ne erains pas que mes louanges ne paroissent qu'une vaine cérémonie d'usage, ni même un simple tribut de reconnoissance pour les bienfaits que notre jeune Souverain a daigné répandre sur moi. Quel citoyen, quel patriote ne partageroit pas mes sentimens? Quel spectacle plus intéressant 'que la royauté et la jeunesse, que la vertu sur le trône, assise à côté des grâces! Je ne m'étendrai point sur tout ce que doit déjà la France à un prince de cet âge, qui n'a parlé aux peuples que pour leur assurer des soulagemens et des espérances, aux courtisans, que pour leur donner des leçons. Je ne m'arrête que sur un seul point, qui sans doutene vous aura pas échappé : c'est que sous le règne de Louis XVI l'autorité a pris un caractère qu'elle n'avoit pas encore eu, celui de la persuasion: heureux augure, s'il est vrai que le pouvoir ne consente à persuader que lorsqu'il est sûr de convaincre ! Ce grand caractère se retrouve aujourd'hui dans tous les actes de l'administration. Par-tout on y remarque le langage d'une raison supérieure, qui établit le bonheur des peuples sur des principes durables et sur la base de la législation. Dans la bouche d'un souverain, ce ton de bonté si aimable est un exemple fait influer sur tous les états, et que les pour meilleurs esprits s'empressent de suivre. Me serat-il permis d'observer que, dans le même temps, un grand prélat, assis parmi vous, qui honore le

premier siége de France par la supériorité de ses talens et de ses lumières, dans un écrit vraiment apostolique, fait pour ramener les esprits rebelles à la foi, ne leur a parlé qu'avec cette éloquence affectueuse et persuasive, avec cette tendresse paternelle, digne du ministre d'une religion bienfaisante, digne du Dieu de l'Evangile ? Oh! puissent s'étendre par-tout ces principes de douceur et d'indulgence, et que le règne de Louis XVI soit le règne de l'humanité ! qu'au milieu des orages de l'Europe, qui ébranlent les deux hémisphères, la paix soit le glorieux partage de cette monarchie, qui doit être toujours assez puissante, assez respectée pour ne se mouvoir qu'à son gré! C'est dans ce calme favorable que se maintiendra l'honneur des beaux-arts, ornemens de la prospérité. La France ne perdra point cette espèce de domination si glorieuse qu'elle a obtenue sur les peuples éclairés. La lumière des vrais talens ne s'éteindra point dans les ténèbres du mauvais goût. Si d'un côté l'on s'efforce de les épaissir, vous combattez de l'autre pour les dissiper. L'astre qui a long-temps éclairé les arts, se soutient sur le penchant de sa course, et brille encore à son déclin. Il survit à soixante ans de travaux, ce vieillard célèbre, le prodige du siècle qui l'a vu naître, et le désespoir des âges suivans, qui ne le verront point égaler. Ce n'est point ici sans doute, ce n'est pas dans ce Lycée, fait pour attester les richesses de la nature, que j'oserai douter de son

inépuisable fécondité. Mais peut-être ne lui estil pas donné de produire deux fois cet assemblage detous les dons de l'esprit, et, ce qui n'est pas moins rare, l'activité nécessaire pour les mettre tous en valeur. Peut-être aussi doit-elle être unique en tout genre, cette singulière destinée, qui, prolongeant au-delà des bornes ordinaires des jours si laborieux et si remplis, a mené ce grand homme sur les débris de quatre générations ensevelies, jusqu'à ce trône élevé par l'opinion toute puissante, d'où il exerce sur tous les peuples policés la dictature du génie. Il ne lui manque que d'entendre vos acclamations. Quel moment, Mėssieurs, si nous pouvions le voir, à la fin de sa carrière, jouir à-la-fois de sa gloire et de sa patrie! s'il pouvoit, sur ce théâtre qu'il a tant de fois embelli de ses chef-d'œuvres, s'avancer, courbé sous l'amas de ses couronnes, répondre par des larmes. de joie aux cris de la France assemblée, et plus heureux que Sophocle, survivre encore à son triomphe.

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