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mières sont le secours le plus efficace que cet empire puisse recevoir de ses alliés ; et l'art des négociations, qui a été si long-temps l'art de tromper les hommes, sera dans vos mains celui de les instruire et de leur montrer leurs véritables intérêts.

Ainsi, cette fausse politique qui fondoit la prospérité d'un peuple sur les malheurs ou l'ignorance des Nations étrangères, a dû disparoître avec la fausse philosophie qui vouloit trouver dans les erreurs populaires la source de notre bonheur et de nos vertus. Une philosophie plus vraie, plus noble, plus conforme à la nature, s'est élevée sur les ruines de ces vaines opinions que le mépris pour l'espèce humaine avoit enfantées, et qui ont flatté trop long-temps l'ignorance et la corruption des hommes puissans. Une lumière nouvelle s'est répandue, et tandis que ceux qu'elle éblouit ne se lassent point d'en prédire les funestes effets, déjà des rives de la Delaware aux bords du Danube, vingt peuples applaudissent au bien qu'elle a fait.

Mais puis-je m'arrêter à vous parler des progrès de la raison, lorsque tout me rappelle que nous avons à gémir sur les pertes qu'elle a éprouvées?

Le grand homme que vous remplacez, et à qui votre amitié juste et courageuse vient de rendre un si noble hommage, fut un des plus dignes appuis de la raison, par son génie, par son caractère et par ses vertus.

Au sortir de l'enfance, entraîné vers la vérité

par un instinct irrésistible, il se dévoua tout en

tier à ces sciences où elle règne sans partage, et bientôt il en eut reculé les limites. Si je me bornois à vous citer les problêmes importans qu'il a: résolus, les questions épineuses et difficiles qu'il a éclaircies, les méthodes qu'il a inventées ou perfectionnées, les vérités dont il a enrichi le calcul intégral, l'instrument le plus universel et le plus utile que l'esprit humain ait inventé dans les sciences, j'aurois peint un grand géomètre; mais ces traits lui seroient communs avec d'autres hommes qui ont illustré notre siècle. Ce qui caractérise sur-tout M. d'Alembert, c'est d'avoir inventé un nouveau calcul nécessaire aux progrès des sciences physiques, tandis que les calculs de Newton et de Leibnitz sembloient avoir atteint le terme des forces de l'esprit humain; c'est d'avoir saisi dans la nature un principe général et nécessaire, auquel tous les corps sont également assujettis, et qui détermine leurs mouvemens ou leurs formes, dès qu'on connoît les forces qui agissent sur leursélémens; c'est d'avoir tracé le premier la ligne que l'axe de la terre décrit dans les Cieux, et cal-, culé les causes qui, en le balançant dans l'espace, lui font accomplir sa longue période, dont elles conservent la lente et paisible uniformité; c'est enfin d'avoir illustré son nom par plusieurs de ces grandes découvertes qui survivent aux ouvrages de ceux qui les ont produites, et sont éternelles comme les lois de la nature dont elles ont révélé le secret.

Les sciences se tiennent par une chaîne qui unit chacune d'elles à toutes les autres; et au point où elles se rapprochent, elles se prêtent des secours mutuels. Souvent les mathématiques ne peuvent attendre que d'une saine métaphysique la solution des difficultés qu'elles présentent: tandis que la métaphysique a besoin de la science du calcul pour ne point s'égarer dans ses méditations sur la nature de la matière ou du mouvement, et ne peut recevoir que de la géométrie la foible lumière qui lui permet d'entrevoir quelques objets dans l'abîme de l'infini. Philosophe autant que géomètre, M. d'Alembert sut tirer une partie de sa gloire de ces recherches qui ont été si souvent l'écueil des métaphysiciens, et même des géomètres. Il a, le premier, appris aux mathématiciens à douter des principes du calcul des probabilités, sur lesquels ils appuyoient avec trop de confiance leurs savantes théories. La philosophie lui doit la preuve de cette grande vérité, que les lois de la mécanique sont une suite nécessaire de la nature des corps. Souvent il a expliqué aux géomètres des paradoxes où le calcul de l'infini les avoit conduits; tandis que, développant aux philosophes la nature de l'infini géométrique, il les familiarisoit avec cette idée qui étonne toujours notre foiblesse, et l'a si souvent confondue.

L'étude des lettres, qui n'avoit été long-temps que le délassement de M. d'Alembert, devint pour lui une ressource nécessaire, lorsque ses organes

affoiblis ne purent soutenir sans fatigue cette attention forte et continue qu'exigent les méditations mathématiques son génie, comme il l'a prouvé dans ses derniers ouvrages, étoit toujours capable des mêmes efforts; mais il ne pouvoit plus les prolonger si long-temps. Nommé alors secrétaire de cette Académie, il la regarda comme une nouvelle patrie à laquelle il se dévoua tout entier; les plus petits détails de ses fonctions étoient chers et importans à ses yeux; il savoit y plier, sans contrainte et sans dégoût, ce génie qui avoit créé des sciences nouvelles, et franchi l'espacé sur le bord duquel Newton s'étoit arrêté. Il croyoit qu'une société d'hommes de lettres, chargés des intérêts de la raison, comme de ceux de la littérature, devoit, avec un courage égal, opposer une barrière au mauvais goût qui dégrade l'esprit humain, et aux préjugés qui l'égarent ou l'abrutissent; et il veilloit avec un zèle infatigable, pour que les choix, les jugemens, les démarches de la compagnie dont il étoit l'organe, répondissent à une destination si noble et si utile.

Combien de fois l'avons-nous entendu dans ces assemblées, tantôt combattre les préjugés littéraires avec les armes d'une philosophie sage et lumineuse, tantôt accabler les ennemis de la raison sous les traits de l'éloquence ou de la plaisanterie, n'employant que les ménagemens qui étoient utiles à la cause de la vérité, évitant avec adresse de soulever contre elle les esprits timides

ou prévenus, mais dédaignant les clameurs dont lui seul étoit l'objet, et bravant avec courage cette foule impuissante d'ennemis et d'envieux que

vertus et les talens traînent à leur suite?

les

Il existe, dans la littérature et dans la philosophie, un nombre beaucoup plus grand qu'on ne croit d'opinions qui se transmettent d'âge en âge, qu'on regarde comme certaines, parce qu'on les a toujours crues, dont on a mille fois prétendu donner des preuves, et que jamais on n'a examinées. M. d'Alembert se plaisoit à combattre ces opinions, à les montrer telles qu'elles étoient, dénuées de tout ce que le temps, l'autorité, l'habitude leur avoient donné d'imposant. Lui reprochera-t-on de n'avoir pas toujours substitué à ces opinions, les vérités dont elles tenoient la place? C'est avoir éclairé les hommes, que de leur avoir appris à douter; et pour qu'ils marchent librement vers la vérité, il faut commencer par en débarrasser la route, des erreurs ou des opinions qui empêchent de la reconnoître ou de la suivre.

Le zèle de M. d'Alembert pour l'Académie, lui fit entreprendre d'en continuer l'histoire, mais sur un nouveau plan, et avec des vues plus profondes. L'éloquent et généreux Pélisson, le savant abbé d'Olivet, s'étoient bornés à raconter avec simplicité les principaux événemens de la vie des académiciens, et à rapporter quelques anecdotes sur leurs ouvrages. Mais M. d'Alembert a senti que l'histoire des écrivains célèbres ne doit

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