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que pour pardonner les injures, soulager l'infortune et protéger l'innocence calomniée, lorsque le mensonge est dans toutes les bouches, et que la crainte a laissé la vérité sans défenseurs. C'est pour les rois dépourvus de lumières, que l'ivresse du pouvoir est dangereuse. Aux yeux d'un prince éclairé, qu'est-ce donc que la puissance souveraine, sinon un devoir immense, pénible même, lorsque le sentiment du bien qu'il a fait ne vient pas le consoler? Peut-être le courage de la vertu est-il moins nécessaire aux rois qu'un esprit juste et les lumières. Dans tous les hommes, l'ignorance est la source la plus féconde de leurs vices: mais 'c'est sur-tout pour les hommes revêtus d'un pou voir suprême, que cette vérité est incontestable; c'est pour eux sur-tout qu'il est vrai que l'intérêt personnel et la justice, leur bonheur et celui de leurs concitoyens, sont liés par une chaîne indissoluble. Eux seuls peuvent opposer aux foibles intérêts de leurs passions, et l'opinion de l'univers, dont l'oeil inquiet et sévère les observe et les juge, et la destinée de tout un peuple attachée à un instant d'égarement ou de foiblesse.

Parmi les philosophes qui ont regardé le progrès des lumières comme le seul fondement sur lequel le genre humain pût appuyer l'espérance d'un bonheur universel et durable, plusieurs ont cru que ces mêmes progrès pouvoient nuire à ceux des lettres et des arts; que l'éloquence et la poésie lan

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guiroient dans une nation occupée de sciences, de philosophie et de politique.

Cependant les principes des arts sont le fruit de l'observation et de l'expérience; ils doivent donc se perfectionner, à mesure que l'on apprend à observer avec plus de méthode, de précision et de finesse.

Les hommes, en s'éclairant, acquièrent plus d'idées, et ces idées sont plus justes; les nuances qui séparent les objets deviennent à la fois plus fines et plus distinctes. Les langues doivent donc alors se perfectionner et s'enrichir; car leur véritable richesse ne consiste pas dans le nombre des mots qu'elles emploient, mais dans l'abondance de ceux qui expriment avec précision des idées claires. Elles seront, il est vrai, moins hardies et moins figurées. L'orateur, qui ne demande que des applaudissemens, ou qui cherche à séduire, pourra se plaindre de l'austérité ou de la séche resse des langues; mais elles offriront un instrument plus flexible et plus parfait à celui qui ne voudra qu'éclairer les hommes.

Les lumières doivent également influer sur le talent même; elles l'étendent et l'agrandissent. Voyez Voltaire méditant un grand ouvrage : il rassemble autour de lui, et tout ce qu'une lecture immense lui a révélé des secrets de la nature, et les trésors qu'il a puisés dans l'histoire, et l'étude profonde qu'il a faite des opinions et des mœurs ; il semble 'n'oser lutter seul contre les difficultés

de son sujet ; et s'il a été si grand, s'il est unique jusqu'ici dans l'histoire des lettres, c'est qu'il a joint à un désir immense de gloire une soif inépuisable de connoissances, et qu'il a su réunir sans cesse l'étude au travail, les lumières au génie.

La justesse de l'esprit s'accroît par la culture des sciences; et elle est si nécessaire dans les arts, que ces hommes rares, en qui la justesse de l'esprit ne frappe pas moins que la supériorité du talent, sont les seuls qui aient été placés au premier rang par la voix unanime de tous les peuples. Cette justesse est peut-être même la seule qualité qui distingue le grand - homme que nous admirons, de l'homme extraordinaire qui ne fait que nous étonner.

Instruits à ne mesurer notre estime que sur l'utilité réelle, nous ne regarderons plus les beaux-arts que comme des moyens dont la raison peut et doit se servir pour pénétrer dans les esprits et pour étendre ses conquêtes; ces arts, soumis à des lois plus sévères, proscriront ces beautés de convention fondées sur des erreurs antiques, sur des croyances populaires : mais ils les remplaceront par des beautés plus réelles, que l'austère vérité ne désavouera plus. Si des esprits frivoles croient voir dans ce changement la décadence des arts, le philosophe y reconnoîtra l'effet infaillible du perfectionnement de l'esprit humain. Nous y perdrons peut-être quelques vains plaisirs; mais

l'homme doit-il regretter les hochets de son enfance?

nuances,

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Loin que les progrès de la raison soient contraires à la perfection des beaux-arts, si ces progrès pouvoient s'arrêter, si nous étions condamnés à ne savoir que ce qu'ont su nos pères, ces arts seroient bientôt anéantis: car puisqu'ils sont fondés sur l'imitation, comment pourroient-ils ne -pas s'arrêter, ne pas déchoir, si les objets qu'ils doivent peindre ne se multiplioient pas sans cesse, si, toujours plus observés et mieux connus, ces objets ne présentoient pas au génie de nouvelles des combinaisons nouvelles? Pourquoi le règne de l'éloquence et de la poésie a-t-il été si court dans la Grèce et dans Rome? c'est que celui des sciences n'y a pas été prolongé. Leurs poètes, à qui la philosophie ne fournissoit plus d'idées nouvelles, ne furent bientôt que des imitateurs foibles ou exagérés des anciens poètes; leurs littérateurs ne surent que commenter dans des phrases cadencées avec art, les maximes de l'académie ou du portique. L'empire des lettres sera plus durable parmi nous, parce que chaque âge, marqué par des vérités nouvelles, ouvrira au talent du poète ou de l'orateur de nouvelles sources de beautés. Ces grands phénomènes, qui ont frappé les regards des premiers hommes et réveillé le génie des premiers inventeurs des arts, n'offriroient à leurs successeurs que des peintures usées qu'il ne seroit plus au pouvoir du talent

d'animer ou de rajeunir, si les philosophes, en déchirant le voile dont les fables et les systèmes ont si long-temps couvert la vérité, n'avoient montré aux yeux des poètes un nouveau monde agrandi par leurs découvertes. Dans des siècles livrés à l'erreur, Ovide et Lucrèce ont embelli des couleurs de la poésie les systêmes de Pythagore et les rêves d'Epicure. La loi éternelle de la nature nous est-elle enfin révélée? Voltaire saisit ses pinceaux; il peint, avec la palette de Virgile, le tableau de l'univers tracé par le compas de Newton.

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