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reçu parmi vous, Messieurs. Les ombres des Corneilles, des Racines, des Despréaux, qui habitent 'ce sanctuaire, reconnurent l'héritier de leur talent, comme de leur gloire. La nation put voir dans cette assemblée M. de Voltaire assis auprès de Montesquieu, et l'auteur de Mahomet et de Zaïre près de l'auteur de Rhadamiste et d'Electre. Jour éclatant et à jamais célèbre dans vos fastes! magnifique adoption qui dut rappeler ces temps où, dans l'ancienne Rome, en présence de tout le peuple, la famille des Scipions adopta le sang de Paul Emiles, et où des deux côtés on voyoit les triomphes s'allier avec les triomphes! Dans ce jour solennel, M. de Voltaire, en échange de l'honneur qu'il reçut de vous, vous apporta le tribut de quarante ans de gloire qu'il avoit déjà acquise, et qui pendant trente années encore devoit s'accroître sans cesse par les travaux et les succès de ce génie infatigable. Cette gloire s'est réfléchie sur yous toute entière, Messieurs. Je ne crains pas de le dire, ce grand-homme a illustré l'ouvrage et la fondation de Richelieu; il a payé à Louis XIV la dette de l'académie par l'histoire de son siècle; il a été le panégyriste des succès éclatans qui ont marqué la première partie du règne de Louis XV. Qui mieux que lui auroit célébré le règne et le gouvernement de Louis XVI, et cette époque à la fois d'humanité pour le peuple et de grandeur pour l'état, où l'on voit d'un côté l'économie la plus sévère dans l'administration des finances, de

l'autre l'usage le plus noble des dépenses publiques; les trésors dérobés aux besoins dévorans du luxe, pour être versés dans nos ports et sur nos chantiers; ces ports, si long-temps déserts, repeuplés par nos vaisseaux; l'émulation renaissant sur les mers; et la France reprenant par degrés, dans l'Europe, la place que lui assigne sa grandeur naturelle, place à laquelle elle sera toujours sûre de remonter quand elle le voudra, et que la France seule, pour quelques momens, peut faire perdre à la France? C'est à vous, Messieurs, qui tenez dans vos mains les crayons de la poésie et ceux de l'histoire, à peindre à la postérité ces événemens et les orages de la grande révolution qui bientôt doit changer les intérêts des deux mondes. Pour moi, j'aime à vous retracer les qualités personnelles de notre jeune Souverain; ce goût pour là vérité, marque d'un esprit juste et d'une ame droite qui ne craint pas de fixer ses regards sur elle-même; cet éloignement du faste, qui est un garant de plus pour le bonheur du peuple, et un engagement avec soi-même pour avoir une gran deur réelle et qui tienne aux sentimens ; la simplicité dans les manières, jointe à la franchise des vertus; l'austérité contre les vices et l'indulgence pour les défauts; la confiance noble et tendre dans la vieillesse expérimentée, confiance qui honoré également le roi qui la donne et le ministre qui l'inspire; une ame enfin dont tous les premiers mouvemens sont heureux; qui, pour faire le

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bien,n'a besoin que de n'être pas contredite dans ses désirs; en qui jusqu'aujourd'hui on na pu surprendre aucun des défauts ni de son âge ni de son rang, et qui dans la première jeunesse orne la majesté du trône par celle des mœurs.

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Vous m'entendrez avec plaisir quand je vous parlerai d'une reine sensible à tous les arts que vous cultivez, qui a plus d'une fois honoré de ses larmes les chef-d'œuvres du génie représentés devant elle, comme elle sait en verser à l'aspect des malheureux qu'elle soulage; devenue plus chère à la France par ce gage heureux de fécondité, qui annonce encore un plus grand bonheur à la nation, et par cette humanité si douce qui dernièrement a substitué des bienfaits à une vaine pompe, et n'a voulu d'autre fête dans Paris, que le spectacle attendrissant de l'hymen couronnant la jeunesse et l'innocence dans cent familles indigentes et honnêtes.

Mais où puis-je mieux consacrer que dans le sanctuaire des lettres et en votre présence, Messieurs, ma reconnoissance éternelle pour le prince qui a daigné m'attacher à lui par un titre encore plus cher pour moi que ses bienfaits? C'est à ce titre que je dois l'honneur d'avoir vu de plus près ce goût de l'occupation et de l'étude, si rare sur le premier degré du trône, et qui remplit si bien les vides de la grandeur; toutes les connoissances qui conviennent à un prince, embellies de tous les agrémens naturels de l'esprit, et ces grâces du ca

ractère auxquelles les cours, et les François surtout, aiment à reconnoître les vertus. C'est lui, Messieurs, qui dans l'obscurité de ma retraite a daigné encourager mes foibles travaux : son suffrage m'a enhardi à solliciter les vôtres. Le sentiment le plus doux de mon cœur est de pouvoir unir dans ce moment ce que je dois aux bontés dont ce prince m'honore, et ce que je dois au corps littéraire le plus distingué de l'Europe qui a bien voulu m'adopter. Le travail de toute ma vie, je le répète, sera de me rendre digne de ce double honneur. Pour y parvenir j'aurai sans cesse à mes côtés l'image de l'homme célèbre que vous regrettez, et qu'avec des crayons imparfaits j'ai tâché du moins de vous peindre. Et si je puis faire encore quelques pas dans une des carrières où il s'est couvert de tant de gloire, je lui dirai, comme un des moins dignes successeurs d'Alexandre auroit pu dire aux pieds de la statue de ce conquérant: «O grand - homme! la nature veut que ton empire soit divisé. Il faut que la foiblesse humaine se partage le fardeau que ta main soute<< noit. Permets à un soldat de tenter la conquête << d'une de tes provinces, et que son nom s'enno<< blisse à jamais, placé, même dans une grande << distance, à la suite du tien!»>

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DE L'ANCIENNE CHEVALERIE,

Par M. DE CHAMFORT;

Dans le discours qu'il prononça le 19 juillet 1781, lorsqu'il fut reçu à la place de M. DE SAINTE

PALAYE.

Il me semble, Messieurs, vous enten dreme demander compte de l'ouvrage auquel M. de SaintePalaye dut sa célébrité; de cet ouvrage dont sa présence ou même son nom seul rappeloit constamment l'idée, je parle de ses travaux sur l'ancienne chevalerie; il en avoit fait l'objet de ses études favorites. Ces mœurs brillantes et célèbres, ces hauts faits, ces aventures, ces tournois, ces fêtes galantes et guerrières, ces chiffres, ces devises, ces couleurs, présens de la beauté, parure d'une jeunesse militaire; ces amphithéâtres ornés de Princes, de Princesses; ces prix donnés à l'adresse ou au courage; ce second prix, plus recher ché que le premier, nommé prix de faveur, et décerné par les dames quand le chevalier leur étoit agréable; ces jeunes personnes dont la naissance relevoit la beauté, ou plutôt dont la beauté relevoit la naissance, et qui ouvroient la fête en récitant des vers; ces dames, qui d'un mot arrêtoient à l'entrée de la lice le discourtois chevalier

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