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où ces têtes royales se sont livrées à cette épreuve, effrayante pour ceux même qui l'avoient désirée, malgré ta profonde conviction de ses avantages, oui, j'ose l'assurer, toi-même aurois tremblé. Et vous, Princes, notre plus cher espoir, recevez nos justes actions de graces, pour avoir donné un exemple salutaire à la nation, encore plus, pour avoir rassuré sa tendresse alarmée; c'est être doublement ses bienfaiteurs.

Quand M. de la Condamine n'auroit eu d'autres titres que ceux que je viens de rappeler, l'Académie françoise s'honoreroit à jamais de voir son nom sur sa liste, mais il avoit des droits plus immédiats à une place dans ce corps illustre.

Il fut un de ceux qui embellirent les sciences par les charmes du style, genre de mérite dont M. de Fontenelle avoit donné l'exemple. A l'exception" de Descartes et de Mallebranche, qui avoient écrit sur les sciences avec plus d'imagination que de grace, la plupart de ses prédécesseurs les avoit hérissées d'un style barbare; ils s'étoient, pour ainsi dire, placés à l'entrée de leur temple, comme pour effrayer ceux qui voudroient en approcher; c'étoient des dragons qui gardoient les pommes d'or. M. de Fontenelle les humanisa, leur donna un air de popularité noble; leur sanctuaire fut ouvert sans être profané, et bien différens des mystères de la théologie payenne, qui perdoient les hommages du public dès qu'ils étoient divulgués, leurs mystères exposés aux yeux des hom

mes, ne firent qu'acquérir de plus nombreux et .de plus respectueux adorateurs.

Aussi ce philosophe aimable fut-il un des premiers que l'Académie françoise disputa à l'Académie des sciences. Plusieurs autres ont eu depuis le même honneur; et comme autrefois la capitale du monde adoptoit des citoyens dans toutes les parties de l'univers, ainsi, Messieurs, vous vous faites gloire de choisir dans toutes les sociétés littéraires, les ornemens de la vôtre. Sur votre liste, on lit encore les noms de deux hommes célèbres, également honorés de votre adoption. L'un, après -avoir sondé les profondeurs de la nature par la pénétration de son génie, en a égalé l'abondance par la richesse de son style, et la magnificence, par la pompe de ses images; l'autre, descendu des hauteurs de la géométrie, a déployé à nos yeux la marche et l'enchaînement des sciences, avec une éloquence digne d'elles, et avant lui, -presqu'inconnue d'elles; et dans ses pensées, dans ison style, a joint le courage et la précision spartiate à l'élégance et à la finesse attique.

;. M. de la Condamine mérita d'être doublement leur confrère: ses connoissances étoient vastes, son style avoit de la pureté, de la noblesse, et une sage sobriété d'ornemens: il cultiva même la poésie, cet art enchanteur, dont la séduction a de tout temps dérobé quelques momens aux plus grands philosophes, à Platon, parmi les anciens; -à Leibnitz, parmi les modernes ; ici même, quel

que temps avant sa mort, le public entendant des vers de sa composition, lui donna avec un plaisir mêlé de regrets, des applaudissemens qu'il étoit doublement malheureux de ne pouvoir entendre, mais dont l'amitié l'avertissoit, et qui, perdus pour ses oreilles, ne l'étoient pas pour son cœur. Dans la société il laissoit échapper des vers aima bles, dont la gaieté, la facilité doivent désarmer la critique, sur-tout quand ils ne s'annoncent que comme les délassemens d'occupations plus importantes. Lorsque dans une riche et fertile moisson, on rencontre quelques fleurs, on n'exige pas qu'elles aient les couleurs ni les parfums de celles qu'on cultive dans nos parterres.

Ses derniers jours payèrent par différentes infirmités les travaux de ses premières années. Celle qu'il souffroit le plus impatiemment étoit sa surdité, parce qu'elle contrarioit sa passion favorite. Ceux qui savoient la cause de son état ne pouvoient le voir sans un sentiment de respect. J'ai vu moi-même, Messieurs, quelque temps avant sa mort, ce philosophe, victime de son zèle pour les sciences, avec cette sorte de vénération qu'inspire la vue de ces guerriers mutilés au service de l'Etat. Cependant la source de ses infirmités en étoit le dédommagement. Dans l'honorable repos de sa vieillesse il revoyoit en esprit cette riche variété d'objets qu'il avoit vue des yeux.

Mais sa plus douce consolation, c'étoit l'attachement de sa digne épouse: si jamais l'hymen

est respectable, c'est sur-tout lorsqu'une femme jeune adoucit à son époux les derniers jours d'une vie immolée au bien public. La sienne aimoit en lui un mari vertueux, elle respectoit un citoyen utile. Cette impétuosité inquiète, qui dans M. de la Condamine ressembloit quelquefois à l'humeur, loin de rebuter sa tendresse, la rendoit plus ingénieuse. Elle le consoloit des maux du corps, des peines de l'esprit, de ses craintes, de ses inquiétudes, de ses ennemis et de lui-même ; et ce bonheur qui lui avoit échappé peut-être dans ses courses immenses, il le trouvoit à côté de lui, dans un cœur tendre, qui s'imposoit, par l'amour constant du devoir, ces soins recherchés qu'inspire à peine le sentiment passager de l'amour.

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A sa prière, M. de la Condamine avoit commencé d'écrire sa vie. On doit regretter qu'il n'ait pas achevé. Ses récits auroient eu, avec la bonne-foi de l'histoire, l'intérêt du roman. Sa vie fut féconde en aventures, qui presque toutes prenoient leur origine dans la trempe singulière de son caractère; car l'empire du hasard est moins étendu qu'on ne pense, et les événemens extraordinaires ne cherchent guère les ames communes. Pouvoient-ils manquer à un homme qui fut toute sa vie le chevalier et quelquefois le héros de la philosophie et de l'humanité?

Le même enthousiasme et la même curiosité qui lui avoient fait si souvent exposer sa vie, ont avancé sa mort: il l'a vue s'approcher, je ne dis

pas avec intrépidité, mais j'oserois presque dire avec distraction. Ce n'étoit point l'incrédulité stu pide qui cherche à s'étourdir sur ce dernier moment, c'étoit l'inattention d'un homme ardent dont l'ame se prend et s'attache jusqu'au dernier soupir, à tout ce qui l'environne, qui se hâte de vivre, et dont l'activité n'a fini qu'avec lui.

Tel je me suis représenté cet homme célèbre, Messieurs, beaucoup mieux peint sans doute par le digne secrétaire de l'Académie des sciences, qui ayant à caractériser dans le même homme, un écrivain et un philosophe, s'en est acquitté en philosophe plein de lumières, et en écrivain éloquent.

Si notre Héros commun eut des connoissances plus étendues que profondes, s'il eut dans l'esprit plus de cette activité avide qui s'élance vers plusieurs objets, que de cette pénétration patiente qui s'attache jusqu'au bout à l'objet dont elle s'est une fois saisie; si enfin d'autres ont laissé des découvertes plus sublimes à la philosophie, personne n'a laissé de plus grands exemples aux philosophes.

Plus je sens vivement son mérite, Messieurs, plus je dois être étonné d'occuper sa place. Sans doute vous avez voulu par cet exemple encourager nos écrivains à puiser dans ces mines fécondes de l'antiquité, que le bel esprit moderne a trop abandonnées. Quels étoient donc ces hommes, qui, après tant de siècles, font encore la réputation de

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