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Voltaire, avec une finesse piquante et qui réveille l'esprit à chaque instant. L'un dans sa marche se repose, s'arrête, mais vous aimez à vous arrêter avec lui; son repos a autant de charme que son mouvement; l'imagination rapide de l'autre vous entraîne, vous mène par des routes plus singulières et plus imprévues, qui par-là même deviennent plus courtes. La Fontaine semble conter pour lui-même; M. de Voltaire n'oublie jamais qu'il conte pour les autres. Tous deux sont peintres dans leurs récits, mais les traits de l'un ont plus de naïveté, et ceux de l'autre plus de force, Souvent La Fontaine indique le tableau, et M. de Voltaire le compose; leur gaieté ne se ressemble pas, leur grâce même est différente. Celle de La Fontaine a plus d'abandon, et pour ainsi dire plus d'oubli d'elle-même ; c'est celle de l'enfance ou de la beauté qui s'ignore; la grâce, chez M. de Voltaire, a plus de physionomie, et son charme, quoique naturel, semble plus fin; on voit qu'elle a reçu l'éducation de la société et des Cours. Enfin, quoique tous deux aient de la négligence, cette négligence n'est pas la même; dans La Fontaine, elle tient au caractère de son esprit comme de son ame, à une mollesse aimable, qui est plus enchantée du repos que de la gloire, et ne veut point acheter une perfection au prix d'un effort; dans M. de Voltaire, elle semble fixée par la chaleur même de son imagination, qui ne lui permet pas de s'arrêter, peint toujours de premier mouve

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ment, n'achève pas pour créer encore, et toujours plus pressé de produire, lui fait oublier l'idée qu'il vient de tracer pour la nouvelle idée qui le frappe, précipitant à-la-fois sa marche, son style, et son lecteur avec lui.

Mais si dans le conte et le récit familier ou plaisant, on peut lui opposer La Fontaine parmi nous, et l'Arioste chez les Italiens, qui peut-on lui comparer dans les poésies légères, et qu'on appelle de société? Il sembloit que la supériorité dans ce genre devoit appartenir de droit au siècle et à la Cour brillante et polie de Louis XIV. M. de Voltaire lui a enlevé cette gloire, et les Chaulieux, les Lafares, les Hamiltons, n'ont plus que le second rang. Ce qui le caractérise dans ces sortes d'ouvrages, ce n'est pas seulement la précision, l'élégance, la facilité, l'esprit, qualités communes à ses autres poésies comme à celles-là; c'est le choix le plus piquant et le plus fin de la langue familière, qui sous sa main acquiert la sorte de noblesse que la grâce donne; c'est l'heureux accord des images du poète avec le ton de la conversation la plus aimable; ce sont les tournures les plus imprévues, et comme des saillies d'imagination qui, outre le mérite de la surprise, ont encore celui du naturel, parce qu'on voit bien qu'elles ne sont que le mouvement et la marche de son genre d'esprit; c'est le tact le plus délicat de toutes les convenances; c'est dans la plaisanterie avec les grands et les femmes (deux sortes de puissances dans la

société) une hardiesse mesurée, et que le goût le plus sûr ne manque jamais d'avertir à temps du point où il faut s'arrêter; c'est enfin tout ce que l'art le plus réfléchi sembleroit devoir trouver à peine en le cherchant, et que M. de Voltaire laissoit tomber en se jouant, et presque sans y penser, de sa plume brillante et facile. Aussi la haine et l'envie, qui lui ont tout disputé, n'ont pas osé même lui disputer ce succès. Une fois, elles ont été forcées d'ètre justes. M. de Voltaire nous rappelle Alcibiade exilé et proscrit après des victoires, mais qui subjugua les Athéniens par ses agrémens.

