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mens. Ses espérances ne furent point trompées. Profondément saisi, comme on l'est dans le premier âge, d'amour pour les vertus touchantes de l'archevêque de Cambrai, et d'admiration pour les vertus héroïques de Saint Louis, il s'annonça par leur éloge. Dès-lors il vit l'Académie françoise l'accueillir et l'encourager. La distinction dont elle honora son premier essai lui concilia la bienveillance d'un prélat digne, par les qualités de son ame, du nom chéri de Fénélon. L'Académie fit plus encore; ayant daigné porter ses sollicitations au pied du trône en faveur du jeune panégyriste de Saint Louis, elle obtint pour lui, de la bonté si naturelle au feu Roi, une grâce marquée'; et si depuis, avec plus de calme, de courage et d'émulation, le disciple qu'elle avoit en quelque sorte adopté par ses bienfaits, a pu se livrer aux pénibles travaux du ministère évangélique, c'est uniquement à ce corps illustre qu'il en est redevable, et c'est son propre ouvrage que l'Académie achève aujourd'hui, en lui accordant la plus glorieuse des récompenses littéraires.

Tel est, Messieurs, le point de vue attendrissant sous lequel j'envisage dans ce moment l'Aca démie. Que d'autres se la représentent comme l'un des grands monumens de la gloire du cardinal de Richelieu, de ce ministre qui mesura tous les empires, calcula leurs forces, leurs intérêts, leurs rapports; apprit aux Souverains le danger des victoires qui affoibliroient trop un ennemi ou

fortifieroient trop un allié, rendit désormais impossibles les anciennes révolutions des conqués rans, et acquit des droits à l'éternelle reconnoissance du genre humain, en fondant sur l'équilibre des puissances la grande société des nations. Que d'autres voient dans ce sanctuaire du goût le tribunal de la langue, le trésor public de la littéra ture, où chaque écrivain apporte le fruit de ses études et de ses veilles, et au milieu d'une Nation spirituelle et cultivée, la plus précieuse élite des talens répandus dans toutes les classes de la scciété. Que d'autres contemplent ici avec une admiration patriotique, des écrivains dont les ouvrages, composés avec un art qui n'est connu qu'en France, ont fait de Paris la capitale des lettres, et ont imposé à toute l'Europe la nécessite d'étudier notre langue, qui éclaire et rallie aujour d'hui tous les peuples. Que d'autres enfin se plaisent à distinguer sur votre liste des noms destinés à perpétuer ce long héritage de gloire qui honore l'esprit humain. Pour moi, Messieurs, ma reconnoissance élève encore plus haut mes pensées. Je me trouve ici au milieu de mes bienfaiteurs. Je considère l'Académie françoise comme le foyer de l'émulation, le patrimoine du génie, l'asile et le centre commun de toutes les espérances des gens de lettres, le conseil de l'opinion publique pour les encouragemens dus aux jeunes littérateurs, et les écrivains illustres qui la composent, comme les protecteurs naturels des talens naissans.

Mais en mesurant ainsi l'étendue de votre gloire, Messieurs, combien dans ce moment je me sens abaissé moi-même! Combien plus encore ! lorsque je me retrace les grands hommes qui ont été assis dans ce sanctuaire, et qui, dans la carrière de F'éloquence où je suis entré, ont fait parmi nous, de la tribune sacrée, la digne rivale de la tribune antique. Je ne puis me livrer aux sentimens dont me pénètrent comme vous, Messieurs, la simplicité majestueuse et la véhémence prophétique de Bossuet, l'attrait irrésistible et doucement victorieux de Massillon, l'onction céleste de Fénélon: mais une réflexion à laquelle je ne dois point me refuser, c'est qu'abstraction faite de leurs talens oratoires, au seul titre de moralistes, ils méritent éminemment les respects et la reconnoissance du genre humain. Je la fais cette observation dans un moment où l'on recueille parmi nous avec tant de magnificence les préceptes moraux des écrivains du paganisme; et j'ose dire non-seulement que si l'on compare leurs maximes à la morale de l'évangile, qui, par la divinité de sa source est au-dessus de toute comparaison, mais que si l'on rapproche, sous un rapport purement litté raire, Confucius, Epictète, Sénèque, Marc-Aurèle lui-même, de vos orateurs de Meaux, de Cambrai, de Clermont, l'on sera forcé d'avouer que, par la connoissance du cœur humain, par la peinture des mœurs, par la honte qu'ils attachent au vice, par le charme qu'ils donnent à la vertu, par

le style enfin, par le génie, par l'éloquence avec laquelle ils plaident la cause de l'humanité souffrante, nos orateurs françois sont encore au-des sus de tous les sages de l'antiquité.

Je m'aperçois, Messieurs, que des objets si attachans et si intéressans pour moi suspendent trop long-temps l'hommage que je dois ici à l'homme illustre dont je viens occuper la place, et je me sens d'autant plus pressé de m'acquitter de ce devoir au nom des lettres, que la voix publique, devenue si favorable à M. de Pompignan au moment de så mort, n'a pas toujours été aussi juste envers ses écrits, qu'elle l'est envers sa mémoire. Il semble que la renommée ne se plaise à célébrer que des ombres. M. de Pompignan, dont le rare mérite étoit, pendant sa vie, une espèce de secret pour une partie de la nation, a fondé sa réputation sur des titres aussi variés que durables. En effet, avoir possédé une littérature vaste et féconde, et réuni à une connoissance approfondie de l'hébreu, du grec, du latin, de l'espagnol, de l'italien, de l'anglois, le talent d'écrire en vers et en prose dans sa propre langue, la plus difficile de toutes; avoir allié une érudition immense aux dons de l'imagination, et mérité des succès éclatans au théâtré, dans les tribunaux, dans les Académies; avoir su passer des plus hautes conceptions de la poésie aux recherches de l'histoire, aux méditations de la morale, aux calculs de la géométrie, aux défrichemens même de la science

numismatique; avoir parcouru tous les domaines de la littérature, et s'être mesuré tour à tour par des tentatives plus d'une fois heureuses, avec Virgile et Racine, Pindare et Rousseau, Boileau et Horace, Anacréon et les commentateurs de la langue des Grecs; avoir ajouté à cette variété de connoissances et de talens les lumières d'un jurisconsulte, souvent même les vues d'un homme d'Etat; enfin, avoir couronné par de bonnes actions une carrière si honorable, et consacré les travaux d'un homme de lettres et les vertus d'un citoyen, par les principes et les motifs de la religion: tel est, Messieurs, le tableau que présente la vie de l'écrivain justement célèbre, qui entre aujourd'hui dans la postérité.

Né avec des talens distingués, et avec ce désir de renommée qui les accompagne toujours, M. de Pompignan fit des études solides et brillantes sous le célèbre père Porée, dont le nom, cher aux lettres, passera infailliblement à la postérité avec ceux des grands hommes qu'il eut pour disciples, et dont il étoit si digne de cultiver l'esprit et de former le goût. Il avoit à peine atteint sa vingtdeuxième année, lorsque son génie, inspiré par le génie de Virgile, enrichit notre littérature de la tragédie de Didon, et le succès de son premier ouvrage ne s'est point démenti depuis plus d'un demi-siècle. Racine avoit parlé de ce beau sujet dans sa préface de Bérénice, avec une prédilection qui sembloit promettre un digne rival au poète

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