Arrêtons-nous un moment, Messieurs, pour considérer ici d'une vue plus générale le sort de la poésie françoise, et les obligations qu'elle eut à cet homme célèbre. Parvenue à son plus grand éclat sous un règne où tout prit de la hauteur et de la dignité, elle parut à la fin s'obscurcir avec lui, comme si elle étoit destinée à suivre dans sa marche et danssa décadence la grandeur politique de l'état qui l'avoit vue naître. Peut-être qu'en effet le génie de la poésie a besoin d'un certain éclat de prospérité publique qui élève à la fois et enflamme les imaginations. Il faut que le Monarque, entouré du bonheur, puisse au moins fixer sur elle des regards sereins. Mais Louis XIV, dans la caducité de l'âge et du malheur, l'ame flétrie par les disgrâces et les chagrins, environné des tombeaux de ses enfans et des ruines de son royaume,

livré dans l'intérieur de ses Palais à cette tristesse solitaire d'un vieillard qui a perdu ses goûts, et d'un Roi qui survit à ses succès; Louis XIV, dans cet état, étoit bien loin des beaux jours de sa jeunesse où son ame heureuse s'ouvroit à tous les plaisirs des Arts comme à ceux de la grandeur, où il aimoit à ranimer d'un regard le génie éteint du vieux Corneille, et à reconnoître son cœur dans les peintures touchantes de Racine; où le Monarque indiquoit à Quinault le sujet et le plan d'Armide; où Molière persécuté mettoit le Tartuffe sous l'abri du trône. Ils n'étoient plus ces jours de plaisir et de gloire, où les chef-d'œuvres du génie servoient d'embellissement aux fêtes des héros. La poésie s'éclipsoit de toutes parts. Rousseau seul, par un grand talent dans un genre que le siècle de Louis XIV lui avoit laissé, et qui n'avoit point été cultivé avec succès depuis Malherbe, Rousseau, né pour l'harmonie et les images comme pour la pompe et la fermeté du style, seul, rappeloit encore le beau siècle qui s'étoit écoulé, et soutenoit la poésie dans cette décadence générale qui la menaçoit. La régence et les mœurs qui la suivirent, ne lui furent pas plus favorables, car la poésie, sans être austère, pour conserver tous ses charmes, veut de la liberté sans licence; elle a besoin que la sensibilité se mêle à l'amour, et la décence à la volupté. Dans le même temps, des hommes célèbres, plus distingués par leur esprit que par leur imagination, et trop accou

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tumés à mettre la finesse à la place du sentiment, formèrent entre eux une espèce de conjuration contre la poésie, ils la traïtèrent comme une usurpatrice qui s'étoit prévalue de l'enfance de la rai-son humaine, pour obtenir trop long-temps un 'empire et des droits qui ne lui appartenoient pas. Tout sembloit les seconder, leur mérite et leur considération personnelle, qui ajoutoit un nouveau poids à leur opinion; cette espèce de rivalité qui s'élève presque toujours entre un siècle fameux qui n'est plus et le siècle qui lui succède; la pente trop naturelle des hommes à se dégoûter de leurs plaisirs, et à moins estimer ce qu'ils possèdent; le besoin de chercher de nouveaux genres, par la difficulté d'égaler les grands hommes déjà ́ ́ connus; enfin, cet esprit général de philosophie et de raison, qui commençoit à devenir le caractère dominant du siècle; et l'on vouloit armer la raison contre la poésie, comme en politique on cherche à désunir des alliés qui ont besoin l'un de l'autre, et qui seroient sûrs de multiplier leurs forces en s'u^nissant.C'est au milieu de toutes ces circonstancès, qui sembloient devoir précipiter la chute de la poé sie françoise, que M. de Voltaire, presque seul, en a soutenu la gloire avec tant d'éclat. Pendant un demi-siècle, ce génie vigoureux l'arrêta sur le penchant de sa ruine. Il sut attacher, par le charme de ses vers, toutes les classes de lecteurs, offrant à chacune tout ce qui pouvoit lui plaire; aux femmes les agrémens et la molle facilité de leur

